Le 2 juillet, le nouveau parlement européen prendra ses quartiers, la veille, Michel Dantin quittera officiellement ses fonctions de député. Élu en 2009, le maire de Chambéry revient, parfois avec sévérité, sur ses neuf ans à Bruxelles, sur les dernières élections, le crash des Républicains, son envie de ne pas en prendre part, la fragilisation de l’institution européenne face à la montée des populismes et l’importance d’une Europe unie face aux puissances extérieures. Sans éluder quelques affaires localo-chambériennes, à neuf mois des élections municipales.
Michel Dantin, quand allez-vous définitivement quitter Bruxelles ?
Officiellement, le 1er juillet. Fin avril a eu lieu la dernière réunion officielle de la commission et il n’y a plus de réunion formelle à visée délibérante.
Les élections sont passées par là, qu’avez-vous pensé des résultats ?
Je constate que le Rassemblement national a fait deux points de moins qu’en 2014 avec un taux de participation supérieur : on a dénombré 39 millions d’électeurs supplémentaires en Europe. Nous sommes au-dessus de 50% de participation, un Européen sur deux s’est senti concerné.
Pourtant, le mode électoral ne me convient pas, je suis contre les listes nationales. Avec un député pour les deux Savoie, soit environ un député pour 1 million d’habitants, l’Europe serait plus incarnée.
Qu’avez-vous pensé de cette campagne, jugée très mauvaise par beaucoup ?
Elle a été dramatique, on a parlé de tout sauf d’Europe. Les ténors européens ont fait des meetings partout sauf en France. Mais quelle vision de l’Europe avons-nous, en France ? Non, Bruxelles n’est plus une sous-préfecture ! Il ne suffit pas dire « je veux » pour convaincre Bruxelles. L’Union européenne fonctionne comme une intercommunalité ; j’ai siégé dans les deux, j’y ai vu le même jeu d’acteur. Non, on n’a pas parlé d’Europe, on n’a pas parlé des enjeux. L’Europe est géographiquement le plus petit continent au monde et c’est ailleurs que les richesses augmentent. L’UE possède la part de richesses la plus faible du monde, alors il faut jouer ensemble. Pourquoi n’a-t-on jamais en avant les normes européennes alors que nous sommes la première puissance exportatrice mondiale ?
« On a pris l’Europe à la légère »
Et on vote pour des anti-européens…
Et oui… Ce monde est fragilisé et dangereux, les Etats-Unis ont multiplié par deux leur budget de la défense. Quand ils font 1 en intervention extérieure, nous ne sommes capables d’en faire que 0,15. On fait le 1/6 des interventions extérieures des Etats-Unis ! Et on prétend être une puissance mondiale ! L’ambassadeur du Brésil m’a donné deux gifles. Deux gifles ! En me disant que le Brésil a énormément investi en Europe alors que nous n’avons rien fait, là-bas, puis en prétendant vouloir désormais jouer avec des institutions à sa taille.
La Terre a été centrée sur l’Europe pendant 10 siècles, la géographie a changé. Et pourtant, je ne suis pas eurolâtre*.
Sur certains sujets, l’UE a servi de mère courage, c’était toujours de la faute de l’Europe. A-t-on besoin d’une règle européenne sur la qualité des eaux de la Leysse ? Non. En a-t-on besoin d’une sur la qualité de l’air en pays de Savoie ? Oui, parce que l’air n’est pas uniquement une affaire savoyarde.
Que retenez-vous de votre action au parlement ?
J’ai eu un mandat très concret, j’ai siégé dans trois commissions, à l’agriculture, aux transports et à l’environnement. L’amendement à 40% du financement du tunnel de base du Lyon-Turin, c’est Michel Dantin ! Il y a six ans, seuls 30% étaient prévus. Nous nous sommes penchés sur la révision de la directive sur l’eau potable**. J’ai aussi réussi à faire évoluer le droit communautaire contre les grandes surfaces… Il est possible de faire bouger les choses, il faut seulement bien connaître les sujets. En France, on a pris l’Europe à la légère.
« Les socialistes étaient tous allés pisser pendant le vote… »
Vous avez connu des échecs ?
Oui, sur la construction d’une Europe sociale, je me suis rendu compte que le programme social d’un groupe s’écrit dans les gênes. Notre Etat régalien remonte à la Révolution française, les autres Etats n’ont pas les mêmes attentes. Le Français fait du franco-français. Par exemple, sur la pénibilité du travail, le temps de travail, le plan de carrière…
Autre exemple, la lutte contre le terrorisme, le PNR***, au sujet duquel on a mis des mois à avancer. Dès 2011 il était sur la table, il n’a été adopté qu’en 2017 car il était jugé liberticide alors qu’il était d’un intérêt majeur. Les socialistes français sont même allés pisser au moment du vote, Marine Le Pen a voté contre, disant que les terroristes ne prenaient pas l’avion…
… l’histoire l’a prouvé…
Le terroriste qui était passé par Chambéry en décembre 2016, au moment de la venue de François Hollande, pour aller vers Milan aurait ainsi été intercepté****. Il faut rétablir les contrôles aux frontières intérieures comme à Lyon où plus de 700 interdictions de pénétrer sur le territoire ont été prononcées.
Pensez-vous que les gens connaissent mal l’Europe ?
Les catégories sociales plus avantagées y voient un intérêt, mais personne ne l’explique aux autres et Les Républicains sont tombés de haut lors de cette élection. Les campagnes sont européennes, un débat entre les têtes de listes européennes a eu lieu mais comme en 2014, il n’a même pas été diffusé en France.
Quel avenir donnez-vous à cette Europe ?
Il existe une différence de vision entre l’Europe du Nord, qui voit une Europe marchande, et l’Europe du Sud, qui reste sur une Europe de valeurs, ce qui provoque de profondes incompréhensions. Le Nord veut un espace de commerce et nous, un espace de valeurs protégées mais avec l’arrivée massive du Rassemblement national, ça va être galère. Et puis il n’existe plus de liens entre les chefs d’Etat et les chefs de gouvernement. Historiquement, les ancres ont été des couples ; Valéry Giscard-d’Estaing et Helmut Schmidt, François Mitterand et Helmut Kohl… Quels sont les liens entre Matteo Salvini et Emmanuel Macron, entre Charles Michel et Mark Rutte ?
Les manifestations des jeunes sous-estimées durant la campagne
Vous avez pris part à cette campagne, mais aviez pris soin de ne pas vous lancer dans la course : vous aviez senti la débâcle venir ?
Lors des réunions publiques auxquelles je participais, les gens posaient de vraies questions. Mais en janvier, personne, pas même moi, ne voyait le coup venir. J’ai fait 300 personnes à la Cote-Saint-André, 500 à Saint-Jean de Maurienne, les sondages nous minoraient le score, c’était ce qu’on se disait. Et puis on fait 8,5% et ça, personne ne l’a vu venir. J’attends désormais les analyses de cette défaite : où sont passées les voix, qui est venu voter ? Le samedi après-midi, avant l’élection, un sondage IFOP donnait LR à 13,5% ce qui était déjà insuffisant.
François-Xavier Bellamy était-il l’homme de la situation ?
Je ne le connaissais pas, il m’a beaucoup téléphoné pour être au clair avec de nombreux sujets, je l’ai trouvé sympa et abordable. A l’opposé, lorsque Laurent Wauquiez se mettait très en avant, on plafonnait, lorsqu’il se mettait en retrait, LR montait…
Y’a-t-il eu rejet de certaines personnalités, comme Laurent Wauquiez, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan ?
C’est possible. Il y a surtout eu un phénomène sous-estimé, les manifestations répétées des jeunes par rapport au climat. J’ai fait le tour des bureaux de vote, en deux fois, dimanche 26 mai, les présidents me disaient que les Verts allaient tout rafler (lire notre article sur le mouvement vert à Chambéry, du 31 mai, NDLR).
Chaque parti aurait pourtant dû s’approprier le combat écologiste…
Mais plus que les questions écologistes, ce sont les questions environnementales qui importent, le changement climatique fait peur et ce n’était pas au centre des débats chez tout le monde. Vous allez penser que je m’avance de trop mais s’il y en a un qui a pris des mesures environnementales concrètes, c’est bien moi : sur la qualité de l’air, l’assainissement du lac, il y a 20 ans. Le contrat de bassin versant, en 1997, c’est moi. Pourtant, je n’ai pas l’image d’un écolo. Entre 2002 et 2017, on a dépensé 150 millions d’euros sur le bassin versant, les bassins d’orage, les roselières… Le 3 juillet, un nouveau programme va nous engager à débourser 80 millions sur trois ans. Les résultats sont là.
Êtes-vous soulagé de ne pas avoir replongé ?
Non, c’est par choix, c’est un mandat qui m’a plu, j’ai ouvert des chantiers, que je ne pourrais mener à terme, je quitte l’Europe à regrets mais il y avait une balance à faire, des plus, des moins, l’un des deux plateaux devait l’emporter.
« Avant les municipales 2014, j’étais un outsider »
Quand allez-vous officiellement vous lancer dans les municipales 2020 ?
On rentre de plus en plus tard dans la bataille, on verra donc après le 11 novembre.
Dans quelle mesure allez-vous modifier votre majorité ?
Il y a des gens qui ne repartent pas, compte tenu de leur état civil, d’autres ont quitté le territoire… On verra.
Josiane Beaud ne repartira pas…
Elle ne sera pas première adjointe, par contre elle peut rester dans la majorité.
Pour l’instant, il n’y a pas grand monde en face, la gauche se cherche, le RN ne proposera vraisemblablement pas de liste…
J’ai entendu dire que Thierry Repentin se lançait. La différence avec 2014 c’est que j’étais alors un outsider, personne ne pariait sur moi. Là, beaucoup m’écrivent pour intégrer l’équipe. Ceci dit, une élection n’est jamais acquise.
C’était le mandat du sale boulot, non ? Des grands chantiers exaspérants pour la population…
Les Chambériens ont vu que la ville bougeait. J’ai lu un classement du Point, Chambéry comptait parmi les villes où il faut être (lire le classement paru dans l’édition du 12 juin), c’est qu’on a su mettre ses atouts en évidence. Mon ambition est de contribuer à hausser les conditions de vie des Chambériens. Le marché du travail y est plus actif, ce qui favorise l’augmentation du revenu moyen par habitant. Et lorsque j’entends que l’argent n’est pas important, les Gilets jaunes ont prouvé le contraire. Des quartiers voient des infrastructures apparaître, on s’est lancé dans des chantiers de rénovation, à Bellevue, aux nord des Combes…
Et puis il y a la circulation…
On a constaté la baisse de la vitesse moyenne entre Pont-de-Chêne et Cognin, en centre-ville, ça bougera dès que le parking Ravet sera construit, notamment sur l’avenue des Ducs, le visage des boulevards a changé… J’entends l’exaspération face à ce parking, les travaux vont cependant commencer (une manifestation a d’ailleurs eu lieu, lundi 17 juin, devant le chantier, NDLR).
* Personne qui est d’un enthousiasme excessif, et sans grand sens critique, pour la construction européenne.
**La législation renforce les limites maximales de certains polluants tels que le plomb (qui devrait être réduit de moitié), les PFAS et les bactéries nocives. Elle introduit par ailleurs de nouveaux plafonds pour les perturbateurs endocriniens.
*** Le PNR, acronyme de passenger name record, est le fichier européen anti-terrorisme sur les passagers aériens permettant de mieux tracer les trajets de terroristes potentiels.
**** Anis Amri, soupçonné d’avoir commis les attentats de Berlin, avait été retrouvé et tué à Milan, après avoir transité par Chambéry. Le président Hollande se trouvait alors dans la cité des Ducs pour inaugurer l’hôpital Métropole Savoie.
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