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Justice : y a-t-il vraiment eu un « piratage informatique » contre Chambéry Métropole, en 2017 ?
Par Laura Campisano • Publié le 28/11/19
Le tribunal correctionnel de Chambéry a dû se pencher, le 12 octobre dernier, sur un dossier aux accents plus politiques que judiciaires. Une plainte, déposée en 2017 à l’encontre d’une élue départementale et de ses proches collaborateurs** pour des faits de « piratage informatique ». Le délibéré, fixé au 29 novembre prochain*, devra déterminer si les prévenus ont commis les faits dans une intention de nuire à la partie civile. Ce qui ne va pas de soi. Décryptage.
Toute infraction, pour entraîner une condamnation pénale, doit voir trois éléments réunis : répondre au texte de loi, avoir été accomplie avec l’intention de nuire, et être matériellement constituée. C’est une règle en France, si l’un des éléments manque au tableau, impossible de condamner et il faut soit requalifier les faits, soit relaxer le ou les prévenus.
Le rappel est de taille car dans cette affaire, qui a fait grand bruit puisqu’elle n’a pas été dépaysée***, les deux parties se connaissent bien, tous font partie du monde politique local, ont déjà travaillé ou collaboré ensemble, de près ou de loin. Aussi, le contexte local, la médiatisation de l’affaire, ont joué un rôle dans l’imaginaire collectif. Les juges ont dés lors, dû nécessairement faire le tri pour repérer les éléments constitutifs ou non, des infractions de « piratage informatique » et de recel pour prendre leur décision. Car si pas d’infraction principale, pas de recel, c’est le droit pénal qui le dit.
L’élément matériel: l’accès à une boîte mail dont on a les codes et en tirer des informations: piratage ?
L’article L.323-1 du Nouveau code pénal prévoit que « le fait d’accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d’un système de traitement automatisé de données est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ». Ces systèmes comprennent, entres autres, les sites web.
Ici, « l’intention de nuire », appelée l’élément moral de l’infraction, est le point central des débats. L’une des prévenues au dossier, ancienne collaboratrice de l’élue-candidate départementale, avait travaillé pour les plaignants et avait conservé ses accès aux boîtes mails, notamment pour la veille et la réception d’informations, ce dont elle ne s’était jamais cachée auprès des uns et des autres, cela constituant un usage dans le réseau des collaborateurs politiques. A l’audience, l’un de ses contradicteurs l’a d’ailleurs reconnu, tout en admettant bénéficier également des transferts d’informations.
Les faits qui lui sont reprochés semblent donc être des faits habituels, mais qui, en période électorale, ont été jugés suffisants pour déposer une plainte entre les mains du procureur de la république de Chambéry : avoir communiqué à l’élue, alors en campagne et invitée à une remise de trophées – cérémonie qu’elle avait elle-même initiée lors de son mandat -, la liste des récipiendaires de la dite remise. Cette liste n’a pas été « transférée » , elle a été communiquée par le biais d’une autre boîte mail. Comment cela a-t-il été découvert ? L’un des collaborateurs des plaignants a été intrigué par « une quantité étonnante de papiers » dans une corbeille au Conseil départemental. Parmi ce papier, se trouvait ce mail imprimé…mais, bien que froissé, en substance, cela n’est pas reconnu par la justice comme un « abandon de propriété » : prendre ce papier dans cette corbeille est juridiquement… un vol.
Cela va-t-il être retenu comme preuve, par les juges du Tribunal correctionnel ? L’élément matériel de l’infraction de piratage informatique est-il ici constitué et l’intention de nuire retenue tant à l’encontre de la candidate à l’élection qu’à ses collaborateurs ? Les codes d’accès à la messagerie lui ont été communiqués de manière consciente et non dissimulée. La liste transmise, non confidentielle, aurait pu être acquise par tout autre moyen et ça a d’ailleurs été le cas. L’élue départementale en a reçu pas moins de quatre exemplaires, provenant d’expéditeurs différents. Sa prise de connaissance, par la candidate au scrutin, ne ressemble ni de près ni de loin à un recel d’informations devant rester strictement confidentielles, celle-ci étant invitée à la soirée de récompenses. Il faut reconnaître qu’en matière de dossiers de piratage informatique, on a connu plus croustillant.
Sur fond d’élections et de règlements de comptes, un climat électrique à Chambéry
Les faits poursuivis sont presque éclipsés par le climat qui règne entre les parties dans cette affaire. Tentatives d’intimidations en amont de la plainte, collaborateur poussé à quitter son poste, ordinateurs fouillés, tentatives de renonciation à une candidature politique pour éviter la plainte, affiches de campagne vandalisées, le dossier a pris une coloration plutôt éloignée d’une simple recherche de vérité juridique relative à l’utilisation d’une boîte mail par une ancienne collaboratrice. Et ce d’autant qu’en matière de preuves, l’ordinateur a été passé au peigne fin par un expert… qui n’a rien trouvé.
Comment dès lors, quantifier le dommage subi dans cette affaire? C’est là aussi un élément intéressant de cette affaire : les parties civiles réclament 1 euro… et sur ce banc, ne figurent ni Chambéry Métropole (aujourd’hui Grand Chambéry) ni le Département, ce qui pourtant serait attendu, compte tenu de l’importance des moyens déployés pour bâtir les poursuites.
A l’audience, le 12 octobre, le procureur de la République a d’abord présenté ses excuses aux prévenus pour le tapage médiatique qui s’est abattu sur eux, début 2017, précédant le dépôt de plainte dans ce dossier (plainte intervenue en juillet 2017, NDLR)…avant de requérir une peine « symbolique » de 3 000 euros d’amende assortie du sursis à leur encontre. Pour rappel, la peine maximale encourue pour ce délit est fixée de 15 000 euros et un an d’emprisonnement, mais le ministère public étant indivisible, et en dépit de la faiblesse du dossier, le procureur à l’audience n’avait d’autre choix que de poursuivre..
Le délibéré, rendu vendredi 29 novembre, ne devrait toutefois pas mettre un terme à cette affaire. Relaxe a été plaidée, et semble la seule voie possible : aucun des trois éléments constitutifs de l’infraction ne semble constitué, et il y a une absence de préjudice frappante. Quoiqu’il en soit, en défense, on se dit déjà prêt à interjeter appel de la décision, si elle devait aboutir à une condamnation. Le tribunal jugeant en droit et non en politique, on peut s’attendre toutefois, à ce que les peines réclamées par le procureur ne soient pas suivies par le tribunal.
* [MISE A JOUR] Le Tribunal correctionnel de Chambéry a relaxé l’un des prévenus, et reconnu coupable de piratage informatique la seconde collaboratrice et de recel l’élue départementale, en les condamnant…à une dispense de peine. Gageons que l’audience d’appel sera dépaysée dans une autre Cour de la région Rhônes-Alpes…
** En raison de la présomption d’innocence jusqu’à une condamnation définitive, aucun nom ne sera ici évoqué. Appel ayant été interjeté, la condamnation à une dispense de peine n’est pas définitive et la présomption d’innocence court toujours
*** Il est toujours possible, en raison de certaines circonstances, de juger un dossier dans un autre tribunal du ressort de la même cour d’appel.
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