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Municipales 2020 : « avec ou sans étiquette », voici comment le ministère de l’intérieur a semé la zizanie dans la campagne
Par Laura Campisano • Publié le 21/01/20
Depuis le début de cette campagne, une grande majorité de candidats des deux bassins, chambérien et aixois, a exprimé la volonté de conduire des listes « sans étiquette politique », rassemblant nombre de personnalités diverses et n’appelant ni soutien ni investiture de la part des partis politiques. Au-delà de toute considération politicienne, nous avons voulu savoir si cela était réellement possible dans le système actuel, notamment au décours d’une circulaire ministérielle… contestée.
Élément de langage ou sincérité de l’engagement et du projet politique, toujours est-il que l’idée d’une liste « sans étiquette » pourrait bien être cachée derrière « la nuance » politique. Dans les communes de moins de 9 000 habitants, soit 96 % des communes françaises, les listes et leur candidat en tête pourront être exemptés d’étiquette et de nuance et pourront s’en tenir à cet engagement. Dans les quatre communes les plus importantes du département, en revanche, même « sans étiquette », une nuance pourra être apportée de manière discrétionnaire par le préfet et ses services. Une nouveauté 2020 issue d’une circulaire du 10 décembre 2019 et émanant du cabinet du ministère de l’Intérieur, sans être passée par le Journal Officiel…
Étiquette et « nuançage » politique
L’objectif rassembleur des candidats têtes de listes est affiché et quasi unanime, mais tant à Aix-les-Bains, Chambéry, Albertville qu’à La Motte-Servolex, sera indiquée une « nuance politique » sur le formulaire cerfa accompagnant le dépôt de liste. C’est en tous cas ce que prévoit une circulaire du ministère de l’Intérieur. A l’issue du second tour des élections, pour dessiner les grandes tendances nationales, régionales et départementales, sont comptabilisés les scores par « tendance politique ». Mais avec l’émergence des listes sans étiquette et dans un contexte particulier puisque peu de listes totalement LREM sont constituées, seules les villes « importantes » par département auront droit à une coloration politique, et ce en dépit d’une volonté affichée de neutralité.
Ce qui ne va pas faciliter la tâche des candidats, mais davantage celui des services du Préfet de Savoie « car jusqu’à maintenant, c’était le cas pour toutes les communes du département » nous a-t-il été expliqué. Ainsi dans toutes les petites communes du bassin chambérien, dans toutes les communes rurales autour de Chambéry, les candidats qui annoncent des « listes d’ouverture », pourront, s’ils arrivent à les constituer, aller au bout de leur idée, mais leur maire « neutre » ne sera donc pas comptabilisé dans la grande tendance générale post-second tour. Et il en sera ainsi pour 96% des communes de France. Ces résultats, les plus parlants pour donner une photographie de la tendance politique du pays, ne seront pas pris en compte. Une méthode pour le moins… surprenante.
A Chambéry et Aix-les-Bains, où bouillonne la question du soutien des uns et de l’investiture des autres, si la circulaire est maintenue, en cas de dépôt de liste « sans étiquette », le Préfet et ses services devront lui adjoindre un « nuançage », comme c’était le cas précédemment pour toutes les communes de plus de 1 000 habitants* « en fonction de la personnalité de la tête de liste, de son programme, de sa carrière politique, des autres candidats de la liste, » nous ont expliqué les services préfectoraux. Et l’interrogation pointe le bout de son nez… cette appréciation est-elle bien du ressort du Préfet ? Qui peut décider d’une « nuance », divers gauche, divers droite, centre droit, centre gauche, quand le candidat tête de liste a basé tout son projet pour sa commune sur un programme apolitique ? C’est ce qui avait déjà posé problème en 2014 à Marie-Pierre François au Bourget-du-Lac, quand elle a présenté sa liste, pour son premier mandat. « Je ne voulais pas d’étiquette politique parce que dans ma liste, déjà à l’époque, il y avait des gens de tout bord, non encartés, mais à la Préfecture on m’a dit que je n’avais pas le choix et c’est devenu une liste divers droite, » nous avait-elle expliqué.
Quelle différence pour l’électeur ?
Un observateur averti se demandera avant toute chose si l’électeur fera bien une différence entre étiquette politique et nuance politique. Si les candidats parlent d’une seule voix ou presque pour indiquer que dans la commune, le maire représente tous les habitants, sans distinction politique, qu’ils souhaitent justement des listes d’ouverture, quand certains d’entre eux sont encartés et/ou militants, mais qu’ils ne souhaitent pas l’imposer à leurs colistiers, au soir du second tour, il sera difficile de faire la différence. « Le maire peut avoir sa propre tendance politique, sans pour autant que cela signe une tendance pour toute la liste », souligne Martine Berthet, sénatrice de la Savoie, « il est libre d’aller chercher des personnes de tous bords dans sa population, auprès de gens qui veulent s’investir pour leur commune. Cette circulaire est complètement illégale », poursuit-elle, « vis-à-vis de la population dans un contexte difficile, le gouvernement continue d’aller dans ce sens, et c’est encore plus à contretemps de ce que veulent les maires. »
En tout, 24 couleurs politiques et 22 nuances sont prévues par la circulaire, dont certaines ont dû être remasterisées, vu la conjoncture actuelle: « LVDC » est le nom de code attribué aux listes « de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM ou le MoDem, ni par l’UDI, seront soutenues par ces mouvements** ». Nombre de candidats têtes de liste sont en effet « soutenus » ou « investis » par le parti présidentiel, alors qu’eux-mêmes ont une autre famille politique.
Dès lors, nombreux s’interrogent : quel est l’objectif de cette circulaire ? Faciliter le travail des préfets pour le décompte général au soir du second tour ? Ne pas comptabiliser les résultats des petites communes qui auront élu des maires « sans étiquette » pour avoir une vue générale sur les grandes villes ? Ou encore, comme le pointent du doigt de nombreux dirigeants politiques d’opposition, tendre à faire ressortir LREM des résultats ? Le président de la fédération des maires de Savoie, Yves Durbet, également maire de la commune de Hermillon en Maurienne, ne voit pas cette « injonction ministérielle » d’un bon œil : « Les candidats sont assez grands pour dire s’ils souhaitent donner une couleur politique à leur liste sans que le ministère vienne le leur imposer, » a-t-il indiqué. Pour les électeurs cela fera-t-il vraiment une différence ? Vote-t-on toujours pour une liste affiliée à un parti en 2020? « Oui, tout à fait, encore plus dans les villes plus importantes », confirme Martine Berthet, « cette circulaire va complètement à l’encontre des demandes des maires ruraux, pourquoi avoir choisi ce seuil de 9 000 habitants ? On n’a toujours pas la réponse. » Alexandre Nanchi,conseiller régional Auvergne-Rhône Alpes, lui, pense avoir un début de réponse « La REM a fait de bons scores dans les villes urbaines, de plus de 9 000 habitants, ça n’a donc rien de surprenant. » Avec le soutien de Damien Abad, à la tête du groupe LR à l’Assemblée nationale, il a rédigé un recours contre cette circulaire, qu’il a déposé avec une autre élue de l’Ain, Elisabeth Laroche.
Une circulaire d’ores et déjà contestée… et attaquée
Pourquoi une contestation en bonne et due forme? « Parce que retirer du décompte final, 96% des communes françaises, ça n’est pas conforme à la situation réelle, » soutient l’élu, également conseiller municipal dans une commune de l’Ain de moins de 9 000 habitants. « Il suffit d’un soutien de la REM, du MoDem ou de l’UDI pour qu’apparaisse en réalité la nuance » divers centre «, ça crée un statut particulier juste pour le parti du président de la République, là où les règles pour les investitures classiques sont bien plus cadrées.*** Je ne suis pas contre le » nuançage » mais je suis opposé à ce qu’on gonfle les chiffres pour un seul parti, il faut respecter les règles du jeu. « Alexandre Nanchi attend l’audience du 24 janvier prochain, pour que son recours en référé devant le Conseil d’Etat soit examiné. « Ce n’était pas gagné d’avance, parce qu’on ne peut pas attaquer une circulaire non publiée au Journal Officiel », poursuit-il, « mais comme ça créait un droit, et que les élections interviennent très prochainement, on a pensé qu’il fallait agir vite. Pour le moment, la première étape est passée. Nous verrons. »
L’élu LR n’est pas le seul à vouloir la révision de ce texte. Déjà dans ses vœux, le président du Sénat , Gérard Larcher, avait vivement souhaité que soit revue cette circulaire « qui n’est pas conforme aux valeurs démocratiques qui sont les nôtres ». A Chambéry et Aix-les-Bains, ces cas de figure existent aussi, alors que tous sont dans l’attente de la dernière commission d’investiture LREM. Tandis que les candidats ont jusqu’au 27 février pour déposer leurs listes, en coulisses, nombreux se posent des questions. Il va falloir être encore patient pour voir quelles surprises cette campagne va encore réserver à la vie démocratique… locale.
* Dans les communes de moins de 1 000 habitants, les candidats peuvent être élus dès le premier tour lorsqu’ils obtiennent la majorité absolue et si au moins un quart des inscrits a voté. Les électeurs peuvent choisir de voter pour des candidats de listes différentes, ce qu’on appelle le panachage, car les suffrages sont comptabilisés de façon individuelle.
** Un accord a été passé entre ces trois partis politiques en vue des municipales, si l’un des trois partis accorde une investiture, la liste sera réputée de centre droit.
*** Pour obtenir une investiture LR, il faut l’accord de LR et d’un autre parti de droite, idem pour l’investiture PS.
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