La décision, prise le 16 avril dernier, de mettre fin à toutes les compétitions de niveau amateur et de figer les classements a été perçue, par le « football d’en bas » comme un coup de poignard. Un de plus. La période de confinement ne fait qu’ajouter aux difficultés que connaissent les clubs au quotidien, cela fait même plusieurs années que le mal demeure. Aujourd’hui, la sonnette d’alarme est tirée et la Savoie se montre particulièrement active sur ce sujet.
Il y a un an et demi, Mickaël Rogissart récupérait la présidence du Cognin Sports, un club arrivé en bout de course, en proie à toutes les difficultés que rencontrent les clubs de niveau amateur. Finances en berne, manque de bénévoles, d’éducateurs, équipes visées par les instances sur le plan de la discipline… Né en 1937, Cognin Sports est pourtant un moteur de la vie locale, il s’appuie sur 200 licenciés, une équipe fanion que l’arrêt des compétitions a expédié en Régionale 3… « Le plus difficile, pour nous, est de trouver des éducateurs » , confirme Mickaël Rogissart. Les demandes affluent pourtant au siège du club, jusqu’à ce que les personnes intéressées se voient signifier qu’il s’agit de bénévolat. « On ne peut pas les payer, beaucoup arrêtent » alors que des U6 aux U17, les éducateurs officient à titre gracieux. Les finances sont évidemment le nerf de la guerre, « on n’arrive plus à se projeter » souffle le président miné par les échéances et les annulations. Facilement considérés comme « de véritables comités des fêtes » , selon Patrick Giffard-Lévêque, président de l’Union sportive motteraine et de l’association des présidents des clubs de football de Savoie (APCF), les clubs survivent grâce aux multiples événements organisés çà et là. Crise sanitaire oblige, tout s’effondre. « Nous avons annulé huit événements » , avance Mickaël Rogissart, des tournois de Pâques et de Pentecôte au loto du club. Quand on sait que les subventions municipales ne couvrent « qu’un sixième de nos dépenses » dans le cas de Cognin, on devine l’équation. Car les instances ne pardonnent rien. « Depuis plusieurs années, nous connaissons de grosses difficultés » , abonde Patrick Giffard-Lévêque, « les instances nous demandent beaucoup de choses, tant au niveau financier qu’en termes d’éducation. Elles nous réclament d’être à jour sur les prélèvements obligatoires, de former, d’agir sur la prévention contre les agressions sexuelles, sur la vérification des casiers judiciaires de nos éducateurs… Le confinement nous permet de lever un peu la tête du guidon et de prendre du recul. Aujourd’hui, un président de club amateur ne peut pas se projeter ».
Du « racket institutionnel »
C’est ce qu’Eric Thomas, président de l’association française du football amateur (AFFA) appelle sans ambages un « racket institutionnel » : « La Fédération perçoit en moyenne 70 euros par licenciés. Ce chiffre prend en compte les cotisations, le coût d’engagement de toutes les équipes en compétition, les amendes, les droits de mutations… Rapporté au nombre de licenciés, nous alimentons nos instances à hauteur de 150 millions d’euros chaque année ». Si les clubs peuvent bénéficier d’un fonds d’aides, celui ne se monte qu’à… 16 millions d’euros. Ce problème a donc été pointé du doigt par l’AFFA qui réclame, par conséquent « l’annulation pure et simple du premier prélèvement automatique sur les licences, pour tous les clubs amateurs ». Étouffant, le système impose aux clubs « quatre prélèvements, tous les trois mois » , précise Patrick Giffard-Lévêque. Et gare à qui ne paie pas. « Nous versons chaque année environ 10 000 euros au District de Savoie et à la Ligue Auvergne Rhône-Alpes. Nous devions encore 1 800 euros au District (frais annexes, paiement d’un délégué de terrain, amendes liées aux cartons reçus) que nous comptions payer grâce à la braderie du club, début mars ». Braderie annulée pour cause d’intempéries. « Nous nous sommes mobilisés pour payer cette somme sur nos fonds personnels » évitant ainsi à l’équipe fanion d’être sanctionnée de quatre points de retrait au classement, ce qui l’aurait privée de montée. A quoi ça tient… « La subvention de la municipalité de Cognin nous permet de solder l’année précédente alors qu’elle devrait nous aider à préparer la suivante. Chaque début de saison, nous partons avec un déficit que nous devons compenser » , se lamente Mickaël Rogissart. Parmi les sources de financement, le sponsoring. « Ce sont souvent de petits commerçants ou artisans, on sait que beaucoup d’entre eux, avec la crise à venir, ne pourront plus donner » , rappelle Patrick Giffard-Lévêque. « A La Motte, ce sont entre 20 et 22 000 euros que nous versons aux instances ». Au sein de l’APCF, « relancée récemment » , selon Yann Savoie, président du FC Chambotte, tout le monde « n’est pas forcément sur la même longueur d’ondes mais l’enjeu est de communiquer, de proposer et de faire entendre notre voix ». C’est pourquoi elle s’est associée à l’appel du 2 avril d’Eric Thomas, invité à son Assemblée générale, initialement prévue le 25 avril et reportée depuis.
4 000 clubs ont disparu en quatre ans
Car c’est en connaissance de ces problématiques du quotidien, que l’AFFA a tiré la sonnette d’alarme, le 2 avril dernier. Dans cette lettre, sorte de manifeste de la colère du foot d’en bas, le président Eric Thomas* soulignait que si la santé primait, en ces temps de crise sanitaire, l’heure du bilan et de « la remise en cause » était néanmoins nécessaire. « Comme pour beaucoup d’entreprises et d’associations les conséquences économiques vont être très importantes et nos clubs vont se trouver encore davantage en difficulté » , écrit-il. « La situation est grave, mais pas désespérée si on veut bien, pour une fois, jouer collectif ». Dans le monde du football, les dirigeants bénévoles des clubs de football amateurs doivent enfin pouvoir s’exprimer, être écoutés, être entendus sur leurs besoins et leurs attentes prioritaires «. » C’est un mal ancien« , explique Eric Thomas, » qui s’accentue puisque sur les quatre dernières années, 4 000 clubs amateurs ont disparu. Nous étions alors plus de 19 000« . Pour lui, le coupable est tout désigné : » Nous sommes asphyxiés par les instances« . La fédération française de football (FFF) se retrouve ainsi au banc des accusés. » Ce fonds d’aide attribué au foot amateur, c’est bien, mais imaginez tout de même que le mois passé en Russie, été 2018, pendant la Coupe du monde a coûté 21 millions à la Fédération« , ironise Patrick Giffard-Lévêque. On l’a vu, ligues et districts ne pardonnent aucune légèreté.
Par conséquent, l’AFFA demande ardemment, parmi les six grandes propositions faites à la FFF**, » la mise en oeuvre d’un fonds de secours et d’urgence en faveur du football amateur « d’au moins 300 millions d’euros » compte-tenu des circonstances exceptionnelles et des conséquences du Covid-19« . » La Fédération française de rugby a versé 35 millions à ses clubs « pour plus de 1 600 clubs. » 300 millions d’euros pour 15 000 clubs, ça me semble justifié« , plaide le président du club motterain.
Une lettre à la ministre des sports
Mais il y a un autre lien, tonique, qui unit bien malgré eux foot pro et foot amateur : la démocratie. Ou plutôt l’absence de démocratie. « Nous demandons à la Fédération de bénéficier du droit de vote » , tempête Eric Thomas. « Si nous voulons envisager le foot de demain, nous devons pouvoir nous faire entendre et travailler main dans la main avec les clubs professionnels ». Car le président de la FFF, Noël Le Graet, est élu par les quarante clubs professionnels. Quid des 15 000 autres ? « Rien et cela fait trop longtemps que nous sommes méprisés, 3 000 clubs ont déjà soutenu notre appel du 2 avril » dont l’APCF de Savoie, appel resté sans réponse. « Aujourd’hui, tout le monde se planque, c’est une véritable dictature que nous subissons ». D’où cette seconde missive, en date du 14 avril. « Notre courrier du 2 avril dernier n’ayant toujours pas reçu de réponse, nous nous permettons de réitérer nos demandes d’une action forte et résolue en direction du football amateur. Nous vous proposions d’organiser, dans les meilleurs délais, une visioconférence permettant de faire un point de la situation et de vous exposer les propositions permettant de construire le football de demain ». Plus loin, ce courrier évoque « les enjeux (…) sportifs, mais avant tout sociaux, éducatifs et citoyens. Dans ce contexte si particulier, nous souhaitons, une nouvelle fois, vous inviter au dialogue et à la concertation, afin de tenir compte de la situation extrêmement fragile de l’écosystème du football amateur ». Trois jours plus tard, c’est à la ministre des sports, Roxanna Maracineanu, qu’Eric Thomas s’est cette fois-ci adressé, au lendemain de la clôture des championnats amateurs : « Ce 16 avril*** est un jour noir pour le football français et aujourd’hui, les bénévoles du » foot d’en bas « sont en colère. En colère, parce que la FFF est en train de tuer le football. Mais ce qui a été décidé peut encore changer » . » Nous comptons« , nous explique Eric Thomas, « sur les politiques pour faire bouger les choses, ce sont eux qui le peuvent ».
La création d’une véritable Ligue de football amateur, sur le modèle de la Ligue de football professionnel (LFP), organisatrice des championnats pros, peut-elle être la solution au problème de représentativité dont souffre tout l’écosystème amateur ? « Celle qui existe aujourd’hui n’est ni une personne morale, ni une autorité juridique, elle n’a pas non plus la capacité de voter un budget » alors que la Ligue pro en a, quant à elle, « tous les moyens ». Dans ce contexte, la FFF, qui verse 86 millions d’euros au foot amateur – « et je ne sais pas à quoi ce chiffre correspond » , résume Eric Thomas -, n’a pas réagi, face à ces appels, sachant que les élections, tant au niveau du district, de la ligue comme de la Fédération doivent se tenir cette année. L’une des mesures réclamées par l’AFFA est, du reste, le report d’un an de toutes les élections.
Tout le monde attend désormais une prise de conscience générale, des « Etats généraux » du football qui devaient déjà se tenir après le fiasco de Knysna****, en 2010 et qui n’ont jamais véritablement eu lieu. « Je pense qu’il s’agit de l’appel de la dernière chance » , souffle Mickaël Rogissart, « si aucune mesure n’est prise, beaucoup de clubs vont mettre la clé sous la porte » . » Il faut vraiment renverser la table et remettre le ballon au centre de tout« , appuie Patrick Giffard-Lévêque. Au niveau local, les clubs amateurs se sont mobilisés, notamment en remettant l’APCF au cœur du jeu : « Les présidents de club n’avaient plus vraiment d’instance pour se faire entendre, avec cette association, nous aurons plus de voix et plus de force » , conclut Yann Savoie. Reste à lui en donner la possibilité. A elle comme à toutes les autres…
* En 2012 et 2017, Eric Thomas s’était présenté à la présidence de la Fédération française de football. Les deux fois, il a été battu par Noël Le Graet, par ailleurs ancien président de la Ligue de football professionnel.
** Les six mesures proposées par l’association française de football amateur sont les suivantes :
1- Annulation pure et simple du premier prélèvement automatique sur les licences, pour tous les clubs amateurs.
2- Consultation de tous les clubs sur les décisions à prendre concernant les championnats en cours, pour garantir au mieux l’équité sportive.
3- Mise en oeuvre d’un fonds de secours et d’urgence en faveur du football amateur. Réclamé depuis de nombreuses années, ce fonds doit être doté d’au moins 300 millions d’euros, compte-tenu des circonstances exceptionnelles et des conséquences du Covid-19.
4- Report d’un an de toutes les élections (districts, ligues, FFF) prévues en 2020.
5- Création d’une vraie Ligue du Football Amateur (alter ego de la LFP) disposant d’un budget autonome et rendant compte de ses actions.
6- Organisation, dès que possible, dans toutes les ligues, des « Etats généraux du football », associant tous les acteurs du football français pour débattre des grands sujets : gouvernance, financements, vie des clubs, compétitions, arbitrage, formation, valorisation du bénévolat, rôle social et citoyen du football…
*** Le 16 avril, le comité exécutif de la FFF a décidé de mettre fin à tous les championnats de niveau amateur. Les positions au classement ont ainsi été figées, entraînant un grand nombre de contestations de la part de clubs s’estimant lésés. Le CS Sedan Ardennes (National 2) en faisait partie car avait un match en retard à disputer, match qui lui aurait permis de passer en tête de son groupe au moment de l’arrêt des compétition. Et de valider de fait son ticket pour le National.
****Knysna était le lieu de résidence des footballeurs de l’équipe de France, lors de la coupe du monde 2010 en Afrique du Sud. Où s’était tenu le fameux et tristement célèbre épisode du bus, lors duquel, en soutien à Nicolas Anelka exclu du groupe pour mauvais comportement, les 22 autres joueurs avaient refusé de s’entraîner. Cette année-là, la France avait été sortie dès le premier tour de la compétition.
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