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La pétition numérique, un signal d’alarme efficace, un moyen de pression redoutable mais sans valeur juridique
Par Laura Campisano • Publié le 05/05/20
L’avènement des réseaux sociaux s’est accompagné d’une autre tendance forte, celle des pétitions en ligne. Elles prolifèrent et prétendent pouvoir inverser le cours des choses ou d’événements jugés contraires à l’éthique, à la normale ou à l’avis d’une poignée de personnes, à renverser des élus, un gouvernement sur la seule foi, souvent, d’une opinion divergente. Elles sont une autre facette de la puissance de la force populaire, lorsqu’un clic suffit à faire valoir une opinion. Seulement, ce clic a-t-il une réelle valeur ? Pas sûr…
Pour le départ de Sibeth Ndiaye (6 946 signatures sur 7 500 demandées), pour la démission du gouvernement Macron (54 683 sur 75 000), pour obtenir la destitution d’Emmanuel Macron (14 750 sur 15 000), pour garantir la gratuité des masques (116 190 sur 150 000)… La saison de la pétition bat son plein, elles pullulent sur les réseaux sociaux, charrient insultes et montées de sève. Manifeste de la contestation, souvent, déversoir à immondices, parfois, la pétition numérique ne vaut que par le nombre affiché de personnes (plus ou moins virtuelles) qui la signent. Si s’affliger de l’incompétence du gouvernement à gérer la crise est à la mode, autant le faire savoir autrement que par la banderole, la pancarte, le post, la manifestation. S’allier en nombre autour d’une cause commune a fait les révolutions d’hier et d’aujourd’hui, les gilets jaunes sont partis de là comme les sans-culottes jadis. Mais croire que la pétition numérique serait le juste châtiment du peuple est bien trompeur. Ainsi, non, vous n’obtiendrez pas, par ce biais, la destitution du président de la République. Vous ne contraindrez pas un ministre ou un gouvernement à démissionner, pas plus que vous ne mettrez plus qu’une simple pression sur la ou les personnes ciblées, même si ces dernières sont le plus souvent adressées à qui de droit. Pour beaucoup, ce serait déjà énorme.
Valeur morale
Pour s’en convaincre, il faut se souvenir d’une pétition ayant rassemblé plus de deux millions de signataires, pétition intitulée « l’affaire du siècle » , lancée par quatre Organisations non gouvernementales* (ONG) en décembre 2018 ; elle s’attaquait à l’Etat français, coupable à leurs yeux de ne pas prendre en compte les changements climatiques. Deux millions de personnes rassemblées en trois semaines, ce qui en a fait la plus grosse mobilisation de l’histoire du pays : pour quel résultat ? Aucun pour le moment, sinon l’espoir de faire pression. « Pour l’heure, nous n’avons pas eu de réponse. Mais au regard de l’ampleur de la pétition, nous nous attendons à en avoir une » , expliquait Marine Denis, chargée de plaidoyer à Notre affaire à tous, à Actu.fr.
Plus proche de nous, fin mars, Lucien avait appelé à soutenir la plainte des 600 médecins qui accusaient Edouard Philippe et Agnès Buzyn (respectivement premier ministre et ex-ministre de la Santé, remplacée depuis par Olivier Véran, NDLR) de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour prévenir la catastrophe sanitaire causée par le Covid-19. Un soutien qui a été suivi par plus de 500 000 personnes, désireuses « d’établir les responsabilités politiques dans cette crise sans précédent ». « En d’autres temps, on les aurait pendus » , s’indignait un internaute. « En tant que soignante et en tant que citoyenne, je considère qu’on a joué avec ma confiance, et qu’on me met en danger » , écrivait une autre. A celles et ceux qui s’interrogeaient sur l’opportunité d’une telle action, un signataire leur répondit assez sèchement : « C’est une pétition purement politique ». Ce qui n’est évidemment pas le cas. Cette pétition n’aura, en définitive, qu’une valeur morale. A l’impact limité.
Une campagne de communication ou un apport au débat public ?
A Chambéry, une autre avait été lancée par le collectif Ravet avant les élections municipales : enjeu, mettre « le chantier en veille en attendant l’issue du scrutin des élections municipales afin de respecter le choix que feront les électeurs et les électrices ». Elections dont le second tour n’a toujours pas eu lieu et dont le premier sera vraisemblablement annulé. Signée à ce jour par 553 personnes (sur les 1 000 attendues), elle accompagne un recours déjà déposé par le collectif : « Nous estimons toujours que l’avis des citoyens n’a pas été pris en compte, pour un projet de cette taille, malgré nos tentatives. Par ailleurs cette première étape de communication sera suivie d’autres opérations. » Une étape de communication… Quant à savoir si cette force populaire sera suivie d’effets, le collectif ne se mouille pas : « Nous demandons une non-reprise des travaux en attendant le verdict des urnes, car nous pensons que ce parking ne sera jamais rempli et c’est maintenant qu’il faut limiter les choses pendant qu’il en est encore temps » (lire notre article du 24 mai 2019). Un arrêt des travaux « demandé par les Chambériens en votant à plus de 62 % pour des listes qui se présentaient au premier tour des élections municipales de mars 2020, et qui étaient opposées au parking Ravet » , rappelle le collectif.
Pour Guy Fajeau, élu, utilisateur et signataire habituel, « l’intérêt d’une pétition » est « multiple. Il permet de sensibiliser les citoyens sur un sujet qui les préoccupe et de se mobiliser. Il a un impact plus ou moins important et inégal selon la répétition de la mobilisation sur le même sujet ». L’élu de Chambéry Cap à gauche cite pour exemple la pétition « en faveur de la préservation des terres maraîchères à Bissy et Sonnaz, qui a eu des résultats comme, nous l’espérons, celle sur la gratuité des masques. Même si chaque pétition n’aboutit pas complètement, elle permet le débat public et, à coup sûr, des corrections de la décision initiale. Pour conclure, elle participe du rapport de force sans être déterminante. Bien souvent d’autres actions doivent l’accompagner. On va certainement le voir pour le retour à l’école le 12 mai ».
L’association les Amis de la Terre en Savoie, engagée sur plusieurs fronts dont, notamment, la retenue collinaire du Revard, estime quant à elle que la pétition a un poids, « si elle est bien argumentée et percutante ». La cause va ainsi se faire connaître, soit par le nombre soit par la qualité de ses signataires. Une alerte, en somme, comme le confirme Jean-Benoît Cerino , « des alertes qui permettent de voir si un décideur a la capacité de s’interroger, de se remettre en question parfois, d’écouter des avis différents » , des alertes qui peuvent révéler aussi « un échec de concertation et de réelle volonté d’implication démocratique des habitants ou des citoyens par les décideurs en responsabilité » , précise l’élu de la minorité chambérienne. « Ce peut être le signe que les pétitionnaires ont encore espoir que leur action fasse changer les choses et influence les élus… quitte à leur faire encore confiance, d’ailleurs » , conclut-il. D’où cette hypothèse, selon laquelle un politique peut être amené à réagir face à elle comme il réagirait à un sondage d’opinion. « Dans les sociétés qui se revendiquent de la démocratie, les dirigeants ne peuvent pas rester sourds à ces demandes lorsqu’elles sont portées par un public nombreux et relativement représentatif », soulignait, pour dossierfamilial.com, le spécialiste de la communication Jean-Marie Pierlot.
« Aucune valeur juridique »
Cependant, il ne faudra pas attendre plus d’une pétition que d’être un moyen de pression puisqu’elle n’a, détaille Benjamin Marcilly, avocat en droit public, aucune autre valeur, surtout pas juridique : « La pétition n’a aucune valeur juridique et ne peut même pas être considéré comme un élément de faisceau d’indices dans une procédure quelle qu’elle soit. Politiquement, elle peut servir de moyen de pression, mais quel que soit le nombre de signatures, le juge n’est pas lié par ce qui en ressort ».
En définitive, il s’avère qu’une pétition numérique n’aurait d’intérêt juridique qu’auprès d’une seule institution, le conseil économique, social et environnemental (CESE). En effet, « l’article 4-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958, inséré par la loi organique du 28 juin 2010, n° 2010-704 (ouf !), prévoit que le CESE peut être saisi par voie de pétition pour toute question à caractère économique, social ou environnemental » , note Juliane Dubron, juriste et gérante de la plateforme Lex Causae. Mais pas à n’importe quelles conditions : « Pour être recevable, la pétition doit nécessairement être écrite, en langue française et présentée dans les mêmes termes par au moins 500 000 personnes, celles-ci devant être majeures et résider régulièrement en France ou être de nationalité française. La pétition doit en outre comporter leurs noms, prénoms et adresses** ». Dans le cas de Ravet, la pétition n’a été adressée « qu’à » Michel Dantin, Xavier Dullin et à la directrice générale de Qpark (gestionnaire du parc de stationnement en ouvrage et clos), Michèle Salvadoretti. Il existe évidemment une exception à la valeur à accorder à une pétition, lorsqu’elle est est signée par une personnalité politique : « En termes de calculs politiques, la pétition peut être une arme utile pour une conquête électorale ». Car « un politique qui signe une pétition doit, à mon sens et a minima, faire en sorte de respecter les valeurs, les objectifs ou les revendications de ce sur quoi il a apposé sa signature » , insiste Juliane Dubron. « En effet, signer un document, quel qu’il soit, a tout de même une certaine valeur : comprendre notre engagement et nos responsabilités, adhérer à des valeurs etc ». Faute de quoi, sa crédibilité peut s’en trouver entachée. Et ça, il vaut mieux l’éviter, non ?
* La Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France.
** Un signataire peut toujours demander à garder l’anonymat , mais celui qui a créé la pétition pourra quand même avoir l’information : cet anonymat n’est assuré qu’en cas de divulgation des signataires au grand public, mais il paraît logique que celui qui a créé la pétition puisse se prévaloir de ces informations pour une saisine du CESE par exemple.
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