Chambéry : cette fois, ça va trop loin !

Ravet déchaîne les passions, c’est une donnée qui est largement entrée dans la tête de tous les suiveurs plus ou moins proches de la campagne 2020. Un simple parking devenu l’emblème de tous les maux de ce monde, allégorie, pour les anti, de la mandature Dantin. A chacun ses symboles. Mais lorsque la mobilisation vire à la menace, visant à atteindre des commerçants dont la seule faute, aux yeux de ses contempteurs, est d’avoir manifesté un soutien un poil trop prononcé à un ouvrage certes controversé, c’est que l’on a dépassé les limites de la décence. Une affiche, diffusée en ville, stigmatise les excès qui cernent un chantier qui en exalte tant, des passions…
Comme par enchantement, l’affiche, collée dans la nuit du 17 au 18 juin, n’a été revendiquée par personne. Comme par enchantement car elle semble pourtant signée, marquée du sigle d’Extinction Rebellion, mouvement activiste bien connu pour se mobiliser pis que pendre contre la construction du parking Ravet aux côtés du collectif d’habitants éponyme. Il se présente, du reste, comme « un mouvement de désobéissance civile en lutte contre l’effondrement écologique et le réchauffement climatique » (lire notre article du 11 octobre 2019).  On ne reviendra pas ici sur les différents épisodes qui ont émaillé, depuis un an, la vie de ce projet dont chacun jugera l’utilité manifeste, ils sont légion, pas toujours heureux mais souvent spectaculaires, c’est certain.

Une campagne de boycott inhabituelle 

Et puis, donc, une affiche apparut. Dénonçant nommément les commerces ayant soutenu le parking, via une campagne d’affichage datant d’une dizaine de jours. « Boycott des pro-Ravet, voici la liste des commerçants se prononçant pour la construction du parking au moyen d’un affichage. En attendant le 28 juin, boycottons-les ! ! ! » Au centre, une liste de commerces, « à compléter ». Les banderoles « laisse béton », les sittings sur site, les manifestations de colère, c’était un autre temps. Cette fois, les accusations relèvent d’une volonté gestapiste – « Soviétiques, Trotskistes » , selon Dominique Dord – de jeter des noms en pâture et de fesser ceux qui pensent différemment.
Le sigle d’Extinction Rébellion apparaît très largement en filigrane, c’est signé, c’est une certitude. Mais surprise : pris au dépourvu, ses membres ne semblaient pas du tout informés de cette initiative. « Nous n’avons pour l’heure, toujours pas trouvé qui pouvait être l’auteur de ces affiches. En tous les cas, il ne s’agit pas d’une décision du bureau local. Cette affiche semble très politisée ce qui est contraire à nos valeurs pour deux raisons : ce sont des attaques personnelles ce que nous ne faisons pas puisque nous laissons chaque personne libre de son propre parcours et nous n’attaquons pas les gens personnellement car c’est très agressif. Ensuite, nous sommes apartisans, politiques, certes, mais nous n’appelons à voter pour personne et ce depuis le début de nos actions ». XR cherche toujours, ce qui voile d’autant plus l’origine de cet acte nouveau dans le paysage, d’une violence inhabituelle : « Nous n’avons pas encore les réponses de tout le monde et c’est pourquoi nous ne pouvons, pour l’heure, affirmer qu’il s’agisse d’une initiative isolée. Nous avons eu une assemblée générale, lundi 15 juin, concernant la retenue collinaire de la Féclaz, nous avons évoqué les affiches des vitrines des commerçants mais rien n’a été décidé en ce sens. La typologie de XR a été utilisée, mais pas de lien de contact ou de nom, juste le logo, ce que tout le monde peut avoir sur internet. En règle générale, ce type d’action d’affichage est décidé en collectif, à plusieurs, et là, rien de tout cela n’a été décidé ».
Plus tard dans la journée du 18 juin, XR et Youth for Climate ont toutes deux co-signé un communiqué de presse : « Nous dénonçons cette campagne d’affichage et le message qu’elle porte, qui usurpe l’identité de collectifs et de militants pour tenter de décrédibiliser des opinions qui leurs déplaisent. Nous rappellons également le caractère apartisan de notre engagement, et notre opposition à toute récupération politique de nos actions. Enfin, nous exprimons notre solidarité envers les commerçant.e.s visé.e.s par cette affiche, dans une période où beaucoup font déjà face à d’importantes difficultés. »

Soutien unanime des commerçants

La réaction du maire, Michel Dantin, ne s’est, quant à elle, pas faite attendre, le 18 au matin : « Des gens avaient déjà fait pression sur les commerçants depuis l’épisode des affiches de soutien à Ravet » , explique-t-il. Sur les réseaux sociaux, il s’est dit « profondément choqué par ces méthodes ». Dessous, les commentaires se sont enchaînés, les accusations allant bon train, au gré des préférences partisanes et des colorations personnelles. Partenaire privilégié d’Extinction Rébellion, l’association « Youth for Climate » est rapidement montée au créneau pour se désolidariser « de cet affichage qui va à l’encontre de ce que nous prônons dans nos actions » , s’est insurgé Yves Macquet. « Les commerçants sont nos partenaires, nous voulons favoriser le retour des gens en centre ville, sans avoir besoin de la voiture. C’est ce qui nous mobilise et ce qui se passe ne doit pas nous détourner de notre idée d’origine : le mieux vivre ensemble. » Ciblé, nécessairement, le collectif Ravet a également écarté toute responsabilité dans cette triste affaire : « Nous sommes horrifiés par cette affiche et surtout atterrés pour les commerçants, qui sont nos partenaires et non nos ennemis, ils animent la ville et font vivre le centre ville. Nous sommes contre le parking mais pas contre les commerçants. Ils sont pris en tenaille dans une guerre qui ne les concerne pas. Ces affiches n’ont pas de sens, si c’est une plaisanterie elle est de très mauvais goût. C’est indécent, nous continuerons à aller chez les commerçants. » 

« Nous appelons chacun à garder la sérénité et le recul nécessaire à la qualité du débat public »

Laurent Ripart, leader de « Chambéry poing levé », membre du Nouveau parti anticapitaliste, a dénoncé des « méthodes déplorables ». Selon lui, « coller le nom des gens comme ça, ce n’est pas notre culture. Si c’était nous, on s’attaquerait directement au maire avec notre nom ». Il n’hésite pas, cependant, à désigner des responsables : « Ce sont des méthodes propres à l’extrême droite, nous en avons déjà vu des comme ça, à la fac, qui se faisaient passer pour des gens d’extrême gauche avec des slogans approchants des nôtres ; il s’agit toujours des mêmes groupes. »  Un élément, seulement, attire notre attention : quelques jours auparavant, le 11 juin, un message du même type circulait sur Facebook (voir ci-contre)… avec les mêmes commerçants, dans le même ordre (avec les mêmes fautes pour certains). Un post curieusement effacé dans le courant de la journée du 18 juin.
Un communiqué de presse paru en fin de journée le 18 juin des quatre responsables locaux du Parti socialiste, d’Europe Ecologie les Verts, de l’UDI et du Parti Radical a fermement condamné tant les auteurs de cette affiche, que ceux qui l’ont relayée sur les réseaux sociaux : « Ce matin les Chambérien.nes ont découvert des affiches appelant au boycott de commerçants chambériens, en les nommant ! Nous condamnons fermement celles et ceux qui sont à l’origine de ces affiches, mais aussi celles et ceux qui les ont diffusées et relayées sur les réseaux sociaux. Nous n’accepterons jamais que la délation, la vindicte publique et la calomnie remplacent l’argumentation et abîment nos valeurs démocratiques et républicaines. Nous appelons chacun.e à garder la sérénité et le recul nécessaire à la qualité du débat public. La malhonnêteté de ces méthodes disqualifie ceux qui les utilisent en croyant pouvoir s’en servir à des fins de manipulation électorale. Que tous les commerçants chambériens soient assurés de notre respect et de notre attention, tout particulièrement dans le contexte de morosité actuelle aggravé par la crise sanitaire, économique et sociale. Qu’ils sachent notre détermination à agir pour une ville apaisée, dynamique et à l’écoute de chacun.e ».
En tout état de cause, à l’heure où est publié cet article, nul n’est donc en mesure de dire avec certitude qui est à l’origine de cette affiche. La prise de position d’une partie des commerçants chambériens en faveur du parking Ravet, au début du mois de juin, semble être à l’origine de cet affichage outrancier. Déjà, nous nous interrogions dans ces colonnes le 6 juin dernier, le parking Ravet doit-il encore être un sujet au cœur de la campagne ? A quelques jours du second tour, ne serait-il pas de bon ton, d’élever le débat ?