article

Novalaise : associer inclusion et handicap, le pari magnifique de deux parents

Par Jérôme Bois • Publié le 07/09/21

A quelques jours du vote, 156 projets se retrouvent en lice afin de bénéficier d’un budget citoyen alloué par le département, une initiative lancée en octobre 2020 et qui aboutira d’ici un mois. Ces budgets, à destination de projets visant à améliorer le quotidien des Savoyards, ont eu le don d’attirer bon nombre de porteurs, parmi lesquels une famille de Novalaise ; leur proposition, retenue, consiste à réaliser une aire de jeu inclusive, pouvant mêler enfants valides et souffrant de handicap, ainsi qu’à doter la plage du Pré d’Argent de matériel à destination du public handicapé. Parce que ce public-là, Christelle et Nicolas le connaissent bien…

 

Une modélisation de ce à quoi pourrait ressembler l’aire des Quatre-Saisons.

Elle s’appelle Coline, elle a vécu, jeudi 2 septembre, sa toute première rentrée scolaire. Un événement en soi, un instant extraordinaire, au sens premier du terme, pour une fillette si différente et pourtant si pleine de vie. Porteuse d’une mutation d’un gène Gabra 1 – un neurorécepteur – qui impacte son développement moteur et cérébral, elle réclame une attention toute particulière. Et surtout, doit bénéficier d’une logistique des plus imposantes lorsqu’il s’agit d’organiser ses journées. Rieuse, curieuse, Coline est une petite fille tellement attachante que son accueil, à l’école et en crèche, ne put qu’être des plus agréables. « Avant, j’étais sensible au handicap comme tout le monde » , confie Christelle, « mais avec Coline, je me rends compte de ce que représente avoir un enfant polyhandicapé à charge ». On ne connaît que très peu de cas similaires, « de 40 à 100 cas tout au mieux dans le monde » , confirme Christelle, il apparaît néanmoins que le cas de Coline « serait unique ». Marchera-t-elle ? Pourra-t-elle se tenir assise ? Quelles seront ses capacités cognitives ? Rien ne permet de le savoir, la rareté de sa pathologie condamne la recherche à de maigres subsides. Avoir pu l’intégrer en crèche et désormais en maternelle fut un immense pas en avant ; ne serait-ce que pour la rentrée scolaire, il a fallu tout anticiper, au point pour ses parents d’y passer une grosse partie de la nuit précédente. Le quotidien est un défi, leur cas ressemble pourtant à celui de beaucoup d’autres familles, soumises au handicap lourd et à ce que cela représente comme charge de travail et comme coût. Mais les obstacles ont renforcé la détermination de Christelle et de Nicolas, il était temps de franchir un nouveau cap. « Comme nous voyons aujourd’hui ce que c’est, nous avons imaginé ce double projet d’aire de jeu et de plage inclusives. Ça nous trottait dans la tête » , explique-t-elle. Pour faire cohabiter valides et non valides et ne plus laisser ces derniers sur le bord du chemin. Et afin d’alléger ce quotidien lourd à porter.

Trois pôles inclusifs rien que sur Novalaise

Alors quand le département de Savoie lance le budget citoyen « vos projets pour la Savoie » , à l’automne 2020, avec un million d’euros à la clé pour l’ensemble des 31 projets retenus, Christelle et Nicolas pensent pouvoir tirer leur épingle du jeu car le sujet du polyhandicap est finalement peu évoqué et surtout d’intérêt public. Ils envisagent la réalisation de deux aires de jeu inclusives, place des Quatre-Saisons et aire de la Fatta, des espaces « où les enfants pourraient jouer ensemble » , ainsi qu’un appareillage permettant aux personnes à mobilité réduite d’aller dans l’eau en toute sérénité, plage du Pré d’Argent, soit trois pôles d’aménagements en un seul dossier.

Un trampoline au ras du sol pour accueillir les fauteuils…

« Un jour, à la plage, j’ai vu une personne en fauteuil entrer dans l’eau à quatre pattes, comme elle pouvait. Ça nous a secoués. On s’est aperçu que l’accès à l’eau était restreint alors qu’il existe des tiralos, des fauteuils roulants imaginés pour conduire ces personnes jusqu’à l’eau, il n’y en a que quelques-uns sur le lac du Bourget mais pas ici ». Un appareil à 2 000 euros ! Les trois pôles cumulés engageraient une somme de 83 000 euros.
Le dossier déposé, au printemps dernier, le couple patiente car les initiatives sont nombreuses autour de lui. Et par bonheur, « Dépassons le handicap à Novalaise » figure parmi les 156 dossiers retenus, soumis au vote du public à compter du 10 septembre*. Le spectre est large : sur ce même canton du Bugey savoyard, d’autres dossiers ont été déposés pour la mise en service d’un espace de fabrication numérique, d’un espace intergénérationnel, pour la création d’une yourte culturelle, la mise en service d’un bus partagé… La concurrence fait rage, il appartiendra aux internautes de se positionner. Tous les Savoyards dès l’âge de 10 ans auront à départager ces 156 projets, et devront choisir leurs trois coups de cœur. 31 projets seront primés, une aide financière leur sera attribuée pour une réalisation à suivre dans les deux ans. Tentant.

« Il faut une prise de conscience… »

Lorsqu’ils commencent à faire connaître leur projet « Dépassons le handicap à Novalaise » , Christelle et Nicolas ne se doutent pas que de nombreux parents se reconnaissent dans ces difficultés du quotidien. Les messages de soutien affluent. La mairie de Novalaise se dit emballée, « on a fait venir une ergothérapeute duCentre d’action médico-sociale précoce de Chambéry (CAMSP) pour valider le module que nous souhaiterions implanter sur les aires de jeu » , souligne Christelle. En somme, leur idée prend corps. Sol en revêtement mou, trampoline au ras du sol, modules musicaux, tourniquet, ils pensent à tout et surtout, ils insistent, « il n’est pas question d’être sectaire et de créer des pôles exclusivement réservés aux enfants handicapés » , tout est imaginé pour un brassage, pour que le regard des enfants soit empli de bienveillance. « On nous a dit » pourquoi faire ça, il n’y a pas d’enfants handicapés sur ces aires« . Ben justement, c’est peut-être parce que les jeux ne sont pas adaptés ». Indiscutable. En dépit du temps passé à monter le projet et sans certitude aucune sur l’issue du vote, le couple se dit toutefois heureux, « on a l’impression d’avoir déjà gagné parce qu’on parle du handicap, on a eu des retours, la mairie nous soutient… Bien sûr, on préférerait que les aménagements se concrétisent mais voilà, on a déjà gagné cela ». Claudine Tavel, maire de Novalaise, s’est montrée très intéressée par cette initiative du cru, « il faut une prise de conscience et cette démarche y participe. Nous avons ici, place des Quatre-Saisons, un espace où se côtoient un Ehpad et une école élémentaire, c’est déjà faire de l’inclusion. Il y a le marché, qui s’y insère, des jeunes, avoir cette aire irait dans ce sens ».

De Vannes à Meaux, de Grenoble à San Antonio…

Si ces trois pôles inclusifs constitueraient une première en Savoie, d’autres communes françaises se sont déjà mobilisées, récemment. Ce qui est sans doute le plus bel exemple de ce que peut être une aire totalement inclusive, Vannes, dans le Morbihan, qui a investi jusqu’à 500 000 euros pour la réalisation d’une vaste aire de 750m², dotée de 30 jeux et de 50 activités ludiques, réservée aux 2 – 14 ans.

Coline et sa grande sœur, Emma.

En début d’année, Meaux avait engagé 187 000 euros pour la confection d’une aire de 362m². Grenoble possède la sienne depuis mars 2020, square Saint-Bruno, ce type d’équipement se démocratise, l’effort réclame juste un peu de continuité… Ainsi, la région Auvergne Rhône-Alpes participe aussi à la réalisation d’aires inclusives, abondant à hauteur de 80% des dépenses éligibles mais dans la limite de 15 000 euros par projet. On est encore loin de la folie magnifique de ce père de famille texan, qui a, pour sa fille, autiste et en fauteuil, bâti un parc d’attraction totalement inclusif à San Antonio en 2007, en échange de quelque 51 millions de dollars. Pour zéro rentabilité. Mais le père dit aujourd’hui n’éprouver aucun regret alors qu’importe… Christelle et Nicolas le promettent, « nous ne faisons pas cela pour Coline mais pour tout le monde ». Ils ne sont que les porteurs d’une ambition immense, finalement, celle d’un melting-pot au cœur duquel l’individu, même handicapé, ne souffre d’aucune forme d’exclusion. Car pour le département, voir s’implanter un tel équipement pourrait être de nature à créer – enfin – un élan sans précédent en faveur du handicap et de l’heureuse cohabitation entre valides et non-valides. « Ceux qui ont le plus de besoins sont les personnes en fauteuil ; la sensation d’être sur un trampoline, ils ne la connaissent pas » , sourit Christelle. Comme tant d’autres sensations, tactiles, musicales, sensorielles, que proposent ces aires d’un nouveau genre… Rien que pour cela, ça vaut le clic… Ça valait aussi l’impressionnant labeur accompli par toute une famille depuis plusieurs mois.

* Pour comprendre le concept de budget citoyens, cliquez ici. Une fois sur le site www.vosprojetspourlasavoie.fr, créez votre espace personnel pour pouvoir voter. Chaque projet est classé par canton et par thématique : environnement, vie sociale et solidarité, sports et loisirs, culture et patrimoine et mobilités et aménagements. A vous de jouer !
Pour en savoir plus, consultez la page Facebook du projet.

Tous les commentaires

0 commentaire

Commenter