Il est celui qui a placé Lourdios-Ichère sur la carte, celui qui chante en plein hémicycle, celui qui met sa vie en péril dans les coursives de l’Assemblée nationale, il est le berger devenu député, deux fois candidat à une présidentielle, d’autant plus incontournable qu’il n’appartient à personne. Sa force et par incidence, sa faiblesse. Jean Lassalle a vieilli de cinq ans, montre des signes de nervosité qui n’apparaissaient pas en 2017, a quelque peu coloré son discours d’attitudes anti-système. A la fois bouffée d’air pur dans un vase clos et indomptable canasson, autant capable de parler vrai que d’insulter un journaliste. Inclassable.
Il pourrait se vanter d’incarner à lui seul la définition de l’opiniâtreté. Jean Lassalle vient tout juste d’annoncer sa cinquième participation aux législatives (pour quatre mandats, jusqu’ici) tandis que s’achève sa deuxième (dernière ?) campagne présidentielle. Pour sauver 90 emplois de l’usine Toyal sur ses terres des Pyrénées Atlantiques, il avait fait grève de la faim jusqu’à s’en bousiller la tuyauterie, en 2006. Pour afficher son respect du mouvement gilet-jaune, il sera le seul à s’en parer, en pleine assemblée en 2018. Excessif, Jean Lassalle est une variable dans un milieu constant. Electron libre, porteur des valeurs chères à son terroir, il a sans doute plus fait pour la notoriété de son Béarn natal que la sauce éponyme.
« Il est à fond, vous savez »
Seulement, au gré de quelques dérapages verbeux, de quelques saillies douteuses (la France serait une dictature, un journaliste de France Info qualifié de chien, à l’antenne…), l’homme de 66 ans (il fêtera ses 67 ans le 3 mai) a fini par lasser l’opinion. Sa cote n’a jamais réellement décollé même s’il peut se targuer de taquiner Anne Hidalgo et le PS dans les sondages. Victime de « son côté réactif » , souligne Vincent, militant et relais départemental de Résistons !*, le mouvement fondé par Lassalle lui-même. Il peut interpeller. Défini comme un « humaniste centriste » , il « respire le terroir ». « Il a toujours fait des trucs remarquables » , confie Vincent, énumérant ainsi les coups d’éclat précités « tout en étant à 100% sérieux dans sa démarche ». En gros, il ne candidate pas pour amuser la galerie. « Il est à fond. Vous savez, en politique, il faut être costaud, comme avait dit François Mitterrand, c’est au bout de la 3e fois que ça marche ». Lassalle en 2027 ? Et pourquoi pas ? Crédité d’1,2% en 2017, il n’avait pas franchi le cap des 5% signifiant le remboursement des frais engagés, il y a fort à parier que ce soit de nouveau le cas, dimanche soir. Mais avec un score sans doute supérieur, ce que les intentions de vote laissent suggérer, jusqu’à, pourquoi pas selon son porte-parole Pierre Claret, « dépasser Yannick Jadot et faire plus de 5% ». « Il n’est pas interdit de rêver, il arrive souvent des choses improbables en politique » , reprend Vincent qui, en fan de la première heure de Coluche, voit en son candidat un homme bien plus fin que ne le laisse supposer son côté exubérant. La faconde et les frusques de bon Français du comique à la salopette s’accommodaient fort bien, il y a 40 ans, d’une grande finesse d’analyse ainsi que d’une certaine liberté de ton. On peut voir en Jean Lassalle une forme de parenté avec le grand Michel, homme libre, sans appareil, « né dans son village, député de son village » , garant de son terroir. « D’une certaine façon » , insiste Vincent, « il a même tendance à ringardiser ceux qui sont campés dans leurs écuries respectives, il n’est pas buté sur une idéologie, il est un ovni ».
Entre 2017 et 2022, le ton se durcit
L’une de ses dernières venues à Chambéry (avec le festival international des métiers de la montagne en 2020) remonte à octobre 2014 et le congrès de l’Association nationale des élus de montagne (Anem) à Malraux, et au beau milieu d’une foule de 500 personnalités, dans un silence de plomb, une voix s’élevait, caverneuse, à l’accent bien mis. La sienne. Les discours de Manuel Valls, alors premier ministre, ou de Laurent Wauquiez, sur l’avenir nos montagnes, il n’y goûtait guère. Les « Oh ! », les « Ah ! » grondaient dans l’assemblée. La grand public allait le découvrir 3 ans plus tard, « à un moment où il était entouré de gens de gauche, de centre gauche ». Son célèbre « les autres ils vont vous baiser » , lancé en plein bain de foule en avril 2017 est encore dans les mémoires. Ses sorties teintées de misogynie, d’ironie, dont les Français raffolent, également. Sa faculté à donner son numéro de téléphone mobile à qui n’en veut le rend éminemment proche des gens et les sondages Ifop – un peu vains – indiquant avec quel candidat les Français souhaiteraient partager un barbecue le renvoient bien à cet image du « bon pote d’à côté ».
Seulement, on l’a vu, depuis, le ton s’est durci, « déjà, comme tout le monde, il a pris cinq ans, et il a basculé de la même façon qu’évolue la société » , une société mise à genoux par les gilets jaunes, la crise sanitaire et maintenant la guerre en Ukraine. Une société où la méfiance et la défiance se confondent. La presse s’est emparée du personnage pour en visiter la face sombre ; ses tendances « conspirationnistes » , comme le stigmatisait France Inter le 17 mars dernier, son accolade à Eric Zemmour, pointée par le site de fact checking Conspiracy Watch… Ne lança-t-il pas à la figue d’un parterre de journalistes médusés, le 4 avril dernier sur Europe 1, qu’il y avait « en France une dictature qui tue impitoyablement en silence » peu de temps après avoir déclaré sur RMC que nous serions « en dictature molle » ? Une évolution qui ne le rend pas moins « concerné » selon ses suiveurs, « c‘est une personne qui a vraiment une idée de la France. Il connaît la France. C’est un vrai politique, contrairement aux autres qui n’ont pas forcément travaillé les dossiers » , faisait remarquer Pierre Claret sur France Bleu Haute-Garonne. « Il est un berger qui a pris son destin en main », rappelle Vincent. « Il est habité, sa mission est transcendante, il bosse peut-être 100 heures par semaine pour être au service des Français, il se met à la disposition de tous les Français. Parce que quand vous êtes élu, c’est 24h sur 24 ! » C’est Jean Lassalle, personnage incontournable et inclassable, dont les excès rappellent que la politique existe aussi pour les trublions et les chants béarnais. De là à en faire un président, il reste un pas à franchir… Réponse dimanche.
Pour tout savoir de sa campagne, cliquez ici.
* Il est le relais haut-savoyard. Le mouvement Résistons ! bénéficie de quatre relais sur le secteur Rhône-Alpes, en Drôme, Ardèche, Loire et Haute-Savoie.
Tous les commentaires
0 commentaire
Commenter