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Chambéry : non mixité et dénominations de rues jugées discriminatoires en débat au conseil
Par Jérôme Bois • Publié le 15/03/23
Inscrite à l’ordre du jour du conseil municipal du 13 mars, séance plus que copieuse avec près de 5h30 de débats, la présentation du rapport sur l’égalité homme/femme a in fine dévié de son objectif initial d’information aux élus, pour aboutir à un âpre échange autour des groupes de parole en non-mixité et surtout autour de « l’introduction d’une différence sur la couleur de peau dans la dénomination des noms de rue à Chambéry », comme l’a défini avec force l’opposition. Des débats bien d’actualité et qui ont éclipsé le gros morceau du cette séance, le vote du budget.
En préambule au rapport sur l’égalité homme/femme, Sophie Bourgade, adjointe en charge de la ville inclusive, a fait un aparté sur la quinzaine de l’égalité, qui a démarré à Chambéry le 8 mars, journée internationale des droits des femmes et qui doit s’achever le 24 courant. Une deuxième édition pour une ville sans discriminations, avec au menu, des conférences, des ateliers participatifs, des réunions, des projections…
Lessiveuse et non mixité
Si les thématiques propres à cette manifestation désormais gravée dans l’agenda local, n’ont apporté aucun commentaire, ce sont bien certaines actions en particulier, considérées comme « discriminatoires » par Philippe Cordier, qui ont alimenté le débat. Les actions incriminées sont les groupes de parole non mixtes, organisés les 9, 12, 16, 19 et 21 mars par « la Lessiveuse », collectif féministe « en émergence qui interroge l’hétéropatriarcat*, basé sur Chambéry ». Groupes de parole féministe non mixte, comme indiqué sur le livret de présentation de la quinzaine, « lieu d’expression, de soutien, pour partager expériences et ressentis ». « Et d’où sont par conséquent exclus les hommes » , martelait le conseiller municipal, qui en appelait aux principes républicains pour appuyer son propos. « Elles sont en totale contradiction avec le label affiché, celui de Chambéry, ville inclusive, et exclut des participants en raison de leur genre. Non mixte, cela veut dire ‘interdit aux hommes cis genre‘ », à savoir dont le genre déclaré correspond au sexe déclaré à la naissance. « C’est une pratique condamnable, discriminatoire, contraire à nos principes républicains d’égalité, de liberté d’expression et de réunion, d’universalité, d’ouverture aux autres et au débat contradictoire, elle incite par contre à l’entre-soi, au repli communautaire et à la fragmentation de notre société ». Elle contredit aussi l’engagement 4 du contrat d’engagement républicain**, qui impose aux associations de respecter et d’encourager l’égalité et la non discrimination. « J’espère qu’il s’agit plus d’un manque de vigilance de votre part que d’une réelle adhésion apportée à ce type de pratiques » , a conclu Philippe Cordier, demandant que ces réunions soient retirées du programme de la quinzaine si le collectif ne renonçait pas au principe de non mixité.
« La non mixité, un outil, pas une fin en soi »
Il y a deux ans, l’Unef, syndicat étudiant, s’était fait remarquer en organisant des réunions en non mixité, donc réservées à certaines catégories d’étudiants. Le site France Info rappelle même qu’un festival féministe, Nyansapo, avait déjà mis en place ce type de rassemblements dans le cadre de sa programmation en 2017, levée de bouclier à la clé. Outil militant, médical, social, la non mixité est perçue comme un moyen et non comme une fin en soi. Pour les partisans de ces pratiques, la non mixité agit comme un libérateur de parole, en particulier lorsqu’elle traite de la sensible question des violences faites aux femmes, à l’intérieur d’un espace sécurisant. Pour les contempteurs du non mixte, il s’agirait plutôt d’un racisme déguisé, d’une solution qui recrée ce que ce principe prétend combattre. Thierry Repentin évoqua « d’autres réunions réservées aux femmes, sous l’autorité du préfet de Savoie, l’une qui concernait les difficultés spécifiques des femmes pour la création d’entreprise, et une seconde dans le cadre de la journée internationale pour les droits des femmes, les deux, donc, dans l’agenda officiel de la préfecture ».
« Ces temps de non mixité ou de mixité choisie ne sont pas des temps d’exclusion de la même façon que dans une équipe de foot de garçons, les femmes ne peuvent pas jouer et ce n’est pas de l’exclusion, tenta d’expliquer Sophie Bourgade, ces temps sont des outils et pas des fins en soi » , comme le résumait la philosophe Geneviève Fraisse, spécialisée dans la pensée féministe. « Et le fait que des femmes puissent discuter de ce qui leur arrive parce que ça les aide à être plus en phase avec ce qu’elles veulent être est un outil. C’est assez difficile pour les personnes pas fans de ces méthodes de comprendre à quel point c’est compliqué, pour une femme, de s’exprimer autour de problématiques aussi sensibles que les violences sexistes ou sexuelles, le harcèlement, etc.
Dans ces réunions-là, les femmes peuvent discuter parfois de choses très violentes et le fait qu’il puisse y avoir des hommes les empêcherait de prendre la parole. Ce que propose cette association est un sas qui permet d’aller ensuite parler aux hommes de ces problématiques« . Rien qui puisse convaincre Philippe Cordier, fermement accroché à son indignation : » La comparaison faite avec les événements organisés par la Préfecture n’a pas lieu d’être car les hommes n’étaient pas exclus de la participation contrairement à la manifestation en cause, qui interdit les hommes de toute participation à ces réunions. Vous semblez cautionner ce type de démarches, je trouve cela fort regrettable« . L’élu se défendit de toute approche partisane, citant en cela Najat Vallaud-Belkacem qui, en 2016, alors ministre de l’Education nationale sous François Hollande, s’était émue de la tenue d’un camp d’été décolonial interdit aux blancs : » Sur le plan des principes, que les choses soient claires, je condamne absolument la tenue de ces réunions comme celle de ce camp d’été que vous évoquez. Ces initiatives confortent une vision racisée et raciste de la société qui n’est pas la nôtre. Ces initiatives sont inacceptables parce qu’au bout de ce chemin-là, il n’y a que le repli sur soi, la division communautaire et le chacun chez soi« . » Entre une réunion de deux heures entre femmes et le repli sur soi communautaire, il y a des kilomètres… « réagit Sophie Bourgade.
Dénomination de rues : l’opposition dénonce « un précédent grave à Chambéry… »
Second point de discorde, alors que le fait majeur de cette séance du conseil municipal devait demeurer le vote du budget 2023, le souhait de renommer certaines rues chambériennes. Et là, c’est Aloïs Chassot qui a bondi de sa chaise, au point de se fendre d’un communiqué de presse en cours de séance : « Au détour du rapport annuel sur l’égalité femme/homme dans les objectifs 2023, la municipalité souhaite nommer de nouveaux lieux avec des noms de personnes ‘non blanches’. Ce terme ‘non-blanc’ introduit donc une différence sur la couleur de peau entre les citoyens et les personnalités qui auraient pu voir leur nom figurer sur le domaine public. C’est donc un précèdent grave à Chambéry. C’est anti-républicain, anti universaliste, racialiste et contraire à l’article 1 de notre constitution. Malgré notre demande de retirer, du rapport et des objectifs, ce terme ‘non blanc’ le maire et l’ensemble des élus de la majorité n’ont pas souhaité modifier le texte ». Qu’en est-il au juste ?
Alors que le rapport pointait la place des femmes et des minorités dans l’espace public, il été signalé qu’à Chambéry, 5% des noms de rues attribuées à des personnes étaient accordées à des femmes. En conséquence de quoi, « la municipalité souhaite nommer de nouveaux lieux avec des noms de femmes afin de faire connaître des Savoyardes qui se sont illustrées dans l’histoire locale et d’accroître la visibilité des femmes et des personnes non blanches dans l’espace public ». Une proposition d’action allant dans le sens, selon Aloïs Chassot « d’une tendance qui consiste à diviser, à pointer du doigt des personnes, à discriminer, à monter les uns contre les autres » manifestée déjà, selon lui, par l’instauration d’une journée du matrimoine, spécifiquement dédié à l’héritage laissé par les femmes, « événement qui ne met en avant que des femmes alors que notre héritage est commun. Mettons les deux en avant et non pas les uns opposés aux autres. Pendant que vous vous gargarisez sur des mots, les inégalités structurelles continuent. Et ce n’est pas avec des coups de com’ ou de marketing que les choses vont évoluer ». Il en venait alors au point dur de cette présentation, passée sous silence jusqu’ici : « Vous dites que la ville souhaite renommer des rues avec des noms de personnes non blanches. Non blanches, martela l’élu. C’est racialiste et contraire à l’article 1 de notre Constitution et à la déclaration des droits de la femme. Allez-vous fournir en annexe un nuancier des couleurs ? ».
Il en appelait au « bon sens savoyard. Nous avions constaté, comme vous, qu’il manquait des noms de femmes pour baptiser de nouvelles voiries, nous avons cherché des femmes qui ont marqué la ville ». Il indiquait que le préfet de Savoie avait été saisi par le groupe Aimez Chambéry.
« Tout le monde n’a pas eu la reconnaissance de la République qu’il méritait »
Sophie Bourgade promit qu’en 2024, journées du matrimoine et du patrimoine ne formeraient plus qu’un seul et même événement. Quant à remettre des femmes dans l’espace public à travers les dénominations de rues, elle insistait sur ce rapport de 5%-95% évoqué plus haut. « C’est un travail de fond, pas abouti, pédagogique. Cela ne signifie pas exclure les noms d’hommes de l’espace public. Et sur le terme ‘personnes non blanches’, il est difficile de choisir les bons mots, c’est encore compliqué en France… On peut dire ‘issues de l’immigration’, ‘issues du colonialisme’… Ce sont des catégories de personnes dont l’histoire n’est pas retranscrite dans les rues de la ville et nous souhaitons faire un geste. Ce ne seront pas nécessairement des femmes. Il faut faire un peu de place, ça ne veut pas dire que l’on arrête de reconnaître la place des hommes ici ». Pas de quoi convaincre l’élu d’opposition. « Vous maintenez, tous autour de cette table, le terme ‘non blanc’, cette différence autour de la couleur de peau. Il ne doit pas y en avoir ! Nous sommes tous des êtes humains. Les gens mis en avant sont des gens qui ont fait rayonner Chambéry ».
« Dans notre pays, la place des femmes n’a pas été ce qu’elle aurait dû être. Et parmi les rues de Chambéry, qu’il n’est envisagé de débaptiser, il y a suffisamment de lieux et d’espaces, de salles de réunions qui permettront une reconnaissance de femmes qui ont apporté à la République et à Chambéry, mais aussi d’hommes et de femmes issus de la diversité » , conclut le maire, qui dénonça un débat habituellement porté par des formations politiques plus à droite encore. « Ne cherchez pas à polémiquer, nous sommes d’accord pour dire que tout le monde n’a pas eu la reconnaissance de la République qu’il méritait. Personne ne nous en voudra d’apporter de la diversité et de la féminité à des espaces chambériens ». Fin du débat. Pour le moment.
* Qui décrit la domination de genre masculin et de l’hétérosexualité sur les autres genres et orientations sexuelles.
** Le contrat d’engagement républicain (CER), inscrit dans la loi dite « Séparatisme » du 24 août 2021, est une série d’engagements auxquels doit souscrire toute association ou fondation « qui sollicite une subvention d’une autorité administrative ou d’un organisme chargé de la gestion d’un service public industriel et commercial, qui demande un agrément d’Etat ou la reconnaissance d’utilité publique, qui souhaite accueillir un volontaire en service civique ». Elle se compose de sept engagements :
- Respect des lois de la république (engagement n°1)
- Liberté de conscience (engagement n°2)
- Liberté des membres de l’association (engagement n°3)
- Egalité et non-discrimination (engagement n°4)
- Fraternité et prévention de la violence (engagement n°5)
- Respect de la dignité de la personne humaine (engagement n°6)
- Respect des symboles de la république (engagement n°7)
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