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Jérôme Rodrigues à Chambéry : « Ensemble, on peut tout faire, alors qu’eux ont tout mais ne font rien »

Par Laura Campisano • Publié le 05/05/19

Tout a-t-il été déjà dit sur cette visite de Jérôme Rodrigues à Chambéry, pour l’acte XXV des Gilets jaunes les 4 et 5 mai 2019? Pourquoi près d’un millier de personnes a fait le déplacement, d’Ardèche, d’Isère, pour rencontrer un homme « comme tout le monde » avant de défiler dans une ambiance bon enfant? Le Petit Reporter a voulu en savoir plus.

Samedi 4 mai, sur la place du Palais de Justice, des citoyens vêtus de jaune fluo se sont rassemblés pour la 25ème fois, depuis le 17 novembre dernier. Au milieu d’eux, mais pas tout à fait comme tous les autres, un homme, chapeau d’artiste, longue barbe et lunettes de soleil cachant les séquelles d’une précédente manif où rien ne s’était passé comme prévu… Lucie, « Gilet jaune de Belley » partage avec lui non seulement un patronyme, des origines mais aussi l’appel au pacifisme. C’est elle qui l’a contacté sur les réseaux sociaux au tout début du mouvement, il y a six mois. « Ce qui m’a plu dans ce qu’il disait, c’est cet appel au rassemblement pacifique, cette envie de montrer que ce qui se passe n’est pas normal mais sans violence » sourit-elle, tout en marchant dans le cœur du cortège.

 

Dès son arrivée sur la Place du Palais de Justice, Jérôme Rodrigues est sollicité par des manifestants

Un mot d’ordre: rassembler

 

Près d’une heure pour traverser la place, tant « la famille » voulait l’approcher, se faire prendre en photo avec lui, discuter, en savoir plus, le remercier. Tous ceux qui étaient présents voulaient passer deux secondes avec lui. Et pour cause, Jérôme Rodrigues sait parler aux gens. Sans mots savants, non, il leur parle, les écoute, leur accorde de l’attention et les gens aiment ça. C’est humain. Mais il sait aussi haranguer, donner de la voix et rassembler. On lui a prêté des airs de « star », le service de sécurité autour de lui, bénévole, constitué de gilets jaunes aussi, une garde rapprochée. Mais le principal intéressé a coupé court. « La star ici, ce n’est pas Jérôme Rodrigues, ce n’est pas Eric Drouet, la star c’est la base du mouvement, c’est vous, c’est nous, c’est nous tous! » a-t-il scandé à ceux qu’il appelait, un à un « ses amis ». « On doit sortir des clans, on doit sortir de ces guéguerres, on doit marcher d’un seul homme » a-t-il rappelé, sous les vivats du public, « nous on n’a rien, et si on est tous ensemble on peut faire un tout, alors qu’ils ont tout et ne font rien! ». Applaudissements.
En aparté, il ne démord pas. Sa détermination est toujours présente, même s’il sait maintenant se canaliser, ses motivations empreintes de bon sens: « Je suis investi parce que j’ai envie que mes gamins vivent mieux que nous! Depuis 40 ans on nous répète que c’est la crise, que rien ne changera jamais, on a été une génération sacrifiée nous! On a eu le droit de respirer de l’air pollué, de se faire vacciner avec on ne sait pas quoi, et Tchernobyl s’est rajouté à ça! C’est pour ça que j’en ai ras-le-bol, que je suis motivé. Les élites ne nous écoutent pas, ils nous vendent du rêve, nous font des belles promesses! »  Jérôme Rodrigues compte bien rester mobilisé, surtout après avoir entendu le discours du Président de la République: « Un bon chef d’équipe doit être exemplaire. Qui va nous donner des leçons? Ce n’est pas en s’auto-congratulant qu’on aboutira à quelque chose, encore moins en nous envoyant la répression pour nous répondre! C’est bien la preuve qu’il n’a pas du tout entendu ce qu’on dit depuis des mois. » renchérit-il.

 

« Pas l’intention de me lancer en politique »

 

Quant au rôle des médias, il sait l’importance du relais de l’information, qu’il souhaite plus impartiale, moins dans le discours préfabriqué.« Aujourd’hui, sur les plateaux télé, il n’y a plus de journalistes, il y a des consultants, des politologues, des gens qui ne seraient jamais venus au cœur des manif, qui auraient marché sur les autres pour sortir des cortèges en cas de galère, là où nous on veut de la solidarité avant tout. Nous ce qu’on veut c’est que les journalistes soient les témoins impartiaux de ce qui se passe et relaient ça, pas ce que le pouvoir a envie d’entendre. » A propos de pouvoir, la question étant sur toutes les lèvres et dans beaucoup de commentaires….« Non, j’ai pas l’intention de me présenter sur une liste ni de me lancer en politique. Je ne suis pas là pour ça. Moi, je suis plombier. Enfin, ça, c’était avant que je sois écorché, là j’ai lâché l’affaire. Pour l’instant, je m’occupe des » Gilets jaunes «, j’essaie de fédérer un maximum, d’empêcher qu’on se dissipe dans des conneries. Je m’occuperai de moi plus tard. » Ce dimanche 5 mai, à 11 heures, Jérôme Rodrigues était toujours en Savoie, au milieu de « sa famille » pour un pique-nique citoyen au Parc du Buisson rond. Ce Parisien compte donc envoyer un message fort aux élites à qui il cherche de faire entendre un mal-être, une injustice sociale qu’il pense encore réparable.

Le dispositif de sécurité était visible dès 11 heures du matin au péage à l’entrée de Chambéry, mais n’était pas massif comme on aurait pu s’y attendre. Compagnie républicaine de sécurité et Police nationale étaient en effet déployés, leur présence intégrée par les manifestants. Comme dans toutes les manifs, même en dehors de ce mouvement spécifique, manifestants et policiers se sont toisés, envoyant des petites piques, les uns confisquant les masques des manifestants, et des « CRS quel est votre métier? Miaou, Miaou, Miaou » scandés dans les rangs, loin des slogans anar des manifestations de 48 « CRS SS » lors de l’envoi de ce tout jeune corps d’élite contre les mineurs de fond de Saint-Etienne et d’ailleurs.

 

Une organisation bien huilée

 

Avec le temps, l’expérience sans doute, les Gilets jaunes se sont organisés. Un service de sécurité, « sérénité », porteur de gilets orange, comme sur les chantiers, relié par talkies avec un responsable à sa tête, tous bénévoles. Une vente de badges, pour financer les déplacements et l’impression des tracts. Un cortège bien huilé, un camion et des micros, une sono. Bref, une manif, comme il en a existé et en existera toujours en France. De la place du Palais de Justice à la rue de Boigne, jusqu’aux Eléphants, à part trois pétards et des cornes de brume assourdissantes, on ne pouvait pas parler de tension. Policiers comme manifestants étaient disponibles, ouverts, sans pour autant se rencontrer autrement que du regard. Chacun avait bien sûr à l’esprit les débordements des autres villes, des autres manifestations, mais à Chambéry, rien de tout cela.

L’effet Jérôme Rodrigues? Cette figure emblématique, rejoint par Ramous, connus des manifestants comme des membres de leur famille?  Ou bien juste parce qu’en Savoie, les Gilets Jaunes savent bien se tenir?  En tous cas, ce samedi 4 mai, dans les rues il y avait des gens qui réclament de la justice, d’autres qui faisaient leur boulot d’encadrement, avec même parfois des petites phrases en écho. Quand la pluie a commencé à s’abattre sur la cité des ducs, un CRS s’est protégé de la pluie avec son bouclier. Pratique pour éviter d’attraper une pneumonie. « Ah non non, mais vous savez on est de l’ancienne génération nous, on est des solides, on a été vacciné avec on ne sait pas quoi et on est toujours là. » Tiens, tiens, on a déjà entendu ça quelque part….quelques minutes plus tôt.  Il suffirait juste de s’écouter pour se comprendre.

 

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