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Samuel Dumoulin : « Ce n’est pas facile de tirer un trait sur le vélo… »

Par Jérôme Bois • Publié le 10/06/19

Originaire de Vénissieux, le cycliste professionnel, Samuel Dumoulin, n’en est pas moins devenu chambérien au milieu des années 2000, lorsqu’il rejoignit la formation AG2R la Mondiale. A bientôt 39 ans (il les aura le 20 août), le puncheur a choisi de mettre fin à sa carrière à l’issue de la saison. Il se raconte au fil d’un entretien sans langue de bois, à un mois du Tour de France dont il ne prendra pas part.


A quand remonte votre décision de mettre un terme à votre carrière ? Je l’ai annoncé il y a une quinzaine de jours (et révélé publiquement lors d’une interview donnée au quotidien Ouest France, le 30 mai dernier, NDLR).
Allez-vous, cet été, participer à votre dernier Tour de France ? Non, une équipe forte s’est formée autour de Romain Bardet, je n’ai plus le niveau, je suis réaliste, j’ai été leader et lorsque je me loupais, je ne me cachais pas derrière de fausses raisons. Mon dernier tour doit dater de 2016 (ce qui est exact, il terminera 130e, NDLR) J’ai toujours eu une démarche honnête envers moi, ça a fait ma force, ça m’a aidé à avancer. J’ai appris à accepter mes défauts et mes défaites, on apprend d’ailleurs davantage dans les défaites que dans les victoires. Il faut arriver à identifier ses défauts pour ne pas les commettre à nouveau ; avec pour objectif de durer.
Est-ce que la lourde préparation à un grand tour va vous manquer ? Non, certainement pas ! Si on arrive à percer, c’est qu’on a cette capacité à la base. Moi, je n’ai pas pu bénéficier de structures de jeunes, comme « Chambéry cyclisme formation »*, où l’on trouve des coureurs qui sont aux portes du niveau professionnel. Je n’ai pas été pris en charge, moi, j’ai dû trouver mon kiné,mon osthéo… Travailler seul, c’est compliqué, ce n’est pas comme das un sport collectif. Jeune, on peut s’infliger ça mais aujourd’hui, tout cette préparation ne va pas me manquer. J’ai néanmoins acquis une certaine rigueur dans la gestion de mon corps, rigueur que j’utilise encore, bien que j’ai très envie de la fuir.
L’exigence du haut niveau revient-elle à s’abîmer le corps ?

« C’est une fierté de rouler pour AG2R »

C’est un sport cependant assez inclassable, à la fois collectif, individuel, avec l’aide d’une machine… Oui, il est totalement inclassable, c’est même pour cela que les gens suivent assidûment le vélo. Tout le monde sait ce que ça fait de grimper un col. D’où l’engouement…

Justement, une fois sur le vélo, vous le sentez, cet engouement ? Ça m’est arrivé qu’on me reconnaisse, à Carrefour, après un tour de France. Mais pendant l’effort, on est absorbé on est trop pris psychologiquement, on sent donc moins l’ambiance autour de nous.
En dépit de votre âge, qu’est ce que cela vous fait d’être toujours membre de la meilleure formation française ? Je suis capitaine de l’équipe, je m’exprime, je transmets, on me conserve malgré mes capacités physiques un peu déclinantes. Aujourd’hui, le fait de savoir que je vais arrêter rend plus difficile la répétition des efforts. Ça reste pourtant une fierté et un confort, de rouler pour AG2R (avec 23 victoires, elle a été la meilleure équipe française sur l’année 2015, NDLR)
Quelles compétitions vous reste-t-il ? Après la Mayenne (il a couru les Boucles de la Mayenne, du 6 au 9 juin, terminant à la 89e place), il restera les championnats de France à la Haye-Fouassière, près de Nantes, du 27 au 30 juin. J’espère qu’après, j’aurai encore quelques compétitions.
Et après, qu’allez-vous faire par la suite ? J’ai déjà envie de souffler. J’ai récemment divorcé, ça m’a déstabilisé, le fait de me sentir seul, tout cela. J’écoute les propositions, notamment d’encadrement d’équipe, j’ai un commerce avec mon frère (la boulangerie-pâtisserie « Les Dumoulin » à Jacob-Bellecombette), je vais peut-être en ouvrir un deuxième. Ce n’est pas facile de tirer un trait.
Vous pourriez entrer dans la structure d’AG2R ? Ils souhaitent, eux, m’accompagner dans cette étape. Quelqu’un comme Laurent Busselier (entraîneur adjoint du Chambéry Handball) a été facilité en passant de joueur à coach au sein de la même formation. Dans le cyclisme, il n’existe pas ce genre de passerelle. J’ai toujours eu des opportunités et je ne suis pas ouvert à tout ; je ne vais par exemple pas rester 15 heures assis derrière un bureau.
Et le métier de consultant ?

« Je suis un fédérateur »

Vu de l’extérieur, la vie d’un cycliste est faite de tentations, grâce à ses confortables revenus : est-ce une réalité ? C’est une vision un peu romancée. Le salaire moyen, dans l’équipe, doit être de 140 000 euros par an, certains grands noms arrivent à atteindre le million mais la vie de tentation, c’est occasionnel, le cycliste n’est pas un gros dépensier.
Vous n’en avez pas le temps ? Disons que l’enchaînement des entraînements et des compétitions est un gros frein.
Comment doit-on vous considérer sur un vélo ? Plutôt puncheur ? Rouleur ? Grimpeur ? Puncheur, avec une bonne pointe de vitesse. Je me connais très bien, je sais mettre le doigt sur mes ressentis pour ne pas commettre deux fois la même erreur. J’ai toujours été « investisseur », ce qui m’a fait gagner 4 à 5 ans de carrière. Si je n’étais pas au-dessus du lot, je faisais preuve de beaucoup de hargne, d’une grosse détermination et d’une bonne vision de course. C’est le fruit du travail. En équipe, je suis expressif, je fédère, j’ai toujours aidé mes coéquipiers.
Vous n’avez donc pas de regrets ? J’ai toujours été à fond, j’ai participé aux plus grandes courses, j’ai eu des résultats.
Comment vivez-vous l’évolution du cyclisme vers du matériel de haut niveau, des équipes sur-préparées, des leaders accompagnés de redoutables équipes ? La préparation et l’encadrement des coureurs, c’est ça qui a surtout changé. Nous sommes plus structurés, on dispose de capteurs de puissance, de matériel high tech, le niveau général s’est densifié, il est beaucoup plus dur de sortir du lot.
Le cyclisme s’est-il aseptisé ? On ne nous empêche pas d’attaquer mais les tempos mis en place par les grosses écuries nous empêchent d’attaquer. Avant, tout le monde avait sa chance, là, le gars qui est au-dessus du lot ne peut rien sans une équipe au top. Il n’y a plus d’exploits, ou alors ils sont moins marquants, on n’assiste plus à des renversements épiques. Il y a bien quelques échappées en montagne. Durcir les courses n’est pas la solution pour rendre le cyclisme plus intéressant. 
Votre statut de puncheur doit vous arranger, alors…

« Athlétiquement, Jan Ullrich était le plus fort que j’ai connu sur un vélo »

Et se souviennent moins de Chris Froome… Il lui manque la flamme…
Vous avez couru avec Armstrong ; était-il vraiment le tyran décrit un peu partout ? C’était quelqu’un d’irrespectueux, d’arrogant. Je suis tombé dans sa grosse période, j’ai participé à trois tours avec lui, de 2003 à 2005, il était tyrannique avec tout le monde.
Quelle a été la personnalité qui vous a le plus marqué, en carrière ? Des types comme Sylvain Chavanel, Voeckler, qui avaient du panache. Je suis proche d’Alaphilippe. Je me dis que j’ai fait partie de l’élite du cyclisme français. Plus généralement, je me souviens de l’affrontement entre Jan Ullrich et Lance Armstrong, en 2003. En voyant Ulrich je me suis dit que jamais je n’avais vu pareil athlète, c’était incroyable, le plus fort athlétiquement sur un vélo.
Vous aviez une idole ? Oui, Laurent Jalabert, quand il était n°1 mondial. J’ai été sélectionné en équipe de France avec lui, c’était particulier. Le genre de coureur plein de panache qu’apprécie le public français.

* « Chambéry cyclisme formation » est le centre de formation de AG2R La Mondiale

Digest

Né le 20 août 1980 à Vénissieux (Rhône). 
Il a débuté en pro au sein de l’équipe Jean Delatour en 2002. 
Il rejoint ensuite l’équipe AG2R Prévoyance, où il évoluera pendant trois ans. 
Puis, en 2007, il part à Cofidis avant de revenir à AG2R en 2013.

Palmarès

Samuel a notamment remporté une étape sur le tour de France, en 2008, entre Saint-Malo et Nantes. Il a gagné trois coupe de France (2012, 2013 et 2016), le Grand Prix la Marseillaise (2012), le tour du Doubs (2016) et le Tro Bro Leon, en 2004, sa première victoire en professionnel.
En 12 participations au Tour de France, il en terminera 10. Son meilleur classement est 90e, en 2014.
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