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Alexandre Jardin : « Rendez-vous avec l’homme ordinaire qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être »

Par Laura Campisano • Publié le 06/07/19

Un « livre-risque », un « livre-chance ». C’est comme ça qu’il appelle le « Roman vrai d’Alexandre », paru il y a tout juste un mois. A la rentrée, Alexandre Jardin sera sur les routes à la rencontre de son public, notamment pour une étape chambérienne. Et ce n’est pas n’importe quel livre qui vient de paraître. Une déconstruction de 20 ans d’histoires qu’il s’est d’abord racontées à lui-même, avant de dire stop, et de tomber le masque. L’homme ordinaire à la vie extra-ordinaire a décidé « d’arrêter de mourir », et pour fêter ça, il nous a confié ses ressentis.
Ce livre, que vous appelez « livre-chance », c’est un cadeau pour vous ou pour vos lecteurs? 
J’ignorais que le cadeau pouvait être reçu, je ne savais absolument pas, si dans notre culture on pouvait écrire un livre comme ça parce que c’est un livre qui n’existe pas, le principe de ce livre n’existe pas. Tout le monde sans même y réfléchir, maintient son personnage, comme s’il était psychiquement très dangereux de baisser totalement la garde.
Diriez-vous que vous vous êtes sauvé la vie, en l’écrivant et en le publiant, surtout?
Disons que ça jette dans un trouble infini, d’écrire un livre comme ça. Plus on approche de la sortie, plus on prend conscience que le livre va exister réellement, et qu’on va donc être confronté à la diffusion de tout ce qu’on a dissimulé. C’est extrêmement inquiétant, on a beau se dire qu’on est prêt, en réalité on l’est jamais vraiment.
Sans doute parce que personne ne fait ça ?
Oui, on n’a pas tellement de repères, on ne sait même pas si on a la moindre chance d’être entendu. J’ai vu ici ou là des gens qui me disaient que c’était une démarche marketing.  Alors ça fait partie du risque, comme ce n’est pas un comportement identifié, identifiable, on peut avoir tendance à vouloir le rejeter dans une catégorie rassurante. Finalement ça en dit beaucoup plus sur la personne qui le dit que sur moi. Je sais bien où je suis. Presque tous les commentaires sur les livres informent davantage sur l’état du lecteur
Beaucoup plus que sur l’état de celui qui l’a écrit ?
Oui, c’est normal. Et j’avais peur de quelque chose, malgré l’extrême sincérité de ma démarche, j’ai quand même voulu faire un livre. Traiter un sujet qui dépasse l’intrigue. Il est question de moi dans l’intrigue, puisque je parle de mon expérience personnelle, mais ce n’est pas du tout le sujet du livre, puisque le sujet c’est la possibilité de se rejoindre à travers l’intrigue d’Alexandre Jardin. Ce sujet m’intéresse encore plus que ma propre démarche.
Vous l’avez fait par souci de transmission donc ?
Oui, parce que j’aurais pu faire ça dans mon coin et ne pas en faire un livre. Ce qui m’intéresse le plus dans ce livre, c’est le sujet. Je lis très souvent des livres, qui ont des intrigues formidables, mais pas de sujet. Aucune partie de la psyché humaine n’est en jeu, aucune inspiration fondamentale, aucun besoin propre à l’espèce. Dans ce livre-ci, il y avait le mélange d’une démarche d’une extrême sincérité, et la volonté d’aller beaucoup plus loin que mon propre cas, qui en tant qu’écrivain m’intéresse moins. La chance de transmettre est beaucoup plus grande.

En fait, vous offrez un miroir au lecteur ?
Oui, pendant l’écriture j’ai navigué entre ma sincérité et le désir non pas d’écrire pour mon lecteur mais à mon lecteur. J’ai l’intention de lui dire quelque chose.

On se sent en effet questionné par ce que vous y écrivez, vous utilisez d’ailleurs un vocabulaire très poétique, différent…

La probabilité qu’il ne soit pas compris était la plus forte, et d’ailleurs c’est un livre qui a été refusé dans son principe par le patron de Grasset, parce que ça lui semblait beaucoup trop dangereux, relever du suicide littéraire, ça lui semblait une folie, même économiquement il ne me suivrait pas.
Peut-être n’a-t-il lui-même pas fini son propre voyage ?
C’est en effet l’impression que ça m’a donné, comme s’il me parlait de lui. En même temps je ne peux pas lui jeter la pierre, il n’y avait pas de précédent donc il ne savait pas.
Vous avez donc créé un précédent ?
Il n’y en avait pas chez les écrivains, mais un livre comme l’autobiographie de Young, ça ne le dérange pas, il est dans l’aventure propre, dans l’exploration de son personnage…
… Et vous dans la déconstruction du vôtre. Justement, « des gens très bien », « joyeux Noël » n’était-ce pas l’introduction de votre démarche aujourd’hui ?
Je n’avais pas encore le courage d’aller à la révélation de la vérité. C’est pour ça que j’écris un roman sur quelqu’un qui a le courage de le faire. C’est quand même écrit par quelqu’un qui a encore peur. C’est de l’exploration, j’envoie un personnage de fiction faire ce que je fais aujourd’hui.
Votre personnage a débroussaillé le terrain en quelques sortes ?
Je n’y avais pas pensé mais c’est vrai que ça s’est passé comme ça.
Et il y a aussi les déclics des « faizeux », que vous avez rencontré dans votre engagement citoyen, et vos enfants aussi, qui semblent vous avoir donné l’impulsion, on a l’impression que c’est surtout à eux que vous écrivez ? Ils l’ont accueilli comment ?
Oui, fondamentalement c’est à eux que ce livre est adressé. Parce que, la façon d’être, le système de vie que je démonte dans ce livre, je l’ai véritablement hérité de mon propre père, et à sa mort, pour poursuivre ma filiation j’ai repris sa façon d’être. Je n’ai pas voulu que mes enfants héritent de cette stratégie de survie. Ça ouvre des conversations sans fin, merveilleuses, il y a un très fort désir chez eux d’instaurer une liberté de parole qu’on n’a jamais encore connu.
Vous avez finalement écrit un livre qui créée des choses autour de vous assez fabuleuses, semble-t-il. Vous rejoignez l’homme de terrain, d’engagement que vous avez été jusqu’ici qui n’a jamais menti, lui ?
J’ai quand même été particulièrement lent ! Je vois bien que mes fils y parviennent beaucoup plus tôt dans leur vie. Mon propre père lui dans sa génération était incapable de s’échapper de son personnage, incapable, il ne savait pas comment faire.
Alors…avec du recul, « Double-cœur » n’était-il pas le dernier livre de l’ancien Alexandre ? En observant les nombreux messages sur les réseaux sociaux, vos lecteurs sont contents pour vous, ils semblent accueillir ce livre que vous appréhendiez, avec beaucoup de bienveillance, à quoi cela est dû selon vous ?
Vous avez « arrêté de mourir », comme vous l’enjoignez à vos lecteurs dans le livre, en disant la vérité ?
Avez-vous conscience de rendre service à des tas de gens en libérant leur parole, à votre exemple ? C’est une formule magique ?

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