article

Contre-vérités, erreurs d’appréciation, approximations… les événements autour du décès de Lakhdar Bey à la loupe pour démêler le vrai du faux

Par Jérôme Bois • Publié le 11/07/19

Beaucoup de salive et d’encre ont été déversées autour de l’affaire du décès de Lakhdar Bey, ce père de famille de 52 ans, des suites d’un arrêt cardiaque survenu durant l’expulsion de sa famille, mercredi 3 juillet à Chambéry. Forcément, de nombreuses déclarations ont été prononcées, de part et d’autre, charriant leur lot d’erreurs, d’approximations voire de contre-vérités. L’occasion, donc, de remettre un peu d’ordre dans ce débat, animé mais surtout, teinté d’un voile noir.

Une séance du conseil passablement chahutée, lundi 8 juillet (capture d’écran).

Mercredi 3 juillet, le souvenir de ce drame est encore vivace, l’expulsion d’une famille en difficulté a abouti à un drame social, le décès du père, Lakhdar Bey, 52 ans, des suites d’un arrêt cardiaque, alors qu’il était escorté hors de l’appartement qu’il occupait sans droit ni titre. Un drame qui a fait le tour de la France en quelques heures. Depuis, le déchaînement d’émotion, de passions, de dénonciations, de contre-vérités, de calomnies, parfois, n’a eu de cesse de troubler la vie chambérienne, le point culminant de cette émergence de rancœurs étant survenu le 8 juillet, à l’occasion d’une mémorable – au sens négatif du terme – séance du conseil municipal. Associations, militants, élus, chacun y est allé de sa partition, là où certains réclament la tête d’une municipalité jugée responsable, d’autres dénoncent de supposées violences policières ayant engendré la mort du père de famille. Dans un capharnaüm tel qu’il en devient difficile de raison garder. Il reste néanmoins un certain nombre de points à éclaircir, un certain nombre de faits, écrits ou filmés, à expliciter et de contre-vérités auxquelles tordre le cou. Exercice délicat, compte tenu du fait que la tension est à son comble et qu’une émotion intense altère généralement le jugement, devant être tenu pour équitable, impartial, juste. Toute tentative d’approfondissement ne parviendra cependant pas à minorer ce qui demeure un drame humain et social pour tous, une douleur intime et intense pour une famille désormais amputée.

Le maire est-il responsable d’une mesure d’expulsion locative?

Non, le maire d’une commune n’est pas sollicité dans une procédure d’expulsion qui est un cheminement long et fastidieux à plus d’un titre. Cette procédure est d’abord initiée par le bailleur, et la mesure d’expulsion est décidée par le Tribunal d’Instance, en l’occurrence, celui de Chambéry. Dans le cas de la famille Bey, venue de la Drôme à l’été 2017, pour occuper un logement (dans le privé) qu’elle n’a finalement pas obtenu, la situation n’a cessé de se détériorer. A compter d’octobre 2017, la première occupation sans droit, ni contrat de bail, d’un appartement sis avenue de la Grande-Chartreuse, géré par Cristal Habitat a été constatée. Ce logement, vide car devant être réhabilité n’était plus ouvert à la location. La procédure classique a commencé, afin d’inviter la famille Bey à quitter les lieux. Avec un délai de deux mois pour régler les loyers ou trouver une solution pérenne d’hébergement, Cristal Habitat a fait délivrer un commandement d’huissier aux occupants (comme la loi l’y oblige).Toute expulsion étant soumise à l’approbation d’une commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX*), dont l’une des missions est le traitement des affaires individuelles, ce n’est que lorsque toutes les solutions ont été étudiées et sont restées vaines, sans accord trouvé avec la famille, que cette commission a suggéré la requête en expulsion à l’établissement bailleur (Cristal Habitat en l’occurrence). « Nous avons proposé des logements de remplacement dans le cadre réglementaire » , insiste le bailleur, un logement d’urgence en Isère et un logement via la Sasson avec un accompagnement social, tous deux déclinés par la famille.  A compter d’août 2018, la famille a bougé vers un autre appartement, dans les mêmes conditions, rue Albert Perriol. Une audience au tribunal d’instance de Chambéry a eu lieu en septembre 2018, donnant lieu à une décision exécutoire en octobre, devenue définitive en novembre. Un nouveau commandement d’huissier, invitant la famille à quitter les lieux a été délivré par huissier de justice, qui a fait ensuite appel au Préfet, pour obtenir le concours de la force publique pour faire exécuter la décision de justice. Les informations recoupées et obtenues des autorités indiquent qu’une solution en amont d’hébergement était prévue pour que la famille ne soit pas sans toit après avoir quitté le logement le 3 juillet. Aucun critère médical concernant les membres de la famille n’a visiblement été communiqué avant son expulsion, à l’équipage de police envoyé sur décision du Préfet,sur requête de l’huissier. Une autopsie a été ordonnée par le Parquet de Chambéry, suite au décès de Lakhdar Bey et a conclu à l’absence de traces de violences. Une enquête est actuellement en cours, pour déterminer les circonstances du drame, confiée à l’IGPN (la « police » des polices) de Lyon. 

Le maire peut-il prendre un « arrêté anti-expulsions » ?



Oui, à seule fin symbolique. Un tel arrêté n’aurait aucune portée juridique mais le maire peut néanmoins le prendre, comme certains édiles ont pris, dans un passé récent, un arrêté visant à interdire la pose des compteurs Linky dans leur commune, document invariablement cassé sur décision de justice. C’est le cas, très récemment à Grenoble, où l’arrêté anti-remise à la rue pris par le maire le 13 mai,  a été déclaré illégal par le Tribunal Administratif le 29 juin 2019.
Contacté, Michel Dantin a assuré, du reste, qu’il n’en prendra pas, affirmant que tout avait été tenté auparavant. « Avec un comportement normal de l’individu et une volonté de collaborer, jamais Cristal Habitat n’aurait engagé de procédure » , a-t-il souligné. Rappelons qu’en tant que vice-président du bailleur social, Michel Dantin siège au conseil d’administration mais n’intervient pas dans la gestion quotidienne des locataires, des litiges etc. Les chiffres officiels informent que sur les 900 procédures d’expulsion initiées chaque année en Savoie, 130 à 150 font l’objet d’un recours à la force publique, les autres n’allant pas à leur terme, un accord étant trouvé en amont.

Quelle était la situation de la famille Bey avant le drame ?



Il s’agit d’une famille composée des parents, Lakhdar et Fatima, de leurs quatre enfants, âgés de 10, 9 et 4 ans, et d’un nouveau-né, de tout juste 8 mois, toujours hospitalisé puisque né prématuré. L’an dernier, la famille a déjà subi un drame en perdant un de leurs enfants, âgé d’un an. Suivis par les services sociaux, les enfants étaient scolarisés à Chambéry, et la Sasson comme la Ligue des droits de l’homme de Chambéry avaient eu connaissance de leur situation complexe. Avant leur arrivée à Chambéry, les membres de cette famille avaient déjà connu la rue, avant de quitter la Drôme, où selon les informations obtenues, ils avaient contesté une décision de justice du même ordre. En 2017, les Bey ont d’abord occupé leur véhicule durant l’été sur le parking derrière la maison des associations, puis, faute d’accord avec les services municipaux et les bailleurs, avaient fini par investir illégalement deux logements. De sorte qu’ils ont fait l’objet de deux procédures d’expulsions, visant deux périodes, d’octobre 2017 à août 2018, puis d’août 2018 à juin 2019. Le Tribunal d’instance de Chambéry a en février 2018 et octobre 2018, ordonné leur expulsion, leur laissant toutefois des délais légaux pour quitter les lieux. 
Le 3 juin dernier, une mesure avait déjà été prise en condamnant la porte d’entrée de l’appartement sis rue Albert-Perriol, un T6 d’environ 100m², inoccupé, dans lequel devaient avoir lieu des travaux de grande ampleur. Revenus dans les lieux, les Bey ont été une nouvelle fois visés, le 14 juin par l’huissier de justice. Puis le 3 juillet, jour du drame, le même huissier s’est présenté accompagné des forces de police sur ordre du Préfet, dans le but de faire exécuter la décision de justice. La situation critique de la famille laisse apparaître que l’an dernier, Lakhdar Bey s’est présenté au Centre communal d’action sociale (CCAS) avec un bidon d’essence. Une plainte avait été alors déposée, sans que les efforts des services sociaux n’aient pour autant cessé afin de leur venir en aide. A l’heure actuelle, et selon les informations recueillies, il semble que Fatima Bey et ses enfants soient logés en foyer près de Chambéry.

Quelles mesures de sécurité peut prendre le maire, en amont d’une séance du conseil municipal ?



En amont d’une séance du conseil municipal, le maire a compétence, « au titre de son pouvoir de police de l’assemblée ( en vertu de Art. L. 2121-16 CGCT), pour prendre toute mesure nécessaire pour assurer le bon déroulement matériel des débats et le bon ordre dans la salle concernant l’enregistrement des séances par les conseillers et par le public. » Il peut par conséquent ordonner la présence de la police municipale en sécurisation de la séance.
Lundi 8 juillet, une scène classique, désormais, à Chambéry, a eu lieu, l’envahissement de la salle du conseil par une délégation de manifestants. Scène habituelle, que le Code des communes autorise, à la seule condition que ces manifestants, comme le public présent, restent silencieux. En effet, les séances sont publiques mais le public a interdiction d’intervenir d’aucune sorte dans les débats. La manifestation devant les portes de l’Hôtel-de-Ville avait été déclarée en  Préfecture, qui avait par ailleurs, comme c’est le cas pour toutes les manifestations dans l’espace public, à charge la mise en place de la sécurité autour de ce mouvement. Le Préfet dans ces conditions prend attache avec les services de police qui décident seuls de l’effectif envoyé sur place (le nombre de policiers, les équipements nécessaires) en fonction du nombre de manifestants attendus et du caractère de la manifestation (défilé, station sur le parvis d’un monument de la commune etc) En l’occurrence, la police nationale était présente lors de la manifestation, pour sécuriser les lieux (comme lors de l’acte XXV des Gilets Jaunes à Chambéry, NDLR) Parmi eux, se trouvait un équipage cynophile, composé de deux chiens.
Lors du conseil municipal, après deux sommations (cf vidéo du CM de Chambéry, filmé en application de l’article L 2121-18 du CGCL) le maire comme la loi l’y autorise en vertu de l’article L 2121-16 du CGCT précité, est sorti prendre une réquisition écrite d’évacuation par les forces de l’ordre: sur place, la police municipale a été renforcée par la police nationale. Sur les images du conseil municipal (le sujet est abordé à partir de la 22e minute), lors de l’évacuation, apparaît au moins un agent de la brigade anti-criminalité. Si la sécurisation des manifestations et des séances du conseil sont de leur ressort, ni la Préfecture, ni la mairie n’ont autorité pour choisir les effectifs de police envoyés par les cadres du commissariat de Chambéry. 

* Dont sont membres (avec voix délibératives) le Préfet, le président du Conseil départemental ou d’agglomération,un représentant de chacun des organismes payeurs des aides personnelles au logement, un représentant de chaque sous-commission que chacune désigne parmi ses membres, un représentant de chacun des établissements publics de coopération intercommunale ayant conclu une convention avec l’État. Par ailleurs, des représentants  de la commission de surendettement, des bailleurs sociaux, privés, des CCAS, de l’union départementale des associations familiales, des associations d’information sur le logement etc. interviennent à titre consultatif.



Tous les commentaires

0 commentaire

Commenter