On lui promettait le fauteuil éternel du fait d’un handicap moteur lourd à porter, né d’un accouchement compliqué. On ne lui a rien promis d’autre. Du sang et des larmes, peut-être. Younes, atteint de ce qu’il appelle une « particularité » et non un handicap, s’est pourtant, par opiniâtreté et esprit de contradiction, mis debout. D’une étincelle, la flamme s’est élevée. Son histoire est devenue un livre sur la différence et sur la force de la volonté. Récit d’une aventure hors norme.
« Trente ans d’espoir, la trajectoire inattendue » vient de paraître. Un projet vieux de quatre ans, édifiant recueil sur un parcours hors du commun, celui d’un jeune homme qui s’est mis debout quand on lui promettait l’assise éternelle. Younes est un combattant. Loin de lui l’intention de se poser, à travers les lignes de son récit, en donneur de leçon, il ne fait que livrer un témoignage au monde : « J’ai traversé pas mal de choses, dans ma vie, des institutions spécialisées au rap, jusqu’à parvenir à me lever de mon fauteuil, à la force de mes bras ; j’avais juste des choses à raconter » , explique-t-il, sobrement. Il ne recherche pas la lumière, ça se voit, ne désire qu’être utile : « Je ne suis pas un porte-parole ; ce que je porte, c’est mon vécu, les gens prennent ce qui résonne en eux dans mon discours ».
Le destin « s’emmêle » un soir de décembre
L’histoire de Younes, c’est d’abord celle d’un drame personnel survenu un soir de décembre 1985. Sa mère, enceinte de près de sept mois, perd subitement les eaux. Le risque de ne pouvoir sauver l’enfant est réel, son pronostic vital, engagé. L’accouchement doit être provoqué, Younes naît le 4 décembre. Chétif – il pèse 2,250kg – fragile, il survit même si « les organes ne sont pas tous constitués ». Placé en couveuse, il n’en sortira que de nombreux et pénibles jours plus tard. Younes s’extraira de sa cage en plastique mais très vite, « des signes ne trompent pas » quand bien même les médecins assurent à qui veut l’entendre que l’enfant se porte bien. « Je bougeais peu ; je ne parvenais pas à me tenir assis ; ma tête ne tenait pas droite ; je ne réussissais pas à tenir les choses en main ; je pleurais rarement ; je ne faisais pas de caprices ; je ne réclamais rien, pas même à manger ; je ressentais le chaud mais pas le froid » écrit-il. Oui, quelque chose n’allait pas. A deux ans, Younes ne marche pas. A quatre ans guère plus. La kinésithérapie s’en mêle, rien n’y fait, Younes ne marche pas. Ne marchera pas. On appelle ça les « muscles raides » , une pathologie sans dénomination exacte. Sa particularité. « Enfant, je ne comprenais pas le monde extérieur me rejette » , se souvient Younes, « je ne correspondais pas à la norme mais comment le savoir… Heureusement, ma mère faisait contrepoids, elle me sommait de » me prendre en main« . Non, correspondre à la norme n’allait pas être possible, j’allais devoir créer mon propre microcosme ».
« Une date » pour marcher
Ce qui frappe, chez Younes, au-delà de son permanent et lumineux sourire, bien plus loin que son humilité, c’est cette lucidité sur une réalité qu’il n’a pas choisie mais qu’il a assumée. En atteste le titre de son ouvrage, « une trajectoire inattendue », le parfait euphémisme. « Je refuse d’être enfermé dans ma condition ». Lorsque, plus jeune, il souhaite se lancer dans le rap, les éducateurs sourient poliment. « Des gens comme eux peuvent casser votre jouet, les ambitieux sont mal vus ». Faire de la radio ? « Ça les faisait sourire intérieurement » , s’amuse-t-il. Alors imaginez leur réaction lorsque Younes a annoncé vouloir marcher. « Donne-nous une date » , lui a-t-on sèchement rétorqué. Il s’accroche néanmoins à ce désir profond. Dans son livre, il se remémore son tortueux quotidien : « Pour les déplacements, par exemple, je dois raisonner » fauteuil roulant «. Chaque trajet fait l’objet d’une étude complète et détaillée, il me faut cartographier mon circuit et répertorier précisément les lieux permettant le passage de la largeur de mon fauteuil ». Il faut dire qu’il était alors bien harnaché à son fauteuil, les gestes simples lui étaient devenus infiniment complexes, à plusieurs reprises il se casse la figure au point de « ne plus avoir peur des chutes ». Alors de là à se tenir debout et avancer…
En marche
Quand, en 1997, il créé un duo de rap baptisé « Fugitifs », il ne sait pas encore qu’en 2001, à l’occasion de la fête de la musique, il sera sur scène, à Chambéry, en public. Il ne sait pas qu’il apparaîtra su France 2 en compagnie de Faf Larage, l’auteur du morceau-titre de la série Prison Break. Younes fait et ne s’interdit rien. Alors quand il décide de se mettre debout, physiquement, cette fois, et plus seulement intellectuellement, il s’en donne les moyens. « Dans mes rêves, je marche comme tout le monde et je suis comme tout le monde. Je suis amoureux d’une fille qui me présente à ses parents et qui m’acceptent tel que je suis » , lit-on. Seulement, à cet instant, la réalité le ramène à sa particularité, ses amours sont contrariés, ses frustrations s’exacerbent, une sensation de vide l’enveloppe. Au mitan des années 2000, Younes ne va pas bien, les expériences ne sont que d’aimables compensations. Il va lui falloir trouver une échappatoire. « On coule, on coule, mais on finit toujours par remonter à la surface poussé par une force profonde ». Il s’offrira une parenthèse enchantée, en faisant de la radio, chez les Grenoblois de New’s fm. Mais son Graal est ailleurs. « La marche ? Un rêve inaccessible, tu rigoles, Younes ? » Il les a subis, ces mots. Alors, il s’attaquera au sport au moyen d’un déambulateur, fait appel à un kiné, s’étire, se fait mal… Puis, un matin de 2014, hissé sur ses béquilles, Younes avance. « Un pas, deux pas, trois pas… Je marchais ! » Son Graal, son «Everest » , son « Vendée Globe » … Sa marche en avant se poursuit, il déniche un préparateur sportif et énergétique, « il m’est possible d’aller encore plus loin, je crois ». Depuis, il ne s’arrête plus, se met en scène sur les réseaux sociaux, dévoile ses progrès. Et aujourd’hui, il nous gratifie, au fil des 76 pages de son manuscrit, d’une vibrante leçon de vie.
Ce livre lui est venu en 2015, « il est une extension de moi, afin de faire connaître la personne que je suis. Je ne voulais ni jouer un rôle ni verser dans le misérabilisme » , confesse Younes. Son combat continue mais comment ne pas reconnaître la force de conviction de ce jeune trentenaire, arrivé au monde avec ses différences, dont l’esprit s’est aiguisé au fil des projets menés puis concrétisés ? Sans pathos, ni tambours, Younes livre un pur message de résilience. Il n’existe pas de recette pour rencontrer le succès, conclut-il dans son ouvrage, « chacun doit donc inventer la sienne ».
« Trente ans d’espoir, la trajectoire inattendue » est disponible sur les plate-formes de vente en ligne et sur edilivre.com. Broché, 9,50 euros, 76 pages.
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