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A Annecy, des locataires se réunissent en collectif pour « vivre en paix » dans leur immeuble
Par Laura Campisano • Publié le 01/08/19
Simple conflit de voisinage ou incivilités qui perdurent ? Dans cette tour du quartier Beauregard de Cran-Gevrier, température et tension sont montées cet été, sans doute par lassitude. Et par sentiment de ne pas être entendu de leur bailleur social. Ils vont l’être, cependant, d’ici une quinzaine de jours, au cours d’une réunion exceptionnelle au cours de laquelle, des habitants réunis en collectif pourront exprimer leur désir le plus grand : vivre en paix. Possible ?
On connaît le règlement intérieur des habitats à loyer modéré : respecter ses voisins, faire en sorte que tout se passe bien et surtout ne pas perdre patience. Seulement voilà, parfois quand certains habitants font abstraction de ces droits et devoirs élémentaires ou s’en arrogent de nouveaux, c’est souvent au détriment de la vie en collectivité. C’est le cas de cette tour, située grande-rue d’Aléry à Cran-Gevrier (74).
40 logements sur 10 étages, parking saturé, parfois impraticable par les locataires eux-mêmes, jonché de voitures désossées où la mousse gagne du terrain, faute de système de barrière pour réserver les places aux habitants, malgré de nombreux échanges de courriers avec le bailleur social… et du bruit, à toute heure, de jour comme de nuit, des enfants sans surveillance, dans la petite cour arrière où les ballons virevoltent pardessus les voitures et les balcons et carillonnent sur les lourdes portes en métal, empêchant les locataires plus âgés de dormir le soir, les perceuses qui peuvent tourner à n’importe quel moment, week-end compris.
Il y a encore vingt ans, des soirées étaient organisées entre voisins et il faisait bon vivre dans ces logements spacieux. Depuis, l’ambiance s’est dégradée petit à petit, certains anciens sont partis, remplacés par d’autres, moins ouverts, peut-être ? Dans tous les cas, il ne fait visiblement pas bon se plaindre ou « rouspéter » dans ces lieux. La moindre remontrance donne lieu à représailles de la part d’autres résidents, allant des simples « polissonneries » à la destruction de biens ou encore, aux menaces et altercations physiques.
Un bailleur social volontaire pour calmer le jeu… et un collectif de locataires bien remontés
Contacté, le directeur de l’agence Halpades du secteur s’est dit prêt à organiser une réunion, d’ici une quinzaine de jours avec le collectif de locataires plaignants et les élus de quartier, à mettre en place des actions pour calmer le jeu « On essaie toujours de faire en sorte que chacun se sente écouté, on met des affiches, des circulaires on a même un bureau entre les tours où les gens peuvent venir nous voir en direct, vers les chargés de secteur », argumente-t-il, « il y a peut-être un ressenti de lassitude chez les habitants qui ont un niveau d’exigence vis à vis du bailleur. C’est vrai qu’il y a des questions de générations, de manque de dialogue entre les gens, nous n’avons pas toujours la réponse qu’ils attendent mais pourtant, nous sommes là et prêts à impulser des actions pour que cela se passe le mieux possible ».
Preuve de bonne foi, une réunion exceptionnelle est en train d’être organisée pour tenir compte des doléances de ces habitants, prêts à tout pour sauver leur qualité de vie. « Avant il y avait des référents dans l’immeuble, et ça se passait plutôt bien », précise Sabine*, « mais depuis que l’un d’eux est décédé, personne n’a pris le relais ». Et c’est bien l’intention de la direction : avoir des interlocuteurs constructifs dans la tour, pour avancer ensemble, plutôt que les uns contre les autres. Le chantier est de taille, mais rien d’impossible, à en juger par les classeurs de courriers qui s’amoncellent au fil des années: le dialogue est ouvert.
Un village d’irréductibles, cette tour du 31 ? A l’heure actuelle, un collectif d’une bonne dizaine de familles s’est mobilisée, et d’autres devraient les rejoindre. « Chez Halpades, ils nous disent qu’ils ne peuvent rien faire, c’est pas possible de répondre ça, des propositions on en a plein nous, certaines ont abouti, mais tout n’est pas réglé. Des fois on a envie de baisser les bras, mais plus on est et mieux on sera entendus! » rétorque Paulette, à la volée. Côté bailleur, on voit plutôt d’un bon œil cette nouvelle organisation, d’où l’idée de poursuivre sur la lancée de cette réaction collective.
Il faut dire que les problèmes ne datent pas d’hier dans cette tour « qui est la moins pire de Beauregard » selon le bailleur. « On nous dit ça, mais déjà quand j’habitais encore l’immeuble, les scooters et les voitures restaient en bas, sono à fond et moteur tournant, on en a vu de toutes les couleurs et ce n’est pas faute d’avoir alerté le bailleur. Parfois, on est monté pour demander de faire moins de bruit, mais à chaque fois, ça a failli tourner au drame » confie Pierre, qui a quitté l’immeuble depuis quelques années.
Râler mais pas trop fort, par crainte
des représailles
« Mon mari est allé avec d’autres locataires chez Halpades , pour expliquer que trop c’était trop et que les enfants dehors à 23h c’était peut-être bien d’éviter, on ne les empêche pas de jouer, mais à notre étage on reçoit tout, les ballons du bas, les mégots du haut, le thé et le café renversés sur notre terrasse… ce serait bien que chacun se respecte ». Sabine est à bout. Sa voisine, qui vit du même côté de l’immeuble, a réagi elle aussi en rappelant les enfants à l’ordre depuis la terrasse, empêchée de dormir à cause du bruit. « Ma sœur dormait chez moi, elle est allée leur demander de faire moins de bruit, il devait être 22h30, on travaillait le lendemain. Ils ont arrêté cinq minutes et ont repris de plus belle, c’est comme si on n’avait rien dit », regrette Sarah*. Confisquer le ballon ? Ils ont essayé. Les parents sur les talons pour le récupérer. Des rappels à l’ordre dans les boîtes aux lettres ? Ils ont essayé aussi… Mais la moindre réaction face aux incivilités obtient assez vite une réponse… spécifique. « Le lendemain de notre visite chez Halpades, nous avons eu la mauvaise surprise de trouver des détritus sur notre tapis. Comme si on avait renversé une poubelle de déchets. Ce n’est pas la première fois, il y a quelques années c’étaient des œufs sur nos volets, pour avoir râlé aussi. Ça veut dire quoi ? Qu’on doit vivre dans le stress, que personne ne peut rien faire pour nous ? On est obligé de déposer plainte alors qu’on veut juste vivre en paix, on ne demande pas grand-chose mais quand c’est trop, c’est trop, » renchérit Albert.
Voiture brûlée, habitant frappé…
« Et encore, je ne vous raconte pas tout. Les seaux d’eau reçus sur la tête parce que les gens vident tout par leurs fenêtres, et quand ose répliquer ils nous menacent avec un couteau de boucher, les boîtes aux lettres éventrées, on en a supporté des choses ici, il ne faut pas croire qu’on se plaint pour rien ! On n’en peut plus c’est tout ! » conclut l’homme, visiblement épuisé par cette autre idée de l’enfer. Et des représailles, Jeannine en a connues elle aussi. Pour avoir râlé, à cause des vapeurs de produits illicites dans son appartement, provenant du local à vélo, la voiture électrique de son mari, handicapé, avait été calcinée il y a une dizaine d’années. Pour un regard de travers, Stéphane a été lui, frappé au visage à l’entrée de l’immeuble. On est au-delà du problème intergénérationnel, à en écouter les doléances. « On paie notre loyer, je ne vois pas pourquoi on devrait se laisser faire sans rien dire. Ce n’est parce qu’on vit dans un logement social qu’on ne peut pas vivre tranquille et se sentir en sécurité. Pourquoi tout le monde ne respecte pas le règlement intérieur? » reprend Jeannine, visiblement excédée.
* Tous les prénoms des personnes interrogées ont été modifiés.
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