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A l’hôpital de Chambéry, « on craint le pire pour [nos] agents »

Par Laura Campisano • Publié le 19/09/19

Cela fait donc déjà six mois que les urgences de Chambéry sont en grève. (lire nos articles du 5 juin et des 7 et 8 août )  Six mois que chaque mardi, ils sont plusieurs dizaines à se relayer devant les grilles de l’hôpital. Autant de temps qu’ils espèrent recevoir le soutien de leurs élus. Mais surtout, qu’ils sont à bout au point que les syndicats sont très inquiets pour leurs collègues, et espèrent qu’aucun drame humain ne viendra s’ajouter à la longue-liste de leurs doléances. Pour éviter la catastrophe, ils appellent au rassemblement, le 26 septembre, de l’ensemble des services hospitaliers, Ehpad, pompiers et usagers à rejoindre la grève.

Un manque criant d’effectif, comblé par des contrats précaires


Tout de go, ils le disent ; la direction fait avec les moyens qu’elle a. Elle en a de moins en moins… S’il faut désormais choisir entre un robot à la pointe pour certains traitements importants et recruter des effectifs, autant dire que c’est bien parce que le budget alloué à la fonction publique hospitalière se réduit d’année en année comme peau de chagrin. C’est le constat désolant des syndicats qui appellent leurs collègues des services à rejoindre la grève, toutefois conscients que ce sera difficile. Non pas parce qu’ils ne se sentent pas concernés, au contraire, la situation des urgences « vitrine rentable de l’hôpital » est la même partout. Non, c’est humainement que ça coince. « Ce qui se passe aux urgences ? C’est l’arbre qui cache la forêt ! On s’est rendu compte que c’était partout pareil, il manque des gens, dans les services aussi. Ils sont résignés, épuisés, on peut les comprendre. Ils se disent que s’ils se mettent en grève, ils seront encore moins nombreux pour faire le travail. Dites-vous bien que cet été à Chambéry, on a dû fermer un service de médecine faute de personnel ! » lance Fabrice Lodo, membre du CHSCT (comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) sous la bannière CGT. Audrey Baetsle, avec la casquette FO, abonde dans son sens « Il faut bien garder à l’esprit que rien que pour l’année dernière, les infirmiers ont cumulé 4 500 heures supplémentaires, et qu’à côté de ça, on propose des contrats précaires aux jeunes diplômés, et même pas à temps plein ! 400 agents sont en recrutement en Rhône-Alpes, ce qui signifie en CDD, alors qu’il nous manque 40 à 50 infirmières ici ! »

« Une situation de violence rare » sur un plan humain

Et leurs revendications, qui pour l’heure n’ont pas été entendues mais pourtant sont les mêmes depuis 6 mois (plus de lits-brancards, revalorisation des salaires et plus de personnel, NDLR) sont aussi des revendications qui portent sur l’humain, avec le sens, le cœur de leur métier. « On a de plus en plus d’agents qui viennent nous voir pour nous dire qu’ils risquent de faire une connerie », souffle Fabienne Dadou, déléguée CGT, « la direction compte beaucoup sur nous, pour temporiser. Si nous n’étions pas là, les syndicats, il y aurait déjà eu des drames et on s’inquiète énormément pour nos agents parce qu’il y a dans ces situations de fatigue, de pression, une extrême violence pour les gens, soignants comme patients », s’inquiète-t-elle. Audrey Baestsle s’emporte : « Ce n’est pas à nous de prendre la responsabilité de ces défaillances, c’est à l’Etat de nous dire qui on doit soigner en priorité, qu’il prenne ses responsabilités ! »  Parce que les agents de l’hôpital de Chambéry les prennent, ne flanchent pas, se soutiennent et restent solidaires. Même si leur point d’indice de traitement est gelé depuis 11 ans. Même si les moyens sont moitié moins de ce dont ils auraient besoin, même s’ils perdent 300 euros de salaire chaque année et que leur prime de fin d’année sera probablement supprimée. En dépit de tout, ils assurent la continuité du service public. « On essuie l’agressivité, les insultes, de plus en plus alors qu’on est de moins en moins. Notre profession s’appauvrit tandis que le coût de la vie augmente, on perd même nos contreparties, qui rendaient les choses acceptables, on s’assied sur les jours fériés, les congés de Noël, les vacances d’été qu’on ne peut donc pas prendre en été, les repos puisqu’on peut nous appeler du jour au lendemain… Et en plus on veut nous faire porter le chapeau de la faillite du pays alors que nos salaires, tous fonctionnaires confondus, ne représentent que 21% de la dette publique ! On a allumé la mèche là, l’étincelle n’est pas loin ! » explique Fabrice, visiblement exténué par la situation, dans sa globalité. « Et nos élus? Ils vont venir quand nous voir ? Sénateurs, députés, maires ? Quand vont-ils tenir compte de la situation des urgences, alors qu’ils ont une responsabilité vis-à-vis de leurs administrés ? » renchérit-il. Un rendez-vous est fixé avec le maire de Chambéry, le 1er octobre. Personne d’autre n’est venu les rencontrer, à leur grande amertume.

Le 26 septembre, ils appellent donc l’ensemble des professions médicales hospitalières à les rejoindre pour une grève globale, et comptent aussi sur les usagers « Ce n’est pas parce qu’on fait grève qu’ils attendent, c’est parce qu’ils attendent qu’on fait grève ! »relève Alexandra. « Là, on va monter d’un cran, et le gouvernement devrait bien nous prendre au sérieux », prévient Audrey, « depuis dix ans et la Loi Bachelot plus celles qui ont suivi, on tue la fonction publique hospitalière à petit feu » Qu’on se le dise, infirmières, aide-soignants, brancardiers et ambulanciers, vent debout depuis le début du mouvement à leurs côtés, sont fatigués, mais toujours prêts à prendre soin de tous. 

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