article

Chambéry : le « 29 » plongé dans une tourmente homophobe

Par Laura Campisano • Publié le 18/09/19

Quentin Véronèse, dit Tarentino, n’en croyait ni ses yeux ni ses oreilles, lorsque lui est parvenu l’écho de la vindicte populaire. Gérant du 29, à Curial, il est devenu, en 4 ans, un pilier de la vie nocturne chambérienne, qui s’est habituée à ses exubérances typiquement sudistes, à son verbe haut et fleuri et à son insatiable instinct de provocation. Sauf que le spectre de l’homophobie est venu assombrir son panorama, soutenu par des réseaux sociaux très en verve.
« A Chambéry, au bar » le 29 «, on peut boire des mojitos, des caïpirinas… Mais aussi des » gorge profonde «, des » l’enculé «, des » p’tit pd «… Misogynie et homophobie à la carte. Oui, oui, il y a encore des gens qui trouvent ça drôle ». « Le bar » le 29 « a trouvé cool de nommer ses cocktails en fonction d’insultes homophobes ». Signalements, appels à poster des commentaires sur la page facebook du bar, depuis lundi 16 septembre, une vague d’indignation s’est élevée au point qu’un élu de la majorité chambérienne s’est même promis d’en référer en haut lieu. Il faut reconnaître que Quentin n’y est pas allé de main morte : ses cocktails « P’tit pd », « l’enculé », « gorge profonde » ne peuvent passer inaperçus à une époque où l’homophobie, l’antisémitisme, le racisme suintent par toutes les pores des réseaux sociaux. Tout est sensible, à fleur de peau, et encore une fois, la provocation justifiait une explication, si tant est qu’elle soit audible. Quentin s’est donc dit surpris par ces mouvements, sa défense est à la hauteur du personnage, haute en couleur : « Ces noms sur la carte, jusqu’à maintenant ça a fait rire tous les clients, et je peux vous dire que j’ai une clientèle entre 20% et 30% gay ici, j’accueille tout le monde dans mon bar C’est mon bébé, j’y suis 7 jours sur 7 ». Twitter ? Il avoue ne pas fréquenter, « je suis de la vieille école ». 

Quentin Véronèse en train de modifier sa carte des cocktails.
Allons un peu plus loin : sur la carte, tous les cocktails, sans exception, ont une explication, une origine, plus ou moins pendable. Le « shine » ? Le nom du premier dj ayant mixé pour lui. Le « four’tout » ? Du nom de famille de son associé devenu célibataire, en profitant au passage pour en jouir à plus d’un titre. Le « FF » ? François le Français, un hommage à Omar et Fred, le duo de comiques dont le nom a inspiré le premier bar tenu par Quentin. On poursuit ? Alors, ce « p’tit pd », d’où vient-il ? Des initiales de sa jeune serveuse, Pauline P. « L’enculé » ? Le surnom de Quentin, dans le sud ouest rugbystique. « Le » petit doigt dans le c** « ? On n’ira pas plus loin mais vous avez l’imagination débordante…

« Ils ne sont pas foncièrement homophobes »


Tout cela ferait donc partie du folklore du « 29 », d’une sorte d’habillage général, d’un état d’esprit. Et cette carte, vieille de 4 ans, n’avait jusqu’alors jamais provoqué de tollé : « Notre famille est traditionnellement du monde de la nuit, ce n’est pas facile de faire tenir un bar dans le temps et nous on y arrive, parce qu’on est des bosseurs, on préfère passer une bonne soirée avec les gens plutôt que de faire beaucoup de chiffre juste pour une question de business. Après on fait ce qu’il faut pour que ça se passe bien, on fait notre boulot, tout le monde nous connaît à Chambéry, on a de bons rapports avec la mairie également » , soutient Quentin. 

David, le « lanceur d’alerte », celui par qui cette histoire est sortie à Chambéry, explique : « Ils ne sont pas foncièrement homophobes, il faut que ça s’arrête, simplement, ils ont fait leur mea culpa. La carte est condamnable si on la lit, la toute première fois. Les gens ne peuvent pas connaître l’histoire de ces appellations, ou bien, il faut les préciser sur la carte ». Lui a appris l’existence de cette carte via l’association AURA LGBT mais se refuse à une condamnation ferme et sans nuances, reconnaissant que changer les noms sur la carte était la réaction attendue. Alertée, l’association SOS Homophobie s’empare du sujet, réclame des comptes, dans un premier temps, puis tente de faire redescendre la pression. « Nous n’avons pas senti un vrai fond d’homophobie dans leurs excuses. Nous attendons néanmoins une réponse préventive et pédagogique de leur part, car on n’est pas vraiment dans un problème d’homophobie » , souligne Mickaël Gérard, co délégué Auvergne. Avant de conclure vouloir « faire redescendre la pression tranquillement ». 

« On ne voulait pas blesser les gens »


En conséquence et pour œuvrer dans le sens du vent, Quentin a mis de l’eau dans ses cocktails : « On va retirer les noms qui font polémique, on a présenté nos excuses : c’est un budget de refaire toutes les cartes mais on va le faire, non pas parce que ça fait parler, mais parce qu’on ne voulait pas blesser les gens ». De nouvelles appellations qui ne seront probablement pas dénuées de clins d’œil, là encore, l’état d’esprit ne changera pas : « On pense que ça risque d’attirer des curieux qui voudront voir la carte, nos habitués nous demanderont probablement toujours des noms qui n’y sont plus » , sourit-il.
Pourtant, David met en garde contre la banalisation de l’homophobie ordinaire : « Ça faisait 4 ans que personne ne disait rien, ils sont dans leur délire, qu’ils n’aient pas vu le mal dans ce contexte, je le comprends. C’est relativement inquiétant que personne n’ait tiqué depuis toutes ces années, si leur clientèle est partiellement gay, on se dit du coup que c’est tombé dans la normalité ».
Sur Twitter, l’association Stop Homophobie a commenté le post de Guillaume Mélanie, indiquant être sur le sujet avec deux avocats. Contacté, son référent nous a indiqué qu’ils étaient prêts à envoyer un courrier. « Puis, on a vu que ça avait réagi sur Twitter et que les gérants avaient fait leur mea culpa. Donc il n’y aura pas de plainte, ils ont changé leur carte, on est en veille mais rien de plus », nous a indiqué Terrence.
La réponse concrète du « 29 » est tombée alors que nous faisons paraître cet article: les noms des cocktails ont déjà été changés sur la carte intérieure du bar, en attendant que toutes les cartes physiques soient réimprimées.  « Le message de bienveillance » souhaité par SOS Homophobie résidera peut-être dans ce mea culpa, peut-être même que cette histoire sera déjà oubliée à la fin de cette semaine…

Tous les commentaires

0 commentaire

Commenter