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Aix-les-Bains : le syndicat général du BTP Savoie veut bâtir les rêves de ses futurs collaborateurs
Par Laura Campisano • Publié le 12/11/19
Pour faire face à la crise du recrutement dans son secteur, le syndicat général du BTP Savoie a lancé il y a 3 ans, la campagne « Bâtis tes rêves » à destination des jeunes collégiens principalement, pour les informer et les sensibiliser aux métiers du BTP. Un secteur qui souffre d’une réputation en demi-teinte, bien qu’il ait, semble-t-il, des choses à apporter. Nous avons rencontré René Chevalier, président du syndicat, à l’origine de cette campagne de sensibilisation au collège Garibaldi d’Aix-les-Bains, une des dates de la « tournée ».
Cette initiative « Bâtis tes rêves », quand est-elle née ? Elle est née en réflexion il y a deux ans, quand on s’est posé des questions sur l’impact des programmes que nous faisions à l’époque pour attirer les jeunes vers nos métiers. On s’est aperçu qu’on était complètement décalé, et que depuis des années, on faisait une action qui était un peu « ringarde ». Alors on s’est mis au travail : on a réfléchi et on a créé « Bâtis tes rêves ».
Pouvez-vous nous dire comment vous vous y prenez pour « bâtir » des rêves? Comme vous le voyez, nous allons dans les collèges à la rencontre des élèves de 4e et de 3e. Il y a eu un travail pédagogique en amont, sur la présentation de nos métiers, sur les formations. Les jeunes viennent par petits groupes, on peut dire presque de manière individuelle puisqu’ils sont par deux groupes de 5 ou 6. On est là pour les informer, répondre à leurs questions, c’est le plus important.
Pourquoi intervenir à ce stade de la scolarité pour le recrutement? La 3e est l’année des choix d’orientation, c’est une année importante dans le parcours des élèves. C’est pourquoi on vient leur parler des filières professionnelles, leur montrer que nos métiers ne sont pas des choix par défaut, qu’ils sont intéressants, des métiers d’avenir où le chômage n’existe presque pas.
C’est l’un des critères importants dans cette campagne? On peut dire que quelqu’un qui entre dans les métiers du BTP changera x fois de patron dans sa carrière mais trouvera toujours du travail. Et il faut aussi le dire, l’ascenseur social dans nos métiers est important : on peut être artisan et ensuite avoir un salarié, puis deux. Aujourd’hui, le réseau des entreprises du BTP a été créé par des jeunes à l’époque, qui sont devenus chef d’entreprise aujourd’hui. On essaie donc de leur transmettre ce « virus positif » des métiers du BTP.
Pour ce faire, vous surfez sur la vague des réseaux sociaux… Et oui, ce n’est pas aux jeunes à s’adapter à nous, c’est à nous à nous adapter à leur manière de communiquer donc effectivement on a créé tout cet environnement pour pouvoir communiquer avec eux. On est sur Instagram, demain ce sera peut-être autre chose, mais on suit les jeunes parce qu’ils sont notre avenir.
Est-ce que cette opération a été le fruit d’une concertation avec le corps enseignant, les chefs d’établissement? On a travaillé d’abord nous, ensuite on est allé voir les chefs d’établissement pour leur présenter et ils ont été preneurs d’entrée. Nous en sommes à notre 2e année mais 3e campagne, l’année passée on a fait deux campagnes, cette année on en fera une seconde en mars-avril. Cela prend un peu de temps il faut de la disponibilité, mais en tous cas le retour que l’on a des chefs d’établissement est plutôt positif.
Allez-vous également à la rencontre des élèves plus âgés ? Dans les lycées par exemple ? Les élèves de lycée, on les côtoie différemment, via les forums d’étudiants. Au collège, c’est le moment où les jeunes vont décider s’ils s’orientent vers une filière générale ou professionnelle. S’ils vont vers une filière générale, on a trois ans avant qu’ils décident de ce qu’ils veulent faire après. Donc, c’est davantage dans les forums d’étudiants que l’on a un rôle à jouer. Avec le jeu des options, le bac et pouvoir entrer dans les créneaux libres et disponibles, on est là aussi pour les aiguiller.
Donc si on comprend bien, alors que ce sont des métiers qui marchent bien, avec de bonnes possibilités de vivre confortablement, ce n’est pas si simple de recruter… Oui, c’est pour cela que l’on cherche des jeunes de tout niveau, du CAP au diplôme d’ingénieur, on a besoin impérativement de main-d’oeuvre. Le manœuvre n’existe plus, l’image de l’ouvrier avec la brouette et la pelle, c’est terminé.
Comment expliquer que ce type de campagne arrive… si tardivement ? Le syndicat général du BTP a été longtemps affilié à la Fédération française du bâtiment, donc il y avait une politique générale et donc on s’y est adapté. Pour des raisons diverses, on n’a plus souhaité être affilié à la Fédération, on a retrouvé notre indépendance, et ça nous a permis de pouvoir réfléchir et de sortir d’une politique générale. C’est difficile quand on est affilié à une fédération nationale de sortir du schéma général. Cette liberté reprise nous permet de voir les choses différemment. On travaille aussi avec beaucoup d’autres à la création d’un syndicat national, qui va s’appeler « France Réseau Bâtisseurs », où il y aura plein de nouveautés comme on en a créé. Car quand on se met autour d’une table à plusieurs, ça nous permet de nous remettre en question en permanence.
Et si l’on fait un bilan, après deux ans de campagne « Bâtis tes rêves », quels résultats avez-vous obtenus ? Déjà, quand on rappelle les collèges, ils nous disent « venez », certains nous appellent même. on a permis à un certain nombre de jeunes de s’ouvrir à la filière professionnelle, pas forcément la nôtre d’ailleurs, mais on a ouvert une porte. Les jeunes ensuite s’intéressent, regardent ce qui s’offre à eux pour choisir quelque chose d’adapté, comme l’apprentissage par exemple, que de nombreux établissements proposent en Savoie, ou le compagnonnage. Le plus beau message, c’est la demande des collèges de revenir, ça veut dire que notre opération fait sens.
La Savoie est donc une terre fertile pour le BTP, en fin de comptes ? Les travailleurs du BTP en Savoie représentent un peu plus de 10/11% de la population active, c’est 1, 6 milliard d’euros de chiffre d’affaires, on est à peu près au même niveau que la métallurgie. C’est un département où le pôle du bâtiment est très important, la particularité c’est la saisonnalité, et la montagne, donc on apprend à construire vite et très bien dans des périodes très courtes. Et c’est aussi pour les jeunes une possibilité de se former dans deux métiers, du bâtiment et les autres métiers. selon les saisons. On a un vrai vivier et aussi de grands chantiers, dont le Lyon-Turin actuellement, qui va nous occuper pendant un certain laps de temps. Il va aussi bien nous perturber parce qu’il va créer 2 000 emplois et il nous en manque déjà 2 000 pour faire notre chiffre d’affaires.
Donc vous partez pour 20 ans de campagnes « Bâtis tes rêves »? Quand on sait que durant ces 20 ans, 2 000 partiront à la retraite, aujourd’hui on doit recruter entre 6 000 et 8 000 personnes. Donc oui, c’est une campagne qui va durer et surtout évoluer. Si on continue dans 20 ans comme aujourd’hui c’est qu’on n’aura rien compris, parce qu’il faudra nécessairement avancer. Et comme on a bien compris les choses, la campagne de cette année n’est pas la même que l’an dernier, et la suivante sera encore différente.
Le recrutement est plus qu’utile, les autres syndicats sont-ils enclins à vous emboîter le pas, à votre avis? Sur 4 300 entreprises du secteur du BTP en Savoie, le nombre d’entreprises syndiquées représente moins de 30%. Il y 3 syndicats professionnels : la CAPEB, le syndicat général du BTP et la Fédération française du bâtiment en Savoie. Plus on est nombreux à défendre les intérêts des salariés et des entreprises du secteur, mieux ce sera. Nous ne sommes pas concurrents même si nous avons des divergences d’opinion importantes. En tous cas il faut se mobiliser. La Savoie est un département où les métiers du BTP manquent de main d’oeuvre de manière forte, ce personnel doit être formé rapidement. Il faut impérativement avoir suffisamment de personnes pour le faire car trouver la main d’oeuvre ailleurs n’est pas si simple, et si on ne le fait pas nous, ce sont des entreprises d’ailleurs qui viendront faire le travail à notre place.
L’étape aixoise de « Bâtis tes rêves » : curieux et intrigués, les collégiens (s)’interrogent
C’est sous un soleil automnal que l’étape aixoise au collège Garibaldi s’est déroulée, avec près de 70 collégiens par petits groupes, pour découvrir comment « bâtir leurs rêves. » Des garçons, beaucoup, mais des filles aussi, même si pour l’heure, les élèves de 4e que nous avons rencontré n’ont pas encore d’idée précise de leur futur. « En fait j’avais pas vraiment envie de venir, je ne sais pas encore ce que je veux faire, mais y a pas de métiers qui me tentent là, » explique Lena, rejointe par Célia, « je voulais être architecte mais c’est long… » et Younès, venu chercher des informations pour sa future orientation sans pour autant avoir eu de « coup de cœur » ce jour. Ibrahim, lui, est bien plus sûr de lui, motivé comme jamais. « Comme ambition à la base, je voudrais être footballeur professionnel, et si j’arrive pas à percer, je voudrais faire électricien. Si le foot ça marche pas trop, je veux aller le plus vite possible dans les stages pour apprendre ce métier. »
Rendre la filière moins abstraite avec des exemples de la vie
Ils ont donc toujours des rêves, les jeunes…« On leur parle de métiers plus précis, au fil de l’intervention on voit qu’on a capté leur attention, qu’ils ont compris. Ils viennent nous poser des questions en off, et du coup c’est vraiment sympa, » nous explique Clémence Geslain, juriste en droit social au syndicat général du BTP, qui intervient auprès des collégiens, autant de filles que de garçons, comme on l’a constaté. « Il y a pas mal d’architectes d’intérieur, mais pas seulement, mosaïstes, peintres, des métiers dans lesquels les filles excellaient..et là, on a des grands yeux parce que les filles ne s’y attendent pas mais finalement ça leur plaît bien. Les gens ne savent pas ce que sont les métiers du BTP: de l’architecte tout court à l’architecte d’intérieur ».
Abstraite, la filière BTP ? En général, la première idée qui vient à l’esprit, c’est le chantier. « Quand on leur a demandé combien de métiers avaient été mobilisés pour construire leur collège, au début ils ont pensé à trois ou quatre, puis ils réalisent qu’il y a des portes, le chauffage, la lumière, les fenêtres…ils ne pensent pas à tout ça et on est là pour leur expliquer. »
Quand les anciens viennent raconter leur métier, comme un passage de flambeau
Pour rendre les choses plus concrètes, le syndicat invite des professionnels, dont certains à la retraite, pour expliquer leur parcours, comme Pierre Galizzia, ancien plombier-chauffagiste : « Ça me fait plaisir d’intervenir, je viens expliquer les métiers du bâtiment, pas forcément le mien, c’est une question de feeling », explique ce retraité qui a fait toute sa carrière dans le BTP. « Je leur explique qu’avec un CAP, on peut gravir les échelons, devenir contremaître, faire une carrière, créer son entreprise, accéder à un bureau d’études si on veut. Ce qui est bien c’est que ces jeunes ne connaissent pas du tout les métiers du bâtiment à moins d’avoir quelqu’un de leur famille dans le secteur. On leur explique qu’on se déplace, que les chantiers ne sont jamais les mêmes. » Lui-même est tombé dans le métier étant petit, dans les pas de son père, puis a intégré une entreprise en tant que dessinateur débutant, totalement autodidacte, avant de gravir les échelons, puis de créer sa propre entreprise qu’il a cédée à sa fille en 2011. « Je ne me suis jamais ennuyé une seule minute dans mon travail, ma femme me l’a d’ailleurs dit, » je ne t’ai jamais entendu dire que tu en avais marre de ton travail « et ça, il faut leur dire aux petits jeunes. » Le message passe. Et la « tournée » se termine au lycée du Nivolet de Saint-Alban Leysse, le 14 novembre, avant de reprendre en mars/avril. En attendant, la campagne se poursuit sur les réseaux ainsi qu’un concours ouvert sur les réseaux sociaux pour faire gagner un scooter aux jeunes. Bientôt, le secteur aura besoin de nouvelles compétences numériques, on comprend donc que les jeunes savoyards n’ont pas fini de bâtir leurs rêves…
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