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Les opinions du Petit Reporter : un an de gilets jaunes plus tard

Par Laura Campisano • Publié le 17/11/19

Il y a un an, jour pour jour,  je m’apprêtais en tant que journaliste de PHR à vivre tambour battant le premier samedi de mobilisation de citoyens, regroupés à chaque rond-point, vêtus d’un gilet jaune pour – au départ- s’élever contre la hausse du carburant. J’étais à Annemasse, des gens de tout âge étaient là, des motards aussi, on aurait dit une manif comme les autres, une énième manif.

Et en même temps dès le départ, on ne savait pas à quoi s’attendre, encore moins que ça durerait 52 samedis et ce que ça aurait comme conséquences et résultats. Les conséquences on les connaît : des blessés, des morts aussi, de la violence, de la destruction et des condamnations en justice. La hausse des carburants a légèrement été corrigée. 

Et puis ? Si le premier « acte » avait lieu dans un climat assez cool, l’acte 2 sur les Champs Elysées a offert au monde entier les images de la « plus belle avenue du monde » dans un état de furie, de larmes et de débris. Tout n’était que violence, et ça aurait pu être pire si l’on en croit ce que l’on lit çà et là, des conditions de travail des services de sécurité et des témoignages des manifestants. Parce qu’il y avait bien de tout dans ces manifs, y compris des gens qui n’en avaient rien à faire, des conditions d’existence du quidam. On a beaucoup parlé, on a beaucoup titré, un film est même sorti, pour témoigner d’une certaine image du pays fracturé. Mais finalement ? La manifestation par la force est-elle si efficace ? Quand on voit l’expression d’ « extinction rébellion », qui prône la non-violence, quand on voit les opérations coup de poing, quand on repense à une certaine prise de la Bastille complètement désorganisée qui a donc, permis en 1789 de renverser la monarchie, à ce qu’on dit, pour constituer une forme de liberté… quelles leçons doit-on tirer de ces soulèvements populaires désorganisés ?

Le pays sort-il grandi ? Pas si sûr. Mais il y a quand même eu des leçons, à tirer de ces actions. D’abord, il y a eu une remise en cause géante des médias, du travail des journalistes, de la partialité dont nous accusaient les gens qui manifestaient, les vidéos en direct des gilets jaunes et les médias alternatifs. Seuls les « indépendants » avaient droit à la confiance, et nous sommes bien placés pour en parler au Petit Reporter, puisque nous avons vécu la manifestation chambérienne, aux côtés de Jérôme Rodrigues, une des figures de proue du mouvement. Les gens voulaient qu’on les écoute, qu’on entende leurs difficultés, ils voulaient que les médias montrent au cas par cas, la différence entre eux et les oripeaux du pouvoir. Les journalistes de terrain, qui travaillaient déjà sans relâche, doivent aujourd’hui ajouter la corde « décryptage » à leur arc pour se prémunir contre les fake news… qui parfois leur tombent dessus. On a beau recouper et vérifier, la vitesse de propagation d’une fausse info qui se fait passer pour vraie sur les réseaux dépasse souvent celle de la lumière.

Le divorce entre forces de l’ordre et citoyens, entre pompiers et forces de l’ordre, entre élus et habitants, a l’air soit consommé soit en passe de l’être. Bref, on a vécu un an éprouvant, de révolte, de soulèvement, et il ne semble pas que nous soyons sur les rails d’une amélioration de ce climat de défiance. Il a donc fallu ressouder les liens, parler à la société civile, l’inclure dans les prises de décision, consulter les citoyens. On le faisait déjà, oui, par acquis de conscience. Aujourd’hui, on le fait parce que leur avis compte.

Et donc, une chose a changé : un certain réveil de la population face à la politique. Enfin – pouvons-nous y croire vraiment ? -, les français ont recommencé à s’intéresser à ce qui se passait dans leur pays, à ce que les journaux racontent, à ce qui est la réalité de la politique locale et nationale. Les gens ont commencé à se soucier de ce qui passait autour d’eux, du climat, de leur cadre de vie. Pendant que sur Twitter, les campagnes de lynchages se poursuivent, dans le monde réel, des gens s’organisent pour les prochaines échéances municipales en listes citoyennes, aux côtés d’hommes et de femmes de terrain et d’expérience. On requiert de l’exemplarité, on ne veut plus de faux semblants. On dirait presque qu’il se passe quelque chose. Comme si du chaos « péril gilet jaune » émergeait du bon. Ou alors sommes-nous encore, des journalistes idéalistes qui veulent croire qu’en toute expression du peuple, il y a matière à réfléchir ?

LC

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