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Justice : surpopulation carcérale à Chambéry, le syndicat FO monte le ton, le procureur répond

Par Laura Campisano • Publié le 05/12/19

Un coup de colère qui n’est pas passé inaperçu à la maison d’arrêt de Chambéry, celui du syndicat FO du personnel pénitentiaire. En fond, l’urgence face à la surpopulation carcérale qui sévit dans ce petit établissement savoyard de 64 places, occupé actuellement par 128 détenus… donc rempli à 211%. En ligne de mire, la politique pénale tant du Parquet que du Tribunal de grand instance de Chambéry. L’élément déclencheur: une détention provisoire de trop, durant un week-end, de 5 détenus supplémentaires. Explications.
« Qui gère les risques quand les cellules sont trop remplies ? C’est nous ! » Thierry Gidon ne décolère pas. Premier surveillant à la maison d’arrêt de Chambéry, il est aussi le secrétaire de la section Force Ouvrière des agents pénitentiaires de Chambéry. Le 25 novembre, il a alerté la presse pour que l’opinion publique soit informée des conditions de détention et des conditions de travail des surveillants. 

« Vous imaginez trois gars dans 10m² ? C’est dangereux, et difficile pour nous »

Et sa colère couve depuis longtemps, trop sans doute, quand on comprend que sur les 64 cellules de 10m² disponibles dans l’établissement où il officie depuis 2015, 10 sont occupées par trois détenus alors qu’elles sont prévues pour n’en accueillir..qu’un seul. « On essaie de privilégier le dialogue avec les détenus, mais là, ça devient intenable, il y a beaucoup trop de monde alors que la loi sur l’encellulement individuel date de 2009 ! » tempête-t-il. « On a 18 nationalités différentes dans l’établissement, 4 à 5 confessions religieuses représentées, des âges et des milieux différents, des fumeurs et des non-fumeurs, tout ça et il ne reste que 4 matelas alors qu’on nous envoie 17 personnes en une semaine ! » Ce d’autant plus que la maison d’arrêt de Chambéry accueille à la fois des détenus qui doivent effectuer de courtes peines et d’autres, partis pour 20 ans la plupart du temps.

Pour Thierry Gidon, ce « sureffectif » est en grande partie dû à la politique pénale du TGI de Chambéry, enclin à pratiquer le « choc carcéral » ce qui selon lui est très dangereux. « On remplit la prison pour des problèmes qui peuvent être gérés en milieu ouvert, on a d’ailleurs un très beau centre de semi-liberté rempli à moitié », poursuit le premier surveillant, « mais à la place, on met des gens en détention le vendredi soir, comme ça ils ont un choc le week-end, au quartier arrivants, et le lundi on les fait sortir à la barre, c’est une spécificité du parquet de Chambéry, c’est inadmissible ! Il y a une volonté de punir les gens en les plaçant en détention le vendredi soir! Le risque majeur ? Que le détenu se suicide sur le week-end, ce ne sont pas des condamnés, ils n’ont pas encore été jugés ces gens ! » Et l’autre grosse problématique soulevée par le syndicat est la dangerosité de la surpopulation, pour les détenus mais aussi pour les personnels pénitentiaires. « Les cellules triplées, c’est très dangereux, vous imaginez 3 gars dans 10m² ? Ces conditions sont difficiles pour nous ! »

Illustration/Pixabay
Dans cet établissement qui date de 1936, seuls les hommes sont aujourd’hui détenus, les quartiers femmes et mineurs ayant été fermés. Pas de quartier d’isolement, mais une « aile » pour les détenus vulnérables, notamment impliqués dans des dossiers de mœurs, et qu’il n’est pas gérable de mélanger avec le reste des détenus. Quand ils arrivent, les nouveaux doivent passer 5 à 7 jours dans le quartier « arrivant »: une phase d’observation, pour permettre aux surveillants de chercher la cellule adéquate (et le bon codétenu) mais avec la surpopulation, cette phase d’observation n’est plus toujours possible à respecter pour les « détenus provisoires du week-end ». « On respecte le parcours arrivant pour ceux qui viennent purger une peine, mais quand les nouveaux arrivent, le quartier arrivant est plein et ils vont directement en cellule » se désole Thierry Gidon, « On manque de places, et même si on a une nouvelle Juge d’application des peines qui oeuvre pour les peines aménageables, le problème ici, stagne et l’hypocrisie du Parquet est bien réelle : sur la notice individuelle qui accompagne le détenu à son arrivée, on nous précise qu’il doit être séparé de ses complices, et on les envoie tous les trois dans une prison bondée ! » 

« Le Parquet fait son travail »


Le nouveau procureur de la République, Pierre-Yves Michau, vient juste de prendre son poste au TGI de Chambéry, à la suite de Thierry Dran. Et il n’a pas encore eu le temps de souffler. « Le Parquet fait son travail, il fait arrêter les délinquants pour assurer la sécurité des concitoyens, je conteste formellement l’idée d’un » choc carcéral. « Face à la colère du personnel pénitentiaire, le procureur ne nie pas la surpopulation qui existe à la maison d’arrêt de Chambéry,  » c’est une situation qu’on ne peut que déplorer et qui est générale dans notre pays en raison de l’insuffisance du parc pénitentiaire, « précise Pierre-Yves Michau,  » Ce sont les responsables politiques qui ne prennent pas les mesures adéquates pour faire construire des prisons, pour autant la justice doit continuer à travailler, cette surpopulation n’est pas due au fonctionnement de la justice pénale. « Pour preuve, le magistrat avance que 70% des peines prononcées sont aménageables dès leur mise en oeuvre, un chiffre plutôt encourageant, mais qui ne résout pas la problématique de la dangereuse surpopulation de cet établissement trop petit pour contenir le nombre de personnes qui y sont détenues. Pour le procureur donc, ce n’est pas du fait de la politique pénale de Chambéry, mais plutôt du nombre croissant de délinquants  » qui sont incarcérés parce qu’ils méritent d’y aller « dans les conditions légales qui l’imposent.
Alors, que dire de ces incarcérations » du week-end « décriées comme systématiques par le syndicat FO de la maison d’arrêt de Chambéry ?  » Ce n’est pas systématique, et c’est faux de dire que ces prévenus sont automatiquement libérés à l’audience du lundi, « conteste le magistrat, » la procédure de comparution immédiate est très régulièrement utilisée, et lorsque la réunion du tribunal n’est pas possible, que les conditions légales l’imposent, la détention provisoire est impérative, ce sont les textes. « Selon le procureur, ce point de vue n’est pas celui de la majorité du personnel pénitentiaire chambérien, contrairement à ce que nous indiquait Thierry Gidon. Alors, comment faire pour que la situation soit moins tendue entre les deux entités et surtout au sein de l’établissement ? La maison d’arrêt d’Aiton est elle aussi surpeuplée avec 219 places pour 315 personnes hébergées, selon les chiffres de l’Observatoire international des prisons, au 1er janvier 2019, tandis que le centre de détention était presque plein à la même période. Dans le département, ce sont les seuls établissements recensés en milieu fermé. Plus loin, en Haute-Savoie voisine, la maison d’arrêt de Bonneville (seule des deux Savoie à accueillir les femmes et les mineurs, NDLR) est aussi en surnombre. La réponse au problème ne viendra vraisemblablement pas de la Justice…mais du législateur. En attendant, puisque la situation ne tend pas à s’améliorer, il va devenir urgent d’agir, avant de réagir. 

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