L’heureux événement dans le monde de la culture Chambérienne, c’est la réouverture de Malraux, ce théâtre aux dimensions pharaoniques qui semble sortir du Carré Curial comme un rêve qui entre la réalité. 1 112 places, un cinéma refait à neuf, un nouveau restaurant de 60 couverts et une autre nouveauté : un « tiers-lieu ». A l’inauguration le 2 décembre, après deux ans de travaux, d’entre tous, le sourire le plus notable était le sien : Marie-Pia Bureau, la directrice du théâtre-scène nationale, l’âme de Malraux.
« Je viens d’un petit village perdu de Vendée » commence-t-elle dans un sourire. Derrière ce sourire il y a le travail, la détermination aussi, la chance sans doute. Selon ses mots « les lieux de culture doivent être occupés par des gens qui les incarnent », et Marie-Pia Bureau est plus qu’une directrice de théâtre, c’est quelqu’un, qui s’est fait par le biais de son parcours, de ses rencontres, et aussi d’une personnalité hors des sentiers battus.
« Je pense que la vie est une formation continue perpétuelle »
Se ressentent, tant la sensibilité de l’artiste qu’une aura et une autorité naturelle qui presque, intimident. Se devinent, les origines italo-françaises derrière ce prénom composé qui n’est pas inconnu de l’autre côté des Alpes voisines. Des faux airs de Barbara, qui magnétisent, vraiment, il ne s’agit pas d’une rencontre ordinaire. « J’ai eu la chance d’avoir eu des enseignants au collège et au lycée qui m’ont transmis la passion de la lecture et de la littérature dans ma vie, c’est une chose très importante pour moi et j’ai pu, grâce à cela, fantasmer le monde du théâtre par les classiques Garnier, à défaut de voir comment se passait vraiment le théâtre à ce moment-là. » Car oui, bien sûr, Marie-Pia Bureau est du monde des artistes.
Élève au conservatoire de Tours après ses études, elle passe le premier tour du concours du conservatoire de Paris. Elle espère, enthousiaste et idéaliste comme on l’est à 19 ans, pouvoir trouver sa bonne étoile dans la ville-lumière. « Et puis, rien ne s’est passé parce que c’est un métier de réseau et que venant de Vendée je n’en avais pas, donc… » Donc la jeune femme prend des cours de théâtre avec l’acteur Philippe Duclos, rencontre déterminante qui va l’« aider à se positionner dans la vie face au métier d’acteur, qui dépend du désir de l’autre, et moi je ne peux pas attendre que le destin vienne me chercher ». Dans le même temps, la chance met une autre rencontre sur son chemin, Lucien et Micheline Attoun, du Théâtre Ouvert, dans le 18e, derrière le Moulin Rouge. « Je lisais des textes et j’étais tellement enthousiaste qu’ils m’ont proposé de m’occuper des rapports de lecture, c’est à dire de donner son avis sur les manuscrits de théâtre qu’ils recevaient. Puis, ils m’ont nommé responsable du comité de lecture…Et je n’ai plus jamais quitté le théâtre. » La grande histoire d’amour, débutée en lisant les textes, débute concrètement par des métiers dont elle ne soupçonnait pas l’existence, avant d’y poser le pied : « Plus jeune, je n’avais aucune idée de ce qu’on pouvait faire d’autre dans un théâtre qu’être comédien. » Du 18e, elle poursuit au Théâtre de Dijon en tant que metteuse en scène et dramaturge, avant de prendre un premier poste de direction à la Roche-sur-Yon, dans sa région d’origine. « Je n’avais pas une envie particulière d’y revenir, mais il y avait une maison de résidence d’écrivains, je ne pensais pas que ça marcherait, je trouvais que ce que j’avais fait n’était pas assez prestigieux pour prendre ce poste et puis j’ai appris à faire ce métier, j’ai dû apprendre sur le tas, et j’y ai pris goût. » A la voir, là, dans son bureau où trônent les plans de Mario Botta, architecte concepteur du théâtre Malraux, que dire sinon que le destin fait plutôt bien les choses ?
Durant deux ans, à 36 ans, il a donc fallu à Marie-Pia apprendre, les ressources humaines, le management « Je pense que la vie est une formation continue perpétuelle », sourit-elle, « au début ça n’a pas été simple, c’est un métier essentiellement masculin. J’ai donc été obligée de trouver une façon de diriger qui me ressemble. On apprend, on s’améliore. »
Après 7 ans en Vendée, c’est une envie d’évoluer qui l’amène à Chambéry, dont elle avait « une jolie image, de très loin, de cette ville qui m’amenait près de mes origines italiennes, qui m’ouvrait les portes de partenariats italiens, que j’ai noués d’ailleurs. »
« Mon travail à Malraux est un vrai projet de territoire »
Pour elle, qui a grandi au bord de l’océan, ces paysages montagneux, sans neige en permanence, ces paysages, sont incroyables, presque exotiques. Des paysages qu’elle affectionne particulièrement, dans lesquels elle aime se retrouver, marcher, près des Échelles où elle vit en pleine nature, à l’écart de l’agitation citadine qui fait son quotidien et qui lui font dire « j’ai une vie en or ». A peine arrivée à Malraux, elle comprend qu’une mission l’attend, réconcilier les Chambériens et leur théâtre, avec lequel ils entretiennent une relation presque complexée. « J’ai été surprise par cette ville, dynamique, vivante, pour sa taille, et la notoriété de ce théâtre auprès des habitants, dont ils se méfient encore même si ça va en s’améliorant… » Comme s’ils avaient une difficulté à être fiers de cette scène nationale, alors que le bâtiment fait véritablement partie du patrimoine de la ville, à part entière. Chambéry se rend compte, enfin, six ans après son arrivée, que ce bâtiment est une prouesse architecturale, que Mario Botta a construit sur le plan des cathédrales italiennes.
Marie-Pia Bureau se lance donc ce défi, que le projet de scène nationale ne soit pas vu comme hors-sol, comme quelque chose qu’on impose. « Mon travail à Malraux est un vrai projet de territoire, ce que j’aime dans un théâtre, c’est la chance incroyable d’offrir quelque chose aux gens », décrit-elle, « un théâtre sans les gens, ça ne m’intéresse pas. Je veux réconcilier ce théâtre avec son territoire. » Et pour cela, elle a souhaité ouvrir les murs, en créant un espace de communication, qu’on appelle aujourd’hui « tiers-lieu », baptisé « la base » , « la culture, c’est communicatif, plus il y a de lien, plus il y a de choses qui se créent. On a intérêt à être partenaire, comme avec le centre Bonlieu à Annecy, on n’est pas concurrent », plaide-t-elle, « ce tiers-lieu est un nouveau défi. Quand on vieillit, on a cette idée qu’on a plus le temps d’être en désaccord. J’ai compris que les critiques qu’on adressait aux scènes nationales, cette notion d’entre-soi qui peut se ressentir n’étaient pas toujours fausses. » Alors pour casser cette sempiternelle opposition entre le populaire et le savant, la qualité et le commercial, la directrice du théâtre a souhaité sortir des clivages et ouvrir le bâtiment, en faire un endroit où les gens peuvent venir échanger, travailler, manger, se poser, se rencontrer même. « C’est mon utopie, mélanger les gens, ce n’est pas leur fonction sociale qui va faire leur qualité, ce sont mes convictions profondes qui ont poussé la création du tiers-lieu, je veux qu’on accompagne les gens porteurs de projets, y compris ceux auxquels je n’adhère pas d’emblée, j’ai plus d’affection pour le joyeux bordel que pour quelque chose de lisse, il faut pouvoir accompagner le développement artistique. »
Loin de se voir comme une « programmatrice » , Marie-Pia Bureau a souhaité créer dans son théâtre un espace « modeste » qui offre assez de liberté aux gens pour créer des liens. Sans réaliser, que ce qu’elle offre aux chambériens et aux savoyards, est une chance, comme un passage de flambeau, de dépasser les limites de leur imagination, qu’ils soient artistes ou non.
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