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Femmes politiques de Savoie : « Si on ne s’expose pas, on ne nous verra pas »
Par Laura Campisano • Publié le 07/01/20
Depuis les lois sur la parité* il y a 20 ans, on voit davantage de femmes émerger à des postes politiques d’envergure. Davantage, mais toujours très peu exposées, moins connues que leurs homologues masculins. Pourtant très connues sur le terrain, que ce soit sur la commune où elles sont élues ou au département, à la région, à l’Assemblée nationale ou au Sénat, le nom des femmes politiques savoyardes semble encore souffrir d’un excès de discrétion. Manque de représentativité, crainte de ne pas être légitimes ? Nous leur avons posé la question.
Difficile quand on évoque la politique en Savoie de ne pas entendre parler d’Hervé Gaymard,, de Louis Besson ou encore de Michel Barnier, Patrick Mignola et Thierry Repentin. Si certains ont été ministres et/ou ont une vie politique très fournie**, avec des entrées en politique de longue date, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent, depuis 20 ans, compter sur la présence d’homologues féminins issues du cru, dont pourtant, la notoriété ne connaît pas le même essor. S’il est vrai que les lois sur la parité en politique sont récentes (tout dépend de l’échelle) d’autres critères sont à prendre en considération.
« Les femmes n’osent pas encore assez se lancer… »
L’association « des conseillères municipales et des femmes élues de Savoie » (ACMS) a été créée en 1986 pour permettre aux femmes de se retrouver, d’échanger, sur leurs mandats et leurs travaux en qualité d’élues locales du territoire, et « d’avoir les clés pour mener leurs mandats à bien. » Pour Jocelyne Guidet, secrétaire de l’association, il ne fait aucun doute que les femmes politiques en Savoie « n’osent pas encore assez se lancer, il y a encore des freins, même si les choses sont en train de changer » ce qui expliquerait en partie leur sous-représentation médiatique. Un sentiment partagé par Emilie Bonnivard, députée de la Savoie. qui reconnaît une forme d’auto-censure, face à la possibilité d’apparaître davantage sur la scène nationale, médiatiquement parlant. « Je préfère travailler sur les dossiers que d’aller sur les plateaux télé pour parler quelques minutes », explique l’élue, « c’est sans doute une forme d’auto-censure, très féminine je suppose. On va se poser dix fois la question, on n’a pas envie de bavarder. » Et bien qu’elle soit très soutenue en Maurienne, que les gens aiment la voir à la télé et sont fiers de le lui dire, Emilie Bonnivard admet ne pas avoir une grande appétence pour le devant de la scène, ce qui pourrait expliquer que son nom soit moins connu que celui de certains de ses collègues masculins, et ce, bien qu’on lui tende volontiers le micro. « Je ne parle que si j’ai quelque chose à dire, j’en reçois des invitations, les choses ont tendance à évoluer, à changer dans le bon sens. Mais je me suis pas engagée en politique pour ça, je ne bâtis pas de stratégie de communication autour de ça, en local mon travail est très bien relayé, je ne peux pas dire qu’on ne parle pas de moi dans la presse quotidienne régionale, c’est déjà très bien. »
Humilité ou auto-pression ? En tous les cas, les femmes politiques savoyardes ne semblent pas chercher de notoriété particulière, voire même, ne sont pas très à l’aise face caméra, « se font violence pour dire ce qu’on fait » parfois, comme le souligne Martine Berthet, qui a conquis la mairie d’Albertville en 2014 avant de devenir la première sénatrice savoyarde. Une pionnière en quelque sorte. « Il faut reconnaître que la carrière des hommes politiques savoyards est plus longue que celles des femmes, entrées plus récemment en politique », tempère la sénatrice, « mais c’est vrai que c’est en partie grâce à la loi sur la parité que je suis entrée en politique en 2001. Les femmes ont l’habitude de gérer les choses sans faire de vagues. » Elle vient sans doute de là, la discrétion en politique des femmes élues en Savoie.
« …Mais on ne leur laisse pas beaucoup de place non plus »
Mais pas seulement. Pour Evelyne Simon, élue à Brison-Saint-Innocent depuis quatre mandats et présidente de l’ACMS, si on ne voit pas beaucoup les femmes élues en dehors des limites du territoire, « c’est parce qu’on ne leur laisse pas beaucoup de place non plus » s’exclame-t-elle ! « On le voit encore dans les séances de conseil municipal, une femme peut avoir de très bonnes idées, pour autant elle sera interrompue dix fois, les hommes ont moins peur de s’affirmer et on les écoute jusqu’au bout. »
Il est toujours vrai que la sphère politique reste traditionnellement assez masculine, bien que les lois pour la parité en politique ont changé la donne. Sans ces lois, qui ont permis à nombre de femmes qui le souhaitaient de s’engager en politique, on peut se demander si le pourcentage de femmes maires en Auvergne Rhône-Alpes, ne serait pas inférieur aux 16,6%*** actuels. Une tendance que veut faire évoluer l’ancienne adjointe aixoise, actuelle candidate à la mairie, Marina Ferrari « C’est vrai qu’il y a peu de femmes maires, pourtant les femmes en politique ont autant de sérieux que leurs collègues », relève-t-elle, « on se pose plus de questions sur notre légitimité, de savoir si on sera à la hauteur… Il faut aussi reconnaître que ça cogne beaucoup dans le milieu politique, et les femmes n’aiment pas ça, ça leur fait peur et leur déplaît » concède la conseillère départementale. « Au département on est arrivé à la parité parfaite, l’arrivée des femmes a même renouvelé l’institution en quelque sorte. Mais si on ne s’expose pas, on ne nous verra pas. Il faut prendre son courage à deux mains et y aller quand même, même si ce n’est pas évident »
Ce que soulève également Marie Dauchy, élue régionale sous l’égide du Rassemblement National, en Maurienne et également candidate tête de liste à Saint-Jean-de-Maurienne « C’est surprenant qu’au niveau national, seules 18% de femmes sont représentées en politique alors que récemment 71 % des français se sont dits favorables à ce qu’une femme devienne présidente de la République. » souligne l’élue, « personnellement je pense que c’est aussi aux médias d’intégrer davantage les femmes dans leurs articles, il faudrait qu’ils adoptent ce réflexe. » La parité n’est pas la solution, pour Marie Dauchy, « les femmes une fois élues ne vont-elles pas toujours se demander si elles ont été choisies pour leurs compétences ou parce qu’elles sont des femmes ? C’est le gros problème de la parité selon moi. Je suis très admirative des femmes qui s’engagent avec moi sur la liste des municipales 2020 », ajoute-t-elle, « elles sont très courageuses, d’assumer à la fois leur vie de famille et l’engagement politique, elles sont très investies. Il y a de très bonnes élues dans la région de tous horizons, qui défendent leurs engagements, Les erreurs peuvent venir tant des hommes que des femmes, même si on se met beaucoup de pression, qu’on est très consciencieuse, je pense que pour les gens qui nous ont élu, il ne faut pas avoir peur de sortir de sa zone de confort, tant qu’on le fait avec beaucoup de sérieux. » Pour autant, de nouvelles dispositions vont peut-être davantage motiver les femmes à s’engager en politique, comme le relevait Marie-Pierre François, rencontrée à l’occasion de l’annonce de sa candidature, comme la nouvelle loi du 27 décembre 2019, relative à l’engagement dans la vie locale et la proximité de l’action publique, renforçant la formation des élus locaux. Une façon pour les élus, et notamment les femmes, de ne plus hésiter à se lancer pour parler des sujets plus techniques ? Pour Martine Berthet, cela va faciliter la prise en main des dossiers par des femmes politiques « Là où il faut encore jouer des coudes, ça va encourager les femmes, qui n’auront plus peur d’y aller. » La sénatrice savoyarde voit une vraie différence entre le local et le Sénat où « les femmes sont vraiment considérées comme les égales des hommes »- et ce bien que 3/4 des parlementaires soient des hommes – ce que relève également Emilie Bonnivard à l’Assemblée nationale, où les mentalités changeant, « les hommes font de plus en plus attention. »
* Loi du 6 juin 2000, favorisant l’égal accès des hommes et des femmes aux fonctions électives obligeant les partis à présenter un nombre égal d’hommes et de femmes pour les scrutins de listes.Première Loi dite de la parité
** Louis Besson, Maire de Chambéry et Ministre du logement entre 1990 et 1991 (Rocard)
Hervé Gaymard, Ministre de l’économie, des finances, de l’agriculture (2002-2004 puis 2004-2005) (Raffarin III)
Michel Barnier, Ministre notamment aux affaires européennes à compter de 1995 et aux affaires étrangères en 2004 (Raffarin)
Thierry Repentin, Ministre délégué à la formation professionnelle et à l’apprentissage , puis délégué aux affaires européennes, entre 2012 et 2014 (Ayrault)
Patrick Mignola, Président du groupe MODEM à l’Assemblée nationale depuis 2018 et député depuis 2017 *** Chiffres INSEE-Mars 2017
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