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Thierry Repentin : « J’ai un appétit, une envie de faire bouger cette ville »
Par Laura Campisano • Publié le 11/02/20
Chambéry, lundi 10 février. Le temps est aux ondées, la permanence est vide. La responsable de la communication de campagne du candidat veille, le candidat, lui, arrive avec une poignée de minutes de retard. « Vous vous en doutez, dès que je traverse la ville… » Effectivement, on le devine. L’effet Repentin, s’il ne s’est pas manifesté dans les médias, touche tout le monde. Une campagne de terrain, une méthode inhabituelle d’occupation de l’espace, peu d’effets d’annonce et un souci constant de répondre à toutes les sollicitations des Chambériens, voilà de quel bois ont été faits ces six derniers mois. Ce 10 février, cependant, Thierry Repentin nous a reçus.
Impossible de ne pas débuter par cette question mais… êtes-vous candidat ? (Rires) C’est une vraie question ?
C’est une vraie question ; médiatiquement, vous ne l’avez jamais dit. Effectivement, j’avais indiqué à la fin de l’été que j’étais dans une ouverture à titre personnel. Et pour avoir été interpellé, de nombreux mois durant, par des acteurs de la vie chambérienne sur ce sujet-là, dès lors qu’il y a une volonté partagée au-delà des formations politiques, pour que Chambéry ne soit pas une ville moyenne, j’ai confirmé alors que je serai candidat, sans investiture. Je l’avais indiqué à l’époque, je n’en aurai aucune, la seule qui m’intéresse est celle des habitants eux-mêmes. J’ai pris le temps d’écouter, vraiment, avec considération – ce qui, semble-t-il, a fait défaut ces six dernières années – les associations, les collectifs, les personnalités… ce qui a permis de fédérer les énergies.
En gros, ce que vous avez réalisé, ces six derniers mois, était une sorte d’audit… Un audit sur ce qui s’est fait, sur ce qu’il y avait à faire, et sur le fait de savoir s’il y avait une envie de se mettre ensemble, sur la base du pluralisme et non pas du sectarisme. L’important pour moi était de m’assurer que je puisse avoir une équipe soudée par des valeurs, pas par des étiquettes politiques. On ne peut pas imaginer préparer localement des recettes qui ont été élaborées à l’échelle nationale. Lorsque vous partez avec une formation politique, vous agrégez autour d’un parti, des gens qui viennent sur une vision de la société écrite par cette formation politique. C’est le cas par exemple de la liste des Républicains, comme celle de la République En Marche. Pas nous. Notre dynamique fédère, dans la liste « Chambéry en commun » , des hommes et des femmes venant d’horizons très divers, j’avais parlé, à l’époque, d’un rassemblement inusité. Ça se confirme.
Nous avons vu, en effet, les différents pôles, présents dans la salle, cette organisation, différente, lors de vos réunions publiques. Vous ne pouvez pas imaginer déclarer qu’il va y avoir cette dynamique, il faut la créer et donner les outils à ces personnes pour la co-construire. Ce n’est pas une posture mais une conviction profonde, il faut réinventer les pratiques participatives, cette ville en a souffert. Cette écoute, cette proximité, ce dialogue permanent devront se traduire dans l’organisation de l’exécutif de la ville et de l’agglomération. J’ai beaucoup consulté, je l’ai fait aussi avec des élus de l’agglo, pour y imaginer une autre gouvernance.
« J’ai assisté à une seule séance du conseil, j’en suis sorti meurtri »
Jusqu’à présent, vous pensez qu’on n’a fait que donner de l’espoir aux gens ? Ils semblent attendre autre chose… Quand vous avez la possibilité de conduire l’avenir d’une collectivité territoriale locale, franchement, c’est une chance, parce que vous êtes dans l’organisation de la vie quotidienne, vous devez avoir une disponibilité qui est de nature différente que si vous avez un mandat de parlementaire, par exemple. L’équipe actuelle a eu cette chance, a-t-elle su la saisir ? Je n’en suis pas sûr. Sur les questions de ce lien de dialogue – pas d’information mais d’échange, car l’information arrive souvent après avoir pris une décision – quand ce lien existe, il y a un sentiment d’appartenance à une collectivité humaine. Je ne me suis rendu qu’à un seul conseil municipal, pour un sujet qui m’intéressait en particulier. J’en suis sorti meurtri par l’image de la démocratie locale à laquelle j’ai assisté, avec l’intervention de la police, alors qu’étaient venues s’exprimer les ATSEM (le 25 mars 2018, NDLR), en pleine séance, faute d’un dialogue préalable avec les représentants de la ville pour leur expliquer pourquoi elles allaient être licenciées. La police est intervenue plusieurs fois au cours de cette mandature, une fois, le conseil a été fermé au public, ce lien entre Chambériens et élus a été rompu. Je souhaite le retisser sur la base de la confiance et de la considération.
Vous allez donc changer la méthode… Complètement, c’est le sujet central également exprimé par les autres listes. Je le comprends, c’est légitime. Je ne crois pas qu’une équipe qui a fait le contraire de ce que nous souhaitons en fasse demain un élément de campagne, en disant « nous allons changer ». On ne peut pas mentir. Un tout premier conseil sera donc consacré à la mise en place d’assises de la démocratie, qui seront organisées sur plusieurs mois, afin d’acter les moyens par lesquels va s’exprimer cette démocratie. Ça n’empêchera pas la ville de prendre ses responsabilités pendant ce temps, en prenant les décisions qui s’imposeront.
Nous voyons tout de même que la personne du maire cristallise autour d’elle l’ensemble des crispations. Cela peut aussi vous arriver… J’en ai conscience. Vous avez la responsabilité d’être le fédérateur d’une commune, vous devez être celui qui imprime la façon de faire, c’est pourquoi il est essentiel d’avoir une liste formée de profils complémentaires. La composition de la liste est alors importante. Les gens peuvent accepter une réponse négative si on leur dit pourquoi. Je n’ai jamais vu, sur les grands sujets locaux, autant de recours, de collectifs opposés…
Prenons l’exemple du parking Ravet, ces collectifs ne représentent qu’une infime partie de la population.
Je ne me focalise pas sur un sujet, je me projette. Ce qui a été fait a été fait. J’ai simplement ressenti une très grande frustration de la part des habitants. Je ressens un sentiment d’abandon, créateur de frustrations.
« Personne n’ignore ma prégnance de gauche »
Comment faire, alors, pour que tout le monde soit d’accord ?
Déjà par la posture et la disponibilité. Combien de fois ai-je entendu les gens me dire « on n’a jamais été écouté » ? Il faut une attention et ça, c’est le devoir des humanistes. C’est peut-être le marqueur d’hommes, disons de gauche, mais c’est avant tout l’apanage de tout humaniste.
Votre liste n’est pas étiquetée à gauche mais…
Personne n’ignore mon passé, ma prégnance plutôt de gauche….
… mais vous avez le soutien du PS…
Oui, mais comme j’ai reçu le soutien de l’UDI, du parti Radical… Et c’est très bien ! Des femmes et des hommes candidats à des élections les uns contre les autres à d’autres niveaux se retrouvent assis sur la photo les uns à côté des autres. Samedi 8 février, à mes côtés*, il y avait Colette Bonfils qui, comme vous le savez, est la députée suppléante de Patrick Mignola, Christelle Favetta-Sieyès, secrétaire nationale à l’écologie pour l’UDI, Corinne Mezrich, présidente du centre social et d’animation du Biollay, candidate contre elle aux élections départementales… Franchement… les gens se dépassent dans une équipe car nous avons Chambéry en commun !
Les gens, on l’a vu sur certains commentaires, suite à cette annonce, n’ont pas compris cela.
Je me souviens de Louis Besson, quand il était maire de Chambéry, qui avait comme premier adjoint André Gilbertas**, représentant de Raymond Barre dans le département. Moi-même, président de Chambéry Métropole entre 2001 et 2004, j’ai proposé au candidat en lice contre moi en 2001, Marius Pilet, mon prédécesseur, d’être mon premier vice-président. Fédérer. La cohésion.
Vous soutenez des gens prêts à se dépasser. Les Chambériens devraient voir cela de façon positive. Et mon ou ma première adjointe ne sera sans doute pas quelqu’un du parti socialiste si je veux être cohérent jusqu’au bout. Je n’ai pas le sentiment que c’est ce qu’il se prépare sur les autres listes où il existe une logique de parti.
« Je suis maître de mon temps »
Avez-vous conscience d’avoir un peu agacé, au cours de ces derniers mois ? Les suiveurs, les potentiels alliés, vos adversaires et les observateurs se sont interrogés, attendaient des noms, des prises de position, rien n’est venu.
Je suis maître de mon temps, de mon calendrier, ce n’est donc pas à mes adversaires de le déterminer. Je ne souhaitais pas bâtir une liste partisane, j’aurais pu le faire. Je ne voulais pas bâtir un programme en chambre, j’aurais pu le faire, car les partis vous proposent un programme clé en main. J’ai découvert des gens avec des talents particuliers dont je me serais privé si j’avais agi classiquement. J’en suis très heureux. Nous touchons au point de la fin de cette période de dialogue, nous délivrerons des éléments sur les transports, la démocratie locale et la santé, en fin de semaine. La semaine prochaine, le reste de la liste sera dévoilée.
Vous n’avez donc jamais été débordé ? Ni par un article du Canard Enchaîné*** sur vos revenus, ni par les invectives des uns et des autres ?
Non. Je proposerais aux Chambériens de ne pas rentrer dans des débats qui touchent les gens à titre personnel. J’ai demandé à mes colistiers de signer une charte sur la façon dont ils sont candidats, la façon d’assumer une fonction d’élu. On n’ira pas dans le caniveau, bien qu’on souhaite nous y entraîner.
Lorsque vous êtes attaqué sur le plan personnel, c’est qu’on a du mal à vous attaquer sur le fond, alors on essaie de vous affaiblir par tous les moyens. Je demande à ce que l’on respecte tous les candidats, quels qu’ils soient.
Le soutien d’En Marche a engendré une réaction de joie exacerbée : que pensez-vous de l’injonction qui vous a été faite**** et des rumeurs selon lesquelles vous auriez fait déposer un dossier d’investiture par un tiers ?
J’ai déclaré que je n’aurai aucune investiture, je le confirme aujourd’hui, il n’y a pas de débat.
« Avoir » ou « vouloir » une investiture ?
Vouloir ! Il me semble légitime qu’il y ait un combat entre les formations. Je n’y suis pas. C’est un fait de campagne qui ne me concerne pas. Je prends acte. Je note que dans cette campagne, il y a beaucoup de formations qui souhaitent un changement. A l’exception du Rassemblement national.
« La sécurité ? Ça viendra, vous verrez »
Comment la trouvez-vous, cette campagne ? Agressive ?
Je trouve qu’il y a une belle dynamique. Je n’exprimerai pas le terme de « force tranquille » *****, elle est datée, mais c’est une campagne qui suscite de l’intérêt. L’un de ses marqueurs, c’est l’apport sur la liste de personnes de la société civile et de formations politiques qui n’avaient pas vocation à travailler ensemble.
Vous semblez vous situer, pour l’heure, au-dessus des débats et des polémiques… Avez-vous pris de la hauteur ?
J’ai un parcours, une expérience… j’en ai vu d’autres. Cette ville doit être autre chose qu’une ville moyenne aux ambitions étriquées. On peut être à taille humaine mais pionnière en matière de transition écologique. En matière de culture, de nature… Chambéry doit avoir un rayonnement allant au-delà de la Savoie. Il y a des enjeux, comme le TGV, qui doit passer par la ville. Il n’y a pas de débat ! Le Lyon – Turin****** est majeur pour son rayonnement et son attractivité. Je n’entends pas, aujourd’hui, de la part de ceux qui sont aux manettes, de positions claires. Le Lyon – Turin, c’est l’immense chance d’avoir des liens quotidiens avec Lyon, via des TER concurrentiels avec la voiture. Économiquement, vous êtes plus pertinents et on enlève à la Savoie ce couloir à camions. Après, il faudra traiter la traversée de Chambéry sans nuisances.
Sur la forme, trouvez-vous tout de même cette campagne moins anxiogène, pour les électeurs ? Il est moins question de sécurité, d’incivilités…
On s’est recentré sur la proximité, sur le sentiment d’appartenir à une même commune mais rassurez-vous, la sécurité, ça reviendra, c’est un marqueur que certains utiliseront à bon escient pour faire peur ou pour rassurer.
L’environnement semble désormais passer avant, dans les attentes des électeurs.
La santé, dont nous allons dévoiler le projet le 12 février, l’environnement, sont des questions transversales à toutes les politiques publiques. Nous devons constituer une équipe qui tienne compte de ces attentes primordiales. Ça doit primer, il faut entendre les nouvelles générations, alors, nous devons avoir des gens, dans l «équipe, de cette génération. Nous avons beaucoup de personnes de moins de 35 ans. La démocratie locale, le développement durable, les politiques de transports… la palette des nouvelles attentes est immense. Je n’ai eu que des remarques astringentes à l’égard de ce qui a été fait.
Le centre d’échange, par exemple, où s’arrêtent les bus et permet de faire les correspondances, pourquoi le casser ? On pouvait l’améliorer. Il faut revoir cela, à l’échelle de l’agglo. Il n’y aucune incitation au covoiturage, mettons en place une structure pour le développement de transports en commun entre Montmélian et Aix-les-Bains…
Il est beaucoup question d’une sorte de RER entre Montmélian et Albens…
Il faut faire attention à la terminologie. Le RER est très séduisant, il faut qu’il soit performant et financièrement atteignable. La SNCF et la Région nous demanderont de prendre en charge les nouvelles haltes et les nouveaux cadencements. En avons-nous les moyens ? Pas sûr. Par contre, nous avons les moyens d’organiser les bus à haut niveau de service (BHNS) de façon très performante. Si l’on gagne, dans les mois qui suivront, nous mettrons autour de la table les principaux employeurs de l’agglo pour voir avec eux comment décliner la loi d’orientation des mobilités, qui les incite au versement mobilité pour leurs salariés. Plutôt qu’ils le fassent chacun dans leur coin, faisons-le ensemble ! C’est de l’argent nouveau pour développer les transports en commun, le covoiturage… J’ai un appétit, une envie de faire bouger cette ville.
« Je ne cherche pas un bâton de maréchal »
Cet appétit va à l’encontre de certaines rumeurs qui vous voient quitter votre poste avant la fin du mandat…
En voilà une de plus ! Et il y en aura d’autres. Que les Chambériens ne s’arrêtent pas aux rumeurs. Je suis parti de rien, d’un petit village, Saint-Jean-de-la-Porte. D’une famille rurale. Rien ne me prédisposait à faire cette carrière. Je sors du lycée Monge, pas d’un lycée plus prestigieux comme Vaugelas. J’ai eu la chance de rencontrer Louis Besson, à la grande capacité de travail, avec lui, nous avons fait la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU), j’ai investigué ces sujets de politique de la ville, de l’aménagement du territoire, de logements, j’ai été rapporteur du budget, plusieurs fois porte-parole de la gauche… Bien que minoritaire, j’ai toujours, et sur tous les dossiers, fait adopter des amendements. Pourquoi ? Parce que quand vous avez quelque chose de chevillé au corps, vous pouvez convaincre. Vous le voyez bien, je ne cherche pas un bâton de maréchal.
C’est mieux en le disant…
J’ai toujours vécu à Chambéry, j’ai toujours eu cette attache. Je n’ai pas été attiré pour rester dans les sphères parisiennes, je n’y ai pas trouvé une sincérité et un engagement qui méritait que je lâche la Savoie et Chambéry. Je suis à l’aise dans ce que je fais aujourd’hui, je suis épanoui, point barre.
On vous dit secret, discret, voire taiseux…
Je suis un Savoyard. C’est ce que sont les Savoyards. Ça ne signifie pas que je n’ai pas de sentiment. Mais en politique, il ne faut pas trop en montrer. Désolé si vous me percevez comme ça.
Vous n’êtes pas facile à déchiffrer, ce qui a pu alimenter ces rumeurs à votre sujet…
Qu’est ce que vous voulez que je vous dise… il faut se protéger un peu. Les rumeurs, après, ça me hérisse…
* Samedi 8 février, une deuxième liste de colistiers avait été dévoilée ; la présence de Christelle Favetta-Sieyès (évoquée dans notre interview en date du 3 février) et de Colette Bonfils a dès lors été confirmée.
** André Gilbertas avait été l’adjoint de Louis Besson à partir de 1989. Élu maire de Chambéry en 1997 lorsque Louis Besson intégra le gouvernement, il ne se représenta pas en 2001. Il est décédé en juillet 2011.
*** Dans le Canard Enchaîné du 31 décembre, un article relatait l’intention du gouvernement d’examiner « le cas Repentin, nommé en 2017, président du conseil d’administration des autoroutes et tunnel du Mont-Blanc » , mandat renouvelable et révocable par le président de la République uniquement, indique le Canard. L’article faisait état d’une rémunération annuelle de l’ordre de 150 000 euros. Il semble que certaines prises de positions du candidat contre le gouvernement aient contraint « Matignon à demander au chef de l’Etat de le déquiller du Mont-Blanc » , conclut le palmipède.
**** A la suite du soutien de LREM à Christian Saint-André, daté du 29 janvier (lire notre article du 30 janvier), La République En Marche Grand Chambéry avait expressément demandé à Thierry Repentin de se rallier à lui. Le communiqué évoquait en outre qu’un dossier d’investiture avait été déposé par un tiers, en faveur du candidat. Ce que ce dernier a fermement démenti. Il a néanmoins été soutenu depuis par l’UDI, le PS et le parti Radical.
***** « La force tranquille » était le slogan de campagne de François Mitterrand à la présidentielle de 1981.
****** Fin décembre, Thierry Repentin avait signé un courrier, avec 18 parlementaires, à destination du président de la République, afin d’inciter l’Union Européenne à programmer les voies d’accès entre le tunnel de base et Lyon.
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