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En Savoie, justice, police et préfecture restent mobilisées pendant le confinement

Par Laura Campisano • Publié le 31/03/20

Palais de justice désert, salles d’audiences fermées, gardes à vue en baisse, contrôles routiers « classiques » très rares, le confinement donne l’impression que plus rien ne se passe derrière les portes du tribunal judiciaire et du commissariat de Chambéry. Ce n’est qu’une impression cependant. Bien qu’en effectif réduit, les activités urgentes se poursuivent au tribunal et la vigilance de la police reste accrue, principalement compte tenu des risques de violences intra-familiales. Tour d’horizon des différents services, toujours en action. 
Au tribunal judiciaire de Chambéry, d’ordinaire très animé, dès le dimanche 15 mars à midi, le plan de continuité d’activités a été enclenché, impliquant assez rapidement une réorganisation des services judiciaires qui ont drastiquement baissé leurs effectifs: de 105 à 110 personnes habituellement en fonction au sein du tribunal, une vingtaine sont mobilisables. Deux magistrats pour les comparutions immédiates et six magistrats mobilisables contre 17 au siège (soit ceux qui président les audiences). Au parquet, ils ne sont plus que deux pour gérer les urgences, la permanence et les audiences, tandis qu’il ne reste qu’une dizaine de fonctionnaires présents dans l’enceinte du tribunal contre 70 d’ordinaire. Equipes réduites, mais toujours de l’activité, surtout lorsque la liberté des personnes est en jeu. 
Les services de justice urgents maintenus, les affaires courantes en suspens
Les dispositions sanitaires issues de la loi d’Urgence Covid-19 ont induit la mise en place d’audiences à distance, par visio-conférence ou par téléphone, comme c’est le cas dans le cadre des audiences d’hospitalisation sous contraintes avec le centre de Bassens, où les patients sont en confinement total et ne permettent pas la mise en place du dispositif, pour les deux audiences par semaine maintenues.
Les audiences d’assistance éducative en urgence sont également maintenues pour les mineurs. Concernant le volet pénal, les créneaux des comparutions immédiates, les lundi et jeudi, sont maintenus, mais ne concernent que les affaires qui concernent des personnes détenues ou sous contrôle judiciaire, à renouveler. Subsistent toujours les demandes de mise en liberté des détenus, bien que toutes les convocations devant les juges d’instruction aient été renvoyées.

Les audiences réorganisées

C’est au 3e étage, celui du parquet, qu’a été installée la cellule de crise intra-services, « où des mesures sanitaires importantes de protection ont été prises », précise Julien Rutigliano, directeur de la communication du tribunal judiciaire « des protections de plexiglas sont sur le point d’être installées pour les déferrements (présentation des personnes au procureur après la garde à vue, NDLR) les gestes barrière sont scrupuleusement respectés. C’est un travail de coordination entre les services, heureusement nos fonctionnaires et magistrats sont polyvalents et mobilisés, il en va de même pour les greffières, nul n’était forcément préparé à la situation mais tous ont envie de faire quelque chose, d’aider le service, y compris ceux qui ne sont pas sur place. Nous avons privilégié les règles sanitaires, en mobilisant les personnes sur des périodes de 14 jours, avant de tourner. Nous évitons qu’il y ait trop de monde au palais de justice, pour éviter la contamination qui, fort heureusement, pour le moment n’a pas été déclarée dans nos services. »
Au greffe correctionnel, bal d’appels téléphoniques et sang-froid
Greffière au service correctionnel, Audrey B. est mobilisée depuis le 15 mars. Restée dans son service d’origine, elle assure les audiences de comparution immédiate. « Nous avons dû réorganiser toutes les audiences, contacter chaque intervenant dans la vingtaine de dossiers, toutes ont été annulées sur les quinze premiers jours », nous détaille-t-elle, « c’est du cas par cas, il a fallu prévenir les personnes convoquées de ne pas se présenter au tribunal, déterminer les affaires où la liberté était en jeu. Cela demande beaucoup de coordination, ce n’est pas le volume qui est important, c’est l’organisation autour de chaque dossier. » En tous les cas, pour le moment, il n’y a pas de nouveau cas à juger, et si jusqu’alors elle a assuré les audiences seule, une de ses collègues va prendre le relais pour les quinze jours suivants. « Le moral est bon, nous sommes une équipe soudée, devenue experte en visio-conférence », sourit-elle, « nous travaillons ensemble, nous nous sommes répartis les tâches. » 
Au Parquet, Pierre-Yves Michau manie l’art de s’adapter aux nouvelles règles légales tout en gardant le cap

Ils ne sont plus nombreux, nous le disions, à occuper les bureaux du Tribunal et encore moins ceux du 3e étage, celui du parquet. Le procureur de la République est présent, gérant les équipes d’une part, et l’évolution de la situation, au jour le jour et même d’heure en heure. « Il a fallu s’adapter, aux règles et mesures nouvelles de la Loi d’urgence sanitaire Covid-19, organiser le service », explique le magistrat sans se départir de son calme, « nous notons certes une baisse de déferrements, compte tenu des mesures de confinement, mais nous avons réorienté notre activité. L’activité judiciaire a considérablement baissé, mais se concentrent sur les urgences, les flagrants délits. » De bon augure ? Trop tôt pour le savoir, d’autant que de l’avis de tous, nous n’en sommes qu’au début des mesures de confinement : « Nous sommes très vigilants en matière de violences conjugales », reprend Pierre-Yves Michau, « les associations et les autorités administratives travaillent en concertation. Pour les faits les plus graves, les mis en causes seront immédiatement écartés du domicile, ceux ayant des antécédents déférés et incarcérés. » 

La session d’assises renvoyée

Côté maison d’arrêt, pour le moment, le procureur ne note aucun incident majeur, « les détenus sont relativement dociles et l’administration gère la situation, il n’y a pas non plus de difficultés sanitaires à l’heure actuelle. »  D’autant qu’à deux dans le service, l’un gérant les permanences, l’important est d’être présent et de faire face : « L’organisation entre les services ne traite que les missions essentielles », analyse-t-il, « magistrats, fonctionnaires travaillent à distance, ou sur site, et comme nous n’en sommes peut-être qu’au début, il faut être là, présents, nous avons bien conscience que la situation va s’inscrire dans la durée. » Pour le moment, l’état d’esprit est à l’efficacité, à la prudence, car le confinement peut changer les choses assez vite. « Il faut voir comme cela va évoluer » souligne le magistrat qui relève que « beaucoup de gens ont le sens du devoir et des responsabilités, pour assumer les missions de l’institution judiciaire, dévoués à l’intérêt général, et nous fonctionnons à la fois dans la continuité des activités mais aussi avec le souci de protection sanitaire de tous, afin de limiter la propagation de ce virus. » Peu d’audiences, mises à part celles statuant sur la liberté, et une session d’assises totalement renvoyée, la justice aura sans doute du mal à rattraper son retard, pris avant la crise, ainsi que celui, vraisemblablement durable, auquel elle est astreinte aujourd’hui, mais le mot d’ordre reste toutefois la mobilisation.
Les avocats, mobilisés pour les permanences obligatoires, mais confinés chez eux

Complexe, la situation des avocats en cette période de crise sanitaire : après neuf semaines de grève dure et illimitée, dont nous vous avions parlé dans nos articles de janvier, au plus fort de la grogne sociale, les voici à présent assignés à résidence, pour les dossiers en cabinet, mais sur le pont, pour la défense. En garde à vue, en audiences devant le juge de la liberté et de la détention, en hospitalisation sous contrainte, pour les mineurs  et les comparutions immédiates, les avocats ont donc repris le chemin des permanences, que le bâtonnier de Chambéry a remis en place. « Les cabinets ne sont plus ouverts au public, nous devons, nous aussi, garder nos enfants et ne pouvons plus pour des raisons de sécurité sanitaire, recevoir nos clients », commente Christian Menard, « il n’était pas question que nous nous dérobions, alors j’ai remis en place le service des permanences sur la base du volontariat. Nous avons refait les tableaux de permanence. Certains confrères ne peuvent pas se déplacer pour raisons de santé, qui pourraient être aggravées en raison du virus, certaines assistances se font par visio-conférences. » La loi d’urgence permet également l’assistance de l’avocat par téléphone en garde à vue, bien que cela n’ait pas encore été mis en place matériellement. « Notre présence est fondamentale, alors même si le système s’adapte à la crise sanitaire, il va sans dire que cela ne doit pas perdurer et ne doit se faire que très exceptionnellement. »  A ce jour, pourtant, si très peu d’avocats retournent au Palais, la situation de certains cabinets est plus que difficile. « La TVA, par exemple, ne fait pas partie des impôts suspendus… et pour certains qui ne font en général que du pénal, ou qui ont des secrétaires en chômage partiel, la situation est plus qu’incertaine », regrette le bâtonnier, qui a tout de même repris le traitement des paiements Carpa (la caisse autonome de règlement pécuniaire des avocats, NDLR) par une secrétaire de l’ordre en télétravail, pour permettre à ses confrères, de souffler, un peu. 
Au commissariat de Chambéry, « on ne marche pas au ralenti » 


« Le moral, on l’a toujours », nous rassure le brigadier de police Jessica Goguelat en charge de la communication au commissariat de Chambéry. Sur tout le département, trois commissariats ont dû réorganiser leurs missions, dont le sien, Albertville et Aix-les-Bains. Ce sont 330 fonctionnaires qui sont ainsi répartis sur l’ensemble du département, principalement afin de faire respecter les mesures de confinement mais pas uniquement. « Les gens ont rapidement compris ce qu’ils devaient faire, au bout d’une semaine, il y avait déjà très peu de personnes à contrôler et cela se passe bien, partout », analyse-t-elle. « Mais nous ne faisons pas que cela, nous répondons à chaque appel et même si la délinquance a changé depuis le début du confinement, nous sommes sur le terrain, une plateforme de plaintes a été mise en ligne, et nous communiquons aussi sur les réseaux sociaux, il n’y a pour le moment, aucun accident majeur. » Les commerçants jouent d’ailleurs la carte de la solidarité avec les fonctionnaires de police en leur apportant baguettes et pâtisseries invendues, sandwiches pour les repas du midi et du soir, y compris des pizzas. « Nous avons même reçu du savon, en quantité, de la part d’une dame qui s’est déplacée pour nous l’apporter », sourit-elle, « nous ressentons que la population a une assez bonne opinion de la police. »

Laetitia Philippon, « sur le département, les policiers sont les gardiens du confinement » 


La directrice départementale des services de police pense ce confinement comme un marathon, qu’il faut tenir sur la durée. Et pour cela il a fallu répondre d’abord à la possible baisse des effectifs, compte tenu de la situation sanitaire. « Nous avons dû faire face à quelques cas suspects, mais un seul avéré cliniquement. Certains sont déjà de retour, et les cas en cours évoluent positivement », précise-t-elle, « dès lors, sans ceux qui sont touchés par des pathologies, écartés des services sur avis médical, puis ceux qui doivent aussi garder leurs enfants, rien ne doit nous empêcher de fonctionner normalement. » C’est pourquoi, comme au tribunal judiciaire, des groupes de travail et de roulement se sont mis en place, depuis lundi dernier. C’est ainsi que les services de police ont pu devenir « les gardiens du confinement » comme les surnomme la directrice de la DDSP, « ils sont très investis, discutent avec les gens au balcon, sur le terrain, bien qu’inquiets car ils sont exposés, ils ont saisi l’importance de leur mission. Il leur est toujours demandé de s’adapter, mais ils le font pour aider les soignants. Nous jouons notre rôle de protection de la population, c’est pourquoi notre mot d’ordre est la mobilisation générale. Nous devons continuer nos missions de police secours, la surveillance des commerces fermés, mais aussi nos missions judiciaires. » Alors, certes, les infractions routières, les bagarres en sortie de boîte de nuit et l’activité judiciaire ayant baissé, forcément, le chiffre de plaintes a sensiblement baissé. Mais certains dossiers sensibles en cours, liés à des affaires de mœurs et de mineurs, eux, ne peuvent « absolument pas être laissés en suspens ».

« Appeler la police parce qu’on a un doute, c’est de la solidarité, pas de la délation »

Il a donc fallu s’adapter, appeler des fonctionnaires en réserve, accepter la flexibilité des horaires, une fois de plus. D’autant que si les plaintes et l’activité a baissé, le nombre d’appels au 17 a lui doublé. Pourquoi? « Il y a de tout, des gens dehors, ce que les gens ne comprennent pas, des hurlements chez les voisins, des fous qui décompensent… les différends conjugaux pour le moment n’ont pas pour autant augmenté de manière significative depuis le début du confinement, nous avons eu des interpellations mais pas encore de procédure, certains quittant le domicile conjugal avant que la situation ne dégénère. » Mais Laetitia Philippon le rappelle, appeler les secours quand on a un doute sur ce qui se passe à côté, ce n’est jamais une perte de temps : « Ce n’est pas de la délation que d’appeler police secours parce qu’on entend des bruits inhabituels chez ses voisins, ou que l’on s’inquiète pour la dame d’en face qui n’a pas ouvert ses volets. C’est de la solidarité, se préoccuper les uns des autres, c’est important, il vaut mieux se déplacer pour rien. » 
Et question solidarité, une grande partie de la population savoyarde semble avoir compris l’importance du confinement, selon la directrice de la DDSP, encourageant et remerciant même les policiers aux points de contrôle, certains n’ont pas toujours notion de la dangerosité de leur comportement. « Et ça ne vient pas des quartiers dits sensibles, il n’y a pas plus de regroupements à Chambéry-le-Haut qu’il n’y a eu de rassemblements à Buisson Rond, ou même d’habitants du centre organisant au début du confinement » une fête des voisins « précise-t-elle, Après de jours de pédagogie, nous contrôlons et verbalisons avec discernement, principalement les attitudes désinvoltes qui ne sont pas acceptables, parce que ces personnes mettent les autres en danger. » Tous les soirs, à 20 heures, quand les habitants applaudissent aux fenêtres, les policiers chambériens, eux allument les gyrophares en l’honneur du personnel soignant, « en signe de solidarité. »

Thierry Pothet : « Nous avons les outils pour accueillir les victimes de violences intra-familales, et pouvons monter en charge »
Le directeur départemental de la cohésion sociale et de la protection des populations de la Savoie redouble de vigilance, dans cette situation très inhabituelle de confinement, liée à la crise sanitaire. Avec ses équipes, il assure avoir, à l’heure actuelle, mobilisé les structures d’accueil prêtes, 24/24h à accueillir les victimes de violences intra-familiales* « le jour même, sur tout le département, à des adresses gardées discrètes, ciblées en deux endroits à l’heure actuelle, mais nous pouvons monter en charge si nécessaire. »  Déjà vigilant en temps normal, l’hébergement d’urgence dans ces cas particuliers, est renforcé depuis le 18 mars dernier. « De nombreuses places sont déjà occupées, hors contexte de la crise sanitaire », commente-t-il, « mais nous sommes en constant développement de places supplémentaires. » Car voilà la mission de son service, veiller et mettre à l’abri, Pour l’heure, après 15 jours de confinement, rien ne semble avoir évolué dans le sens d’une explosion de violences conjugales ou intra-familiales comme nous l’indiquaient l’ensemble de nos interlocuteurs. « Même le système de reporting avec les bailleurs sociaux du département, nous ont indiqué que pour le moment c’était plutôt calme, mais ce n’est que le début. » avance-t-il avec prudence. « Quelles situations ce confinement va-t-il engendrer? Tout l’enjeu est là. » 
Pour autant, suivant l’adage qu’il vaut mieux prévenir que guérir, tous les services se tiennent prêts à intervenir, en lien direct les uns avec les autres. La coopération, la mobilisation, l’entraide entre les différents services suffiront-elles ? Il sera temps de faire un nouveau point dans quelques semaines pour le savoir. 

* En cas de violences sur les enfants le numéro d’urgence est le 119 et concernant les violences conjugales le 3919

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