Les opinions du Petit Reporter : Applaudissements d’honneur

J’avoue que dans un premier temps, j’ai moi-même été happé par un relent rance de grogne bien française lorsque je vis passer, pour la première fois, l’info selon laquelle une députée savoyarde proposait une loi pour décorer de la Légion d’honneur les personnels soignants tombés pour la France. Une réaction qui tenait du réflexe presque conditionné par une époque où les politiques ne sont considérés que comme des passeurs de com’, prompts à profiter de toutes les circonstances pour se redorer le blase à moindre frais. Populiste ? Démago ? Opportuniste ? Peut-être. Emilie Bonnivard avait même devancé notre question (dans notre entretien paru le 26 mars) en expliquant que l’on pouvait légitimement trouver cela « vain » et « inutile » – selon ses propres termes – « nous avons des soignants en première ligne qui ne regardent ni les heures ni les risques » , nous rappelait-elle, fort justement. Elle savait que sa proposition serait perçue comme une entreprise de com’ par une large  population accro au complotisme et à la défiance carabinée envers une classe politique dépréciée. 
Seulement, à la lecture des réactions suscitées, je suis frappé, plus que fasciné, par leur violence. « Qu’elle se fasse petite maintenant qu’on est tous dans la merde » , « pauvre conne » ou encore des smileys qui vomissent leur haine… Sur Twitter, le plus grand comptoir-foutoir-défouloir de la planète, Paris Match diffuse l’info. Et là, c’est pire : « La connerie est toujours là » , « L’autre, elle pense à la Légion d’honneur ? Débile ! » « Pauvre tâche » , « Cynique, abjecte » … Bref… Ma vasque à dégueuli est pleine. Je ne vais pas vous sortir les violons ou vous parler de ces temps de confinement qui nécessitent solidarité, bienveillance et tolérance. Mais vraiment, vous n’êtes jamais fatigués…? Fatigués de déverser votre haine gratuite pour le seul motif que nos médecins auraient autre chose à penser, eux qui réclament plus de moyens et de considération ? La reconnaissance de la nation en est une, de considération, ne vous en déplaise, chers inquisiteurs. Démagogique, sans doute, mais dans ce cas, remettez-vous en question et demandez-vous si applaudir à 20h, bien confinés à l’abri des malades, tous les soirs n’est pas démagogique… Est-ce cela qu’ils attendent de vous ? Est-ce que ça leur réchauffe le cœur et l’âme ? Pas sûr. Un médecin expliquait récemment sur les ondes de RMC que ce qu’il attendait, c’était de ne pas trouver des rayons vides dans les supermarchés, c’était d’avoir droit à une file spécifique pour les faire lorsqu’ils en ont l’occasion (c’est à dire rarement). Voilà. 
Vous étiez déjà Charlie, il y a cinq ans avant que tout cela ne vole en éclats en moins de trois semaines, lorsque des gens se battaient pour le dernier exemplaire du tristement célèbre hebdomadaire. Vous voilà chefs d’orchestre sur votre balcon à l’heure du JT, ça ne durera pas plus longtemps si ce claping téléguidé n’a d’autres vertus que de vous donner bonne conscience. Non, attribuer la Légion d’honneur aux défunts ne les enorgueillira pas, ne contentera sans doute pas leurs familles, mais vos applaudissements non plus. Mais si ces derniers peuvent réchauffer le cœur de certains, gageons qu’une breloque et une reconnaissance de la nation tout entière y parviendront aussi.

J.B.