article

Municipales 2020 : report ou annulation du scrutin, gros plan sur les options en vue du second tour

Par Jérôme Bois • Publié le 16/03/20

Du matin au soir du 1er tour, ce dimanche 15 mars, nous avons entendu parler d’un éventuel report, voire d’une « annulation » du second tour des élections municipales. Des heures d’info en continu entre spécialistes pour commenter la tenue du premier – qui n’aurait jamais dû avoir lieu selon certains, parfois les mêmes qui avaient crié au scandale « si la décision de reporter était prise » peu avant l’allocution présidentielle – alors que le premier ministre est encore en train de plancher sur la question.
Il y a en réalité deux écoles, l’une prônant que le report du second tour reviendrait à annuler purement et simplement le scrutin du 1er tour, en application stricte de l’article 56 de la Constitution et de l’article L227 du Code électoral, qui rendent indissociables les deux tours. Et l’autre, qui vient indiquer que seuls les candidats en « ballottage » sont concernés. Et pour cause : en ces temps complexes, alors que la grande majorité des communes sont aujourd’hui en capacité d’élire le conseil municipal ET donc de faire face aux urgences de protection des administrés, il serait plus « sage » pour l’exécutif d’agir par voie législative.

Report plutôt qu’annulation : un choix de raison sous le contrôle du Conseil d’Etat

Annuler ce scrutin ? C’est ce que martèlent certains constitutionnalistes chevronnés : la Constitution et le code électoral sont formels, les deux tours sont indissociables. Oui, c’est vrai. Mais cela est-il valable en cas de force majeure ou d’état d’urgence ? Car si la grande majorité des communes sera pourvue d’un conseil municipal en fin de semaine, de nombreuses villes, parmi les plus importantes du pays, sont confrontées à une seconde échéance. C’est le cas de Chambéry, où trois candidats sont en lice, avant tout accord, La Ravoire ou encore Barberaz. L’abstention, nous le remarquions dans notre analyse de ce premier tour de scrutin, a permis à certains candidats de faire des scores importants, avec peu de votants, mais sans aucune certitude au second tour. Il existe, comme le souligne Jean-Philippe Derosier, professeur de droit public à l’Université de Lille chez nos confrères de Marianne, une théorie dite « des circonstances exceptionnelles », théorie que les juristes connaissent de loin, à part en temps de guerre, on ne l’a pas souvent actionnée en France et jamais sous la Ve République. C’est ce qui permettrait le « pas de côté » vis-à-vis de la loi, et la tolérance du Conseil d’Etat, qui contrôlera les décisions (décrets ou loi) prises en ce sens.

Ce qu’impliquerait le report

Aussi, reporter le scrutin du second tour, plutôt que de l’annuler et de facto annuler les résultats du premier, semble une solution plus « raisonnable », tant politiquement qu’administrativement, comme semble le souligner Thibaut Guigue, chargé d’enseignement en sciences politiques à l’Université de Chambéry: « Cela figerait les choses politiquement, s’il y a un report long au second tour, on reviendrait à la logique du décret, les listes en lice, les comptes de campagne, tout resterait en statu quo jusqu’à la tenue d’un second tour », analyse-t-il. « En revanche cela posera des questions en matière d’intercommunalités, et sur les mesures à appliquer en matière de sécurité pour les administrés. Il va falloir réajuster et utiliser un vrai principe d’intelligence. » 

Ce qu’induirait l’annulation


Annuler le second tour, et donc tous les résultats du premier, dans une situation aussi complexe que celle que vit le pays aujourd’hui, reviendrait à « figer » les communes plutôt que les résultats : en l’état actuel des choses, les maires actuellement en place n’ont pas de mandat étendu, car ce dernier expire au 31 mars 2020. Il leur est impossible de rester en place sans une loi les y autorisant. Il faut donc nécessairement proroger les pouvoirs des maires sortants, par un décret ministériel. Que permettrait ce décret, si ce n’est parer aux affaires courantes? Cela contraindrait ces élus à rester en place, ce qui pour les candidats ne pose pas de difficulté, mais pour ceux qui voulaient se retirer, qu’en est-il? Le Préfet serait-il autorisé, vu le contexte, à reprendre la main sur les communes sans maire élu?

Tant de questions qui seraient sans objet si les nouveaux conseils municipaux dans les communes déjà scellées sur leur sort étaient autorisés à se réunir. Des recours auront-ils lieu concernant l’insincerité du scrutin? Sans doute, mais « la mission première des collectivités territoriales est la protection des populations » rappelait Renaud Beretti au soir du premier tour, qui l’a vu replacé dans ses fonctions de maire d’Aix-les-Bains. Alors, que faire ? 

La voie législative pour maintenir les élus en place et reporter le second tour


En réalité, il faudrait une loi qui maintienne en place les mandats des maires sortants dans les communes en situation de ballottage, (où un second tour doit avoir lieu) et décide du report et de son délai. Plusieurs personnalités politiques, et notamment des députés, ont réclamé un report. La sémantique est ici plus qu’une simple rhétorique : il convient que le Parlement se réunisse, c’est-à-dire l’Assemblée nationale et le Sénat, en session extraordinaire, pour que cette loi soit votée. En tout état de cause, les listes en ballottage, ont encore jusqu’à mardi soir pour fusionner entre elles. 

L’article 16 et les pleins pouvoirs du chef de l’Etat


La dernière option reste l’utilisation par le Président de la République de l’article 16 de la Constitution, lui donnant les pleins pouvoirs pour une durée de 30 jours, renouvelable, qui lui permettrait de se passer du Parlement. Alors qu’une allocution présidentielle est prévue ce lundi 16 mars, tous les scénarii sont donc pour l’heure, possibles. Même un report long serait suffisant pour que le second tour se déroule dans un climat moins anxiogène. Cette situation est inédite sous la Ve République, bien qu’un épisode ait déjà eu lieu en 1973 sur l’île de La Réunion, à cause du passage d’un cyclone, contraignant le second tour à se dérouler avec une semaine d’écart sur décision du Préfet, sans opposition du Conseil d’Etat. Cette crise sanitaire serait-elle l’occasion de modifier, pour les adapter aux réalités actuelles et futures, la Constitution et le code électoral ? A suivre. 

Tous les commentaires

0 commentaire

Commenter