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Voglans : le cri d’alarme (et du cœur) d’un horticulteur désemparé

Par Jérôme Bois • Publié le 25/03/20

Le confinement des hommes n’altère en rien leur liberté de s’exprimer. Ainsi, un horticulteur, patron d’Au Jardin des Plantes, à Voglans, a lancé une vibrante complainte sur sa situation professionnelle et sur l’hermétisme des institutions. Un cri qui a fait jaser sur les réseaux sociaux, qui est remonté jusqu’aux chambres consulaires, peut-être même jusqu’à Paris. La magie des réseaux opère, gageons que cet appel ne restera pas sans réponse.
Laurent Gonnet est le propriétaire d’Au Jardin des Plantes à Voglans. Enseigne connue, impossible de ne pas l’apercevoir au sortir de la VRU, direction Aix-les-Bains.


Pourtant, en ces temps de confinement, de restrictions et de limitation des libertés (la loi d’Urgence Covid votée le dimanche 22 mars n’ayant rien arrangé à l’affaire), Laurent s’est lancé dans une diatribe destinée à faire bouger les lignes. Son texte, partagé près de 1 200 fois sur Facebook, a fait causer à tel point que son appel a été relayé par les chambres consulaires et auprès des politiques. Tout est parti d’un reportage au 20h de France 2 voici quelques jours… « Une famille était interviewée dans le cadre du confinement imposé par le président, elle expliquait qu’elle s’était achetée du coloriage et des vêtements via Amazon » , se souvient-il, une activité comme une autre lorsqu’on est bloqué avec ses enfants. Mais l’interview ne passe pas : « Ce n’est pas possible d’acheter sur Amazon pour l’amusement alors qu’à côté de chez eux, des filières entières s’effondrent, on marche sur la tête ». Aussitôt, Laurent écrit à France 2, sa prose de quelques lignes provoquant moult réactions. « En tant de guerre, faire prendre des risques à des livreurs, des postiers, tout en empêchant les gens de se tourner vers leurs commerces de proximité » … Non, définitivement, la pilule ne passe pas. « On ne vit clairement pas sur la même planète ». Néanmoins, son texte parvient entre les mains d’un avocat. un long panégyrique à l’adresse de ces patrons qui luttent et de sa profession, malmenée tant par une situation sanitaire extraordinaire, au sens premier du terme, que par un cadre qui contraint les commerces – grande distribution exceptée – jusqu’à les étrangler. Et leur lettre, écrite le 21 mars, n’y va pas par quatre chemins. « Chacun, à son niveau, rencontre des difficultés. Comme des milliers d’entreprises, j’ai été contraint de fermer la mienne. Je ne peux plus rien vendre à mes clients et mes salariés sont presque tous au chômage partiel. Face à la crise, la production de la filière horticole est dans une situation catastrophique ». Stocks détruits, perte de chiffre d’affaires, charges et salaires à verser malgré tout, nouveaux plants sans savoir s’ils pourront être revendus… 
Ensemble, ils rédigent

Une année de production en jeu


Le tableau est peint dans une sombre tonalité. « Nous mettons des mois à cultiver des plantes en grande quantité, elles doivent être soignées et arrosées quotidiennement pour fleurir et arriver à maturité au bon moment. Elles sont périssables, les ventes sont très saisonnières (80% de ces ventes sont réalisées entre le 15 mars et le 15 mai) et dépendent de la météo ». La production de toute une année est en jeu.  Désemparé, il sait qu’il lui faudrait sacrifier des productions entières : « Même s’il s’agit uniquement de pertes matérielles, nous allons devoir détruire des milliers de plantes dont on prenait soin depuis des mois : plus de 50 000 plantes fleuries (primevères, pensées, jonquilles, myosotis, renoncules, soucis, pâquerettes, etc.), trois tonnes de plants de pomme de terre et de plants de salades et 300 kg de plants d’oignons et d’échalotes ». Du chiffre d’affaires en fumée et aucun espoir de se tourner vers l’Etat : « Je ne crois pas aux dédommagements promis par l’Etat, il se cherchera suffisamment d’excuses pour s’en exonérer » , confie-t-il, dépité. Et si la situation perdure, « nous devrons également détruire 250 000 géraniums et plantes à massifs, 100 000 plants de potagers (tomates, aubergines, courgettes, etc.), 12 000 plantes aromatiques (thym, romarin, ciboulette, estragon), 24 000 fraisiers et de très nombreuses plantes vertes et arbustes : camélias, rosiers, forsythias, lilas, plantes grimpantes, etc. » Si tout ce qui relève de l’animalerie est jugée prioritaire, plants et graines ne le sont pas, limitant ainsi l’intérêt pour lui de se lancer dans le « drive » ou la livraison à domicile. « C’est ainsi. Car si j’ai bien compris, ma production n’est pas prioritaire et car il y a des risques de contamination ». Autre problématique, pour livrer en direct, à ses 1 000 clients journaliers, « il me faudrait des dizaines de livreurs… (il réfléchit) 20 cagettes au maximum par camionnette, il m’en faudrait au moins 50 par jour pour tout livrer ». Vous avez dit « cata » ?

Un message posté sur Facebook, amplement relayé, largement discuté…

La grande distribution dans le viseur

Il poursuit : « La santé de chacun d’entre nous doit passer avant tout. Simplement, j’ai du mal à comprendre qu’on demande aux entreprises de poursuivre leurs activités pour le bien du pays et, dans le même temps, qu’on nous interdise de le faire. Dans notre entreprise familiale, on emploie plus de 55 salariés. Comme dans de nombreuses autres structures, on forme beaucoup de jeunes, nos fournisseurs comptent sur nous, on paie chaque mois ces dizaines d’employés, on paie des charges, des cotisations, des impôts, etc. Alors, je ne sais pas si mon activité d’horticulteur est prioritaire ou non, mais il me semble qu’elle contribue, à son niveau, à » l’effort de guerre « du pays et à son économie ». Et c’est là qu’apparaît le nœud du problème, histoire de rendre ce tortueux scénario proche de l’insoluble : la grande distribution qui semble, elle, protégée, Laurent Gonnet dénonçant même une « concurrence déloyale ». La même grande distribution diabolisée et visée par tous les défenseurs des marchés de plein air suspendus par les dernières mesures gouvernementales au titre de l’urgence sanitaire. « Depuis que nous sommes fermés, j’ai constaté que certaines enseignes de distribution continuent de vendre des produits végétaux. Je ne comprends pas pourquoi ce qui serait autorisé pour les uns, serait interdit pour les autres. En réalité, en l’absence de réglementation claire et de directives suffisamment précises, c’est le plus grand flou et ces enseignes en profitent au détriment d’entreprises horticoles qui respectent scrupuleusement les barrières de protection et le principe de précaution. Cette concurrence déloyale est insupportable (…) On semble reprocher à mon entreprise de ne pas être en mesure de faire respecter les règles sanitaires de protection, contrairement à d’autres. Ce reproche me parait très injustifié ».

Des plantes jetées à la poubelle.
Il met alors en avant ses installations, espacées, aux allées suffisamment larges pour permettre une circulation régulée et sécurisée. Il rappelle que le drive sans contact est parfaitement fonctionnel, « pas de contact avec le terminal de paiement, pas de contact entre clients et salariés, nous sommes en règles avec les gestes barrières. Est-ce le cas en grande surface ? J’aime le bon sens » , insiste Laurent, « selon moi, on ne doit pas opposer les activités qui seraient prioritaires d’un point de vue strictement sanitaire à tous les autres pans de l’économie indispensables au financement du pays et notamment des hôpitaux. Toutes ces activités sont complémentaires et non pas opposées. Croyez-moi, je n’en veux à personne et je n’aimerais pas être à la place des décideurs. Mais l’état d’urgence sanitaire n’exclut pas, avec un peu de recul, des adaptations secteur par secteur ». Simplement, il attend des institutions qu’elles contraignent les grandes surfaces à fermer les rayons non prioritaires : « Avec de la rubalise, c’est possible ». 

Des plantes offertes gratuitement

Du coup, Laurent tente de livrer ses plantes à qui n’en veut, trois Ehpad, deux mairies (Bourdeau et La Rosière), un foyer de l’enfance.. Mais trop souvent, il se heurte à la frilosité des collectivités ou des établissements. Dans l’un d’eux, il lui a même été dit que faute d’accepter les familles, il était exclu, aussi, d’accepter des livraisons de fleurs. Nous marchons sur la tête ? « Ce n’est pas leur priorité du moment ».  « Nous pensons surtout en ces temps difficiles aux malades, à leurs familles, au personnel de santé », reconnaît-il, « qui fait un travail formidable et à tous les salariés et entrepreneurs qui continuent de faire tourner l’économie du pays avec la boule au ventre ». Et la perspective de devoir jeter une année de production serait plus qu’un crève-cœur, une déflagration et un dramatique message à adresser à ces dirigeants de l’ombre, à ces salariés sacrifiés… « Alors, nous sommes également prêts à offrir gratuitement nos plantes destinées à être détruites, dans la limite de nos possibilités, aux municipalités des alentours afin de fleurir notre environnement et d’égayer, même de loin, notre confinement, puis lors du retour à la vie normale ». Vous l’avez compris, son témoignage est avant tout « un cri du cœur mais pas un coup de gueule contre qui que ce soit ».  Seul le cabinet du président du département, Hervé Gaymard, a répondu à ce cri de l’intérieur mais ce message est également parvenu en Préfecture, au sein de la CCI Rhône-Alpes et de nombreuses instances encore. Compte tenu de son audience, il pourrait encore monter plus haut…

Tous les commentaires

3 commentaires

Unknown

26/03/2020 à 07:02

Je suis en accord avec cet horticulteur.
Il y a des solutions et il faut les étudier. Si les mesures de sécurité sont respectées.

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Florence G

04/04/2020 à 06:19

Je rêvais de me remettre a
Faire le jardin cette année. Décision prise bien avant la crise. Je ne sais mm pas comment me fournir en terreaux et les plants n ont parlons pas...je voudrais aller directement chez le producteur mais c est trop loin de mon domicile... Donc mm en essayant de me déplacer je risque 135€ d amende.que faire ?

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Unknown

04/04/2020 à 13:20

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