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Les opinions du Petit Reporter : Jour de Terre

Par Jérôme Bois • Publié le 22/04/20

En cette journée de la Terre, je me suis laissé porter par une douce inspiration, aussi douce que le léger souffle de vent qui vient faire frémir mes mèches courbées et qui me rappelle à quel point ça pèle quand le soleil ne luit plus. Et si j’imaginais une discussion à bâtons rompus avec elle ? Qu’aurait-elle à me dire sur son état, sur les habitants qui la peuplent ? Et quid de cette crise qui nous fait, nous autres bipèdes macdophiles, nous sentir aussi merdeux qu’un poulet en visite de courtoisie dans un KFC ?
Je vous le dis déjà, il y a fort à parier, de prime abord, que je ne prenne guère le parti de mes congénères, abreuvés de faux ; fausse bouffe, fausses infos, fausses vies, fausses croyances… Je pense que cette bonne vieille Terre me convaincra sans mal du caractère viral de nos existences pour sa santé si altérée par des décennies d’incurie. A moins que… gonflé d’une concupiscence toute terrienne, je ne m’offusque de la brutalité de la réplique terrestre…
Entretien.

Merci de nous recevoir, Terre…
… Vous étiez déjà là, je vous le rappelle… depuis 200 000 ans, il me semble.

… euh, oui, en effet…
Pourquoi vouliez-vous me voir ? Je suis pressée, je paressais. J’en avais besoin.

Juste prendre de vos nouvelles : comment allez-vous, déjà ?
Moi ? Mais bien, allons donc ! Imaginez que depuis un mois, mon eczéma chronique commence à disparaître. Généralisées, mes plaques avaient tendance à s’entrechoquer et à s’effriter, me provoquant quelques remontées de gaz et éruptions cutanées assez disgracieuses je dois dire. Là, déjà, je ressens comme une douce quiétude à paresser autour de mon astre préféré. Ça me réchauffe le noyau et le for intérieur.

Il se dit que, depuis un mois, donc, certaines espèces vivantes ont repris du poil de la bête, si j’ose dire…
Tout à fait. Mes petits animaux de compagnie sortent enfin du bois. J’ai vu une méduse se balader dans les eaux de votre île flottante, là, Venise, je crois… Et même des dauphins en Méditerranée… Rendez vous compte, l’une de vos plus grosses décharges, délestée de ses immondices au point de revoir des cétacés s’y ébrouer… Je dois dire qu’en termes d’hygiène corporelle, depuis un peu plus d’un mois, je m’y retrouve…

C’est à dire…
Mon déodorant naturel, la flore, repousse. Ce que vous prenez tant de soin à raser, moi, je le laisse pousser. C’est un filtre naturel, vous savez… Les mauvaises odeurs sont aspirées et capturées par ce filtre. Le problème, c’est que depuis une bonne centaine d’années – une paille pour moi, une paye pour vous – vous me faisiez tousser d’une force… Mes filtres étaient comme encrassés…

Mais vous avez sans doute un rôle dans ces améliorations…
ET COMMENT ! Ça fait un moment que je moulinais parce que dès le départ, j’ai senti que vous étiez une espèce à part, vous autres. Espèce dotée d’un cerveau à nul autre pareil, dont les jaillissements bienveillants se sont faits, au fil du temps, aussi rares qu’un boursicoteur désintéressé. Aujourd’hui, vous ne vous déplacez plus, vous paradez ! Au pas de l’oie, tous chars dehors ! Alors je me suis dit que si tout ce qui est petit est gentil et mignon, « il n’est de petit chat qui n’égratigne » , sans ironie aucune. J’ai trouvé mon aiguillon pour vous titiller l’occiput, un chaton de première catégorie, condensé de mignonnerie et de férocité. Un petit corona. Ça ressemble à une balle à ventouses qui amuse les gosses…

C’est particulièrement cruel, ne trouvez-vous pas ?
Si je vous dis que c’est un prêté pour un  rendu, vous me répondez quoi ?

Que la sagesse populaire à ses limites…
Ah ! Nous y voilà, le déni !

Je dis simplement que c’est cruel…
Je vous réponds juste que j’ai agi en suivant vos instincts premiers, ceux qui consistent à démolir d’abord et à vous poser des questions ensuite….

Et…?
Je vous l’avoue, moi, là, je ne me pose aucune question. Dans quelques milliers d’années, vous ne serez plus là, moi si. Mais dans quel état ? Vous n’êtes que des puces heureuses, vous jouissez à loisir sur un pelage trop petit pour vous. Ce que vous appelez virus n’est jamais, à mon niveau, qu’une piqûre de rappel, sans faire de mauvais jeu de mots : vous n’êtes ni dominants ni prédominants. Je viens de vous prouver qu’à travers un simple organisme unicellulaire, j’ai fait voler en éclats vos croyances, vos certitudes et votre arrogance exterminatrice. Parce que j’ai mal depuis si longtemps que cette simple pichenette me paraissait nécessaire.

Salutaire ?
A vous de voir…

Qu’attendez-vous de nous ?
Seulement que vous appreniez à savoir quoi faire de votre cerveau. Pour mémoire, la méduse n’en a pas et elle n’emmerde personne, vous savez…

Merci…
Non, merci à vous, moi, depuis un mois, vous savez…

[agacé]… Oui, oui, je sais, je sais…

Entretien imaginaire réalisé par J.B.

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