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Métiers du BTP : « il faut conserver la chaîne des appels d’offre pour éviter une crise économique très forte »

Par Laura Campisano • Publié le 14/04/20

Dans une certaine incertitude, depuis le début de la crise sanitaire, les métiers du BTP ont successivement été priés de cesser les chantiers pour assurer la sécurité des salariés puis de se remettre au travail pour éviter la crise. Un pas de deux qui aura duré une quinzaine de jours, avant la publication d’un « guide de bonnes pratiques » à l’usage des professionnels, salué par les organes représentatifs et la Préfecture de Savoie, qui appellent à présent, tous, à une reprise progressive où cela est possible pour éviter une deuxième crise, sanitaire cette fois. Etat des lieux. 

Histoire d’un imbroglio, les chantiers à l’arrêt… jusqu’à quand ?


Et surtout jusqu’à quand tiendront ces entreprises des métiers du bâtiment, une multitude, principalement de petites structures, employant moins de 5 jusqu’à 15 salariés ? C’est une source de préoccupations tout autant que celle de la sécurité de ces hommes et ces femmes, qui sont depuis le début du confinement, privés de chantiers.
Ce qui a été difficile à suivre, semble-t-il, de l’avis général, a été cette dichotomie entre d’une part l’obligation de confinement et les gestes barrière, mais aussi la pression mise sur les entreprises de BTP qui, de fait avaient stoppé les chantiers. En liaison avec la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte) régionale, employeurs et syndicats ont dû comprendre la marche à suivre vis-à-vis des salariés : fallait-il qu’ils prennent des congés, qu’ils restent chez eux au chômage partiel ? « Nous reprocher de profiter de l’état sanitaire pour nous mettre au chômage partiel n’était pas juste, il a fallu réexpliquer la volonté de tous de reprendre le travail en application du guide sanitaire. » détaille Patrick Richiero, président de la Fédération BTP Savoie. En effet, les chantiers appelant une co-activité entre plusieurs corps de métiers ne sont, dans l’immédiat, plus praticables pour des raisons élémentaires de sécurité. « Cela a jeté un froid », se souvient Christophe Gonnard, président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment en Savoie, « nous voulons travailler, mais pas dans ces conditions-là. » Quelles conditions ? Sans protection, sans masques, sans gel hydroalcoolique. Seule une préconisation en attendant de trouver une solution à la pénurie de masques, celle de la médecine du travail orientant les professionnels vers des visières de protection réalisées en Savoie, sur des imprimantes 3D.

« Nous sommes obligés de penser à l’après »

Ce qui ne durera qu’un temps selon René Chevalier, président du Syndicat général BTP Savoie. « Avec les masques, cela sera beaucoup moins complexe. Mais la reprise, dans tous les cas sera rendue difficile avec les fournisseurs à l’arrêt, par exemple, et les mesures de distanciation sociale qui vont amener les salariés à se rendre sur les lieux de chantier avec leurs véhicules personnels, par exemple. Nous devons protéger nos salariés parce que notre plus-value, c’est notre personnel. » Difficile aussi de trouver de la main d’oeuvre, vu que le virus ne connaît pas les frontières et qu’il s’étend à présent dans des pays limitrophes, comme c’est le cas des pays de l’Est. « Nous ne pourrons pas sortir du confinement la fleur au fusil », observe René Chevalier, « nous devrons faire attention, nécessairement, nous sommes obligés de penser à l’après, de mettre en place une organisation de travail différente. » 
Grande particularité des métiers du bâtiment : la diversité de lieux de travail différents « contrairement au commerce ou à l’industrie, dans le bâtiment, nous avons pour laConfédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB), 250 chantiers sur l’année, avec un éventail large de métiers différents, il y a de la co-activité partout », reprend Christophe Gonnard, « c’est bien pour cela qu’il fallait clarifier la situation, pour que maîtres d’ouvrage, maîtres d’oeuvre, entreprises et salariés puissent entendre la même chose, l’unité c’était un besoin. » 
Après les incompréhensions et le temps de réaliser ce guide, voilà qu’il faut maintenant attendre le matériel permettant de reprendre le chemin des chantiers, principalement, vu la région, ceux de montagne.

Marchés publics stoppés, paiements différés, la crainte d’une reprise en cascade 


« Ce qui est particulier, c’est que nous ne sommes qu’en avril, nos chantiers démarrent pour la plupart après les saisons de ski, en mai juin », philosophe René Chevalier, « il n’est pas encore trop tard par rapport à un cycle normal de saisonnalité. » Ce qui serait très compliqué, faisant craindre aux entreprises du BTP une nouvelle vague de crise, économique, cette fois, c’est que les bons de commande signés soient décalés par les maîtres d’ouvrage. « Niveau trésorerie, les entreprises ne pourront pas tenir longtemps comme cela », prévient Christophe Gonnard, « pour le moment elles ne peuvent pas travailler, en mai, elles ne pourront plus payer leurs charges. C’est de cela que nous nous inquiétons car certaines de nos échéances sont inexorables, et de nombreux marchés publics sont stoppés. » 
Car l’une des conséquences de la tenue du premier tour des élections municipales a été la non-installation des nouveaux maires, et encore plus, un second tour très incertain, ce qui, en cascade, rejaillit sur la poursuite de travaux. « C’est très compliqué pour les maires aussi », abondent, presque d’une seule voix Patrick Richiero et Christophe Gonnard, « ils sont pris en étau entre le confinement, les décalages de paiement qu’ils sollicitent par rapport aux chantiers qu’ils ne peuvent faire se poursuivre, au risque d’avoir un problème, un cas de Covid-19 sur leur commune. » 
En tous les cas, ces problématiques, étroitement liées au contexte électoral flou, compliquent les choses. Sans le concours d’Enedis, par exemple, aucun chantier ne pourra reprendre, les grues ne pouvant fonctionner sans électricité. « C’est tout un tas de petites choses qui vont être découvertes au fur et à mesure : où vont manger les ouvriers ? » reprend Christophe Gonnard, « vous savez, les métiers du BTP c’est comme des équipes de rugby, nous faisons toujours tout ensemble, c’est ce qui renforce cette cohésion, là, loin les uns des autres, en effet, la reprise risque d’être compliquée. » 
En attendant, pour « tenir bon », la caisse intempérie de la Fédération du BTP va reverser son trop perçu  « il va falloir du carburant pour redémarrer, assurer la continuité des établissements, l’attribution des marchés, souligne Patrick Richiero, » il faut considérer les choses chantier par chantier, notre souci aujourd’hui, c’est de surveiller les investissements en montagne, il ne faut surtout pas que la chaîne d’appels d’offre s’arrête, ce serait dramatique. « 

« Garder à l’esprit la reprise des chantiers essentiels »


Le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique s’est donc penché sur le sujet, réunissant une première fois le 25 mars, l’ensemble des acteurs du BTP pour les encourager à suivre les préconisations du « guide des bonnes pratiques » largement diffusé auprès des professionnels du secteur, dès sa validation par les services de l’Etat. Son président, Thierry Repentin, a d’ailleurs à cette occasion, constaté « plus ou moins de volontarisme concernant le périmètre des chantiers à relancer » et mis en avant que « tout le monde s’accorde sur le fait que les urgences doivent être traitées. Les plus minimalistes accepteraient aussi que tout ce qui relève de l’intérêt général reparte, ou que les chantiers bien avancés, pour lesquels il ne reste que quelques jours d’intervention, puissent être terminés. D’autres veulent aller plus loin, faisant valoir le fait que de nombreux chantiers ne nécessitent pas la présence d’un coordonnateur SPS par exemple, mais qui génèrent du chiffre d’affaires, notamment pour les artisans. » soulevait-il dans les colonnes de Batiactu. 

Relancer les chantiers urgents, est également une volonté préfectorale. Pierre Molager, secrétaire général de la Préfecture, conscient de ce que la reprise peut être compliquée, compte néanmoins sur la volonté collective pour trouver des solutions. « Il faut relancer les esprits », avance-t-il, « comment faire en sorte que les chantiers prioritaires soient relancés, pour le bon fonctionnement des services, mais aussi la satisfaction des concitoyens », tout en gardant à l’esprit « la sécurité des salariés. » Par chantiers prioritaires, il faut entendre les établissement sanitaires, l’eau, l’énergie, les transports. « Nous sommes tous très vigilants, pour que le secteur du BTP ne décroche pas ni économiquement, ni socialement. » Toutefois, s’il estime que la question des masques « se détend petit à petit »  certains chantiers pouvant reprendre progressivement, Pierre Molager assure qu’il restera avec les services préfectoraux très informé de la façon dont reprendront les choses, notamment en application du guide que nous évoquions précédemment. « Il ne faut pas reporter les chantiers, nous serons là, nous assurerons, les chantiers sont là, il ne faut pas que nous les perdions », conclut René Chevalier, « les heures supplémentaires ne nous font pas peur, mais il faut que l’Etat nous aide pour pouvoir avancer. » 
Les choses avancent donc doucement, mais plutôt sûrement, puisque de manière assez rare, les voix représentatives du BTP semblent, bien qu’éloignées les unes des autres, être parvenues à être en harmonie dans cette crise sanitaire. Ce qui est de plutôt bon augure, car comme le dit l’adage « tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin. » 
Après l’annonce du chef de l’Etat lundi 13 avril, d’un retour progressif au travail à compter du 11 mai prochain, gageons que des solutions seront trouvées d’ici là, pour que la reprise soit rendue possible, aussi, aux métiers du BTP dans les meilleures conditions. 

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