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Savoie : entre élus du 1er tour et maires en exercice, l’entente n’est pas toujours cordiale
Par Laura Campisano • Publié le 17/04/20
Il y a un mois rappelons-nous, le premier tour des élections municipales françaises permettait à 30 000 communes d’élire un nouveau maire, laissant les 5 000 restantes à la merci d’un second tour hypothétique en juin prochain. Toutefois, aucun de ces nouveaux élus n’a pu voir un conseil municipal se réunir afin de l’installer dans le fauteuil de maire, conséquence de la loi d’urgence Covid-19. C’est ainsi que s’est ouverte une période – inédite – de cohabitation, qui plus est en temps de crise sanitaire, entre maires en place et maires élus, pour le meilleur et parfois pour le « très compliqué ». Exemples sur notre territoire.
Dans certaines communes des deux bassins aixois et chambérien, la passation ne s’annonçait pas difficile à vivre, dans la mesure où, les maires en place ne souhaitant pas se représenter, ils avaient, avant le scrutin et bien en amont, propulsé leur successeur. A Grésy-sur-Aix ou Barby, présents au conseil municipal et en bonne place, Florian Maître et Christophe Pierreton n’avaient pas de souci à se faire pour la suite, marchant déjà main dans la main avec leurs prédécesseurs. La période d’entre-deux que nous vivons actuellement ne se vit donc pas de leur côté comme une cohabitation, au contraire. Mais dans d’autres communes, ce n’est pas aussi « collaboratif » et toute initiative doit faire l’objet d’âpres discussions avant d’être entendue, alors même que les textes prévoient « une consultation des maires élus. »
Un début de mandat complexe à Saint-Jean-de-Maurienne et La Biolle
Indiquer ne pas vouloir se représenter, pour un maire sortant, donne immédiatement le ton de la campagne. En principe. Car si nos exemples locaux de maires « mentors » passant le relais ont l’avantage, en temps de crise, de faire bloc afin d’agir pour le bien commun, tout ne se passe pas toujours aussi bien, si l’on observe la situation de Saint-Jean-de-Maurienne où le maire nouvellement élu mais privé de conseil municipal, Philippe Rollet, doit composer avec le maire sortant, Pierre-Marie Charvoz. Toutefois, même si « la cohabitation » est complexe, les élus se sont tout de même accordés sur la fermeture puis la réouverture du marché alimentaire durant la crise. Pourtant, les premiers jours n’ont pas été des plus simples, ni Philippe Rollet ni ses colistiers n’ayant pu compter sur le soutien de l’équipe sortante dans laquelle lui-même figurait en qualité d’opposant.
Sur le bassin aixois, à La Biolle, la configuration, se voulait plutôt « simple » , Blandine Bellanca, maire sortante, ayant indiqué son intention de quitter ses fonctions. Face à Julie Novelli, une autre liste menée par Christophe Pitilli. Au soir du premier tour, c’est « l’esprit village » de la candidate qui l’emporte* et qui s’apprête à s’installer dans le fauteuil d’édile. La loi d’urgence Covid-19 en décide autrement et l’équation se corse, tout autant que le dialogue se crispe. En pleine période de crise sanitaire, où les initiatives collaboratives et solidaires se multiplient, La Biolle voit planer un nuage menaçant au-dessus de ses 2 610 âmes. « Ce n’est pas simple chez nous », précise la maire élue mais toujours conseillère municipale, « l’ancienne maire conserve ses fonctions et je n’ai pas voix au chapitre. Seuls deux élus de l’ancienne municipalité me consultent avant de prendre des décisions, j’ai essayé d’aplanir le plus possible, mais ça reste compliqué surtout pour gérer cette crise sanitaire. »
« On nous ferme les portes, ça complique pas mal les choses »
Motivée pour se mettre au travail dès le lendemain de son élection, Julie Novelli a écrit à Blandine Bellanca ainsi qu’à Christophe Pittili lequel, grâce à son score au premier tour, allait de toute évidence devenir conseiller municipal, afin de leur proposer une synergie, de se mettre au service de la commune, ensemble… « Mais on nous a fermé la porte, ce qui complique pas mal les choses. Pour demander une dérogation à l’interdiction du marché alimentaire, il a fallu discuter de nombreuses semaines et même mettre en place une pétition ; l’appel aux personnes âgées du village, nous ne l’avons obtenu qu’après avoir insisté, le recensement seul ne nous avançant pas à grand chose » déplore l’élue. « J’ai du mal à comprendre cette fermeture. Finalement, le maire a accepté ma présence mais sans plus de collaboration. Je ne souhaite pas la forcer à faire des choix, je veux juste être utile à ma commune, ce d’autant que je fais partie du conseil municipal, nous ne sommes pas adversaires, elle souhaitait finir son mandat. Nous voulons juste être là, c’est pour les habitants que nous nous inquiétons actuellement, notamment pour les familles qui reçoivent les cours sur des téléphones portables et auxquelles pourraient être prêtées les tablettes numériques de l’école, durant le confinement…. »
Privée d’expression et d’actions municipales, Julie Novelli a donc agi de son côté, avec ses colistiers également frustrés de ne pouvoir se rendre utiles auprès de la population. Sur sa page de campagne, elle travaille avec « les petites mains » , pour coordonner la fabrication de masques, et se met en lien avec Grand Lac, pour une distribution de repas aux aînés qui en feraient la demande. « Si on avait accès à toutes les infos, budgétaires notamment, aux services techniques, nous pourrions anticiper, les travaux de la nouvelle crèche qui doit ouvrir en septembre, mais dont le chantier est actuellement à l’arrêt, cela pose des questions de budget qui ne sont pas programmées si son ouverture est décalée. Il faut penser à toutes les questions que cela pose. » souligne-t-elle. Il y a quinze jours, le maire honoraire Jean-Pierre Ginet** est sorti de sa réserve sur les réseaux sociaux, déplorant la situation qu’il constatait, impuissant : les équipes de Julie Novelli et de Christophe Pitilli multipliant les initiatives chacune de son côté, sans réaction proactive de la municipalité « […] Face à ce que j’ose appeler une forme d’immobilisme municipal, j’appelle les nouveaux élus à se mettre ensemble, quelle que soit leur équipe, pour faire front et faire fonctionner cette commune pour soutenir les plus fragiles dans un cadre de confinement général, en situation de crise grave. J’appelle les anciens élus, probablement démotivés, ce qui peut se concevoir, à faire confiance aux nouveaux et entendre leurs idées ou projets et les aider au maximum à les mettre en oeuvre pour que se crée une véritable unité et solidarité dans l’action. » Le ministère l’a, semble-t-il, entendu.
Les recommandations ministérielles à la « consultation des nouveaux élus » appliquées à peu près partout, comme à Cognin
La loi d’urgence COVID-19 du 23 mars 2020, a « instauré également un mécanisme d’information à l’attention des élus du 1er tour dont l’entrée en fonction est différée : ils seront destinataires de la copie de l’ensemble des décisions prises par le maire sur le fondement de l’article L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales. En revanche, ils n’exercent pas encore les prérogatives afférentes à leur mandat électif. » Si cela avait échappé à la vigilance de tous, un courrier en date du 14 avril 2020 émanant de l’Association des maires de France a été adressé à l’ensemble des maires, rappelant l’importance de l’application de cette disposition. Fort heureusement, les situations de Saint-Jean-de-Maurienne et de La Biolle ne sont pas le lot commun de tous les nouveaux maires élus, dans une configuration similaire.
A Cognin, par exemple, Florence Vallin-Balas, maire sortante, n’avait pas non plus l’intention de se représenter. Son premier adjoint, Franck Morat, a remporté le scrutin le 15 mars dernier, dès le premier tour, et se félicite de la bonne coordination et coopération qui règne entre eux. Les courriers officiels de la mairie de Cognin sont d’ailleurs cosignés par le maire élu et le maire sortant, preuve d’une passation de pouvoirs en douceur, Franck Morat étant associé à chacune des décisions. Toujours élu, en tant qu’adjoint, comme Julie Novelli l’est en tant que conseillère municipale, les choses sont toutefois diamétralement différentes pour le futur maire de Cognin. « Pour moi, il n’y a aucun problème, bien au contraire, cette période nous permet d’approfondir les dossiers avec Florence Vallin-Balas », explique-t-il, « nous sommes en attente d’instructions pour nous installés, avec une liste en grande partie renouvelée. Vu la situation particulière, nous pensons qu’il faut faire preuve d’humilité, de prendre le temps de la réflexion pour ne pas agir dans la précipitation. Et surtout, le plus important, c’est de prendre soin de tous, d’agir avec bienveillance. » Point de son programme de campagne, Franck Morat a mis en place la création des réseaux bienveillants, d’entraide entre habitants « Nous ne pensions pas le mettre en place si tôt, mais nous voyons que la solidarité existe vraiment et qu’elle naît de cette situation. Après la crise, il faudra conforter cette action concrète, nous constatons qu’un véritable bouleversement s’est opéré. L’heure est à la solidarité envers les plus fragiles, les personnes seules et isolées. » Précisément ce que nous expliquait Julie Novelli et qu’elle a réussi à obtenir en appelant les seniors biollans « qui étaient assez contents qu’on finisse par les appeler pour prendre de leurs nouvelles » nous a-t-elle confié. Pour Franck Morat, il ne fait aucun doute qu’« en tant qu’élu de proximité nous avons un rôle à jouer, nous avons la confiance des citoyens, qui peuvent nous interpeller facilement. »
Les maires, ces premiers maillons
Et c’est en ce sens que l’Association des maires de France a souhaité attirer l’attention du Premier ministre quant à l’organisation en synergie du déconfinement, avec les élus locaux. Dans un communiqué de presse daté du 14 avril 2020, les représentants des élus locaux déclaraient : « L’AMF confirme sa proposition que les maires soient, une nouvelle fois, les premiers maillons de la chaîne afin d’assurer la bonne distribution des masques de protection sur le territoire, évoquée par le chef de l’Etat. Toutefois, une telle opération ne pourra réussir que si les volumes suffisants de masques sont disponibles. D’ores et déjà, les maires sont mobilisés afin de définir la contribution de l’AMF aux travaux engagés par Jean Castex, délégué interministériel en charge des stratégies de déconfinement. Les maires, en prise directe avec les besoins et attentes de la population, continueront d’assurer la continuité des services publics essentiels et le maintien de la cohésion sociale dans tout le pays. Cependant, les efforts faits par les maires, depuis le début de la crise sanitaire, impliquent qu’ils disposent des moyens juridiques et financiers pour faire face à leurs responsabilités. » Si la situation se prête volontiers aux initiatives et au rassemblement des énergies de tous dans les communes, pro-actives, les maires pour leur grande majorité sur notre territoire démontrent de leur volonté de trouver des solutions, laissant – autant que faire se peut – la politique de côté. Un choix sans doute salutaire, qui gagnerait à s’étendre, partout, avant le 11 mai, pour préparer l’après.
* Le soir du 1er tour, la liste « Esprit Village » de Julie Novelli remportait l’élection avec 52.58% tandis que celle conduite par Christophe Pitilli obtenait 47.41 % et 5 sièges au conseil municipal.
**Jean-Pierre Ginet était maire de La Biolle avant de céder son siège à mi-mandat à Blandine Bellanca en février 2015
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