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Chambéry : « Dépanniers », quand des professionnels volontaires et des habitants se mettent au service des plus démunis

Par Jérôme Bois • Publié le 07/05/20

Depuis six semaines, sur le quartier des Hauts de Chambéry, des livraisons de paniers repas à domicile se multiplient, une phase d’essai nécessaire avant transformation. Depuis le 7 mai, l’association Dépanniers existe enfin, mettant à jour une nouvelle forme d’entraide, sur la base d’un partenariat public-privé, appelé à aller au-delà des portes du quartier pour essaimer sur l’ensemble du territoire savoyard.
C’est l’innovation qui traduit le mieux – avec la solidarité – ce qu’une crise sanitaire peut offrir comme retombées positives. L’imagination est stimulée, des entreprises rebondissent, des initiatives naissent. Et parfois l’urgence vient s’en mêler et perturbe encore plus le ralentissement économique observé depuis huit semaines. Ainsi, quand l’imagination répond à l’urgence, les initiatives à grande échelle apparaissent. « Nous avons été alertés assez tôt, par les associations travaillant au plus près des personnes, par la banque alimentaire qui collecte et distribue la nourriture aux associations d’entraide, de la fragilité dans laquelle sont tombées de nombreuses familles » , analyse Guillaume Holsteyn, directeur du centre social des Combes, déjà actif dans le collectif Solidarités Chambéry-le-Haut (lire notre article du 19 mars). « Par ailleurs, la banque alimentaire a cessé de collecter des produits frais au profit du non-périssable ». D’où un déficit alimentaire pour bon nombre de familles.

« Il fallait inventer quelque chose »

Des problématiques qui, mises bout à bout, annoncent la couleur, il fallait trouver un modèle qui permette aux familles dans le besoin de bénéficier de repas équilibrés, en un temps record, ce qui induisait de se procurer des produits frais type yaourts, œufs, viande etc… « On s’est aperçu que dans beaucoup de cas, les enfants n’avaient que la cantine scolaire pour leur offrir un repas équilibré, or elles sont fermées. Alors oui, il fallait inventer quelque chose ». Un modèle alternatif partant de la collecte vers le conditionnement pour finir par la distribution de paniers sur le palier, paniers  préalablement élaborés avec des nutritionnistes, tout en respectant précautionneusement les normes sanitaires, alourdies par la crise du Covid-19. Vaste programme, mais l’urgence, encore une fois…

« Et puis il faut prendre en compte les familles qui sont souvent réfractaires à faire connaître leurs difficultés, à faire la queue devant des associations d’aide alimentaire » , ajoute Guillaume Holsteyn, qui s’est ainsi lancé à fond dans la bataille : collecter, livrer et autant que faire se peut, effectuer du lien social. « Retravailler les denrées, respecter les normes, la chaîne du froid, les mesures d’hygiène, on connaît » , renchérit Christelle Favetta-Sieyès. Déjà impliquée dans l’opération « les chefs avec les soignants » (lire notre article du 3 avril) qui vient tout juste de s’achever* via son traiteur de mari, Maxime Sieyès, voici la conseillère départementale associée avec le centre social des Combes dans un projet qui devrait aller bien au-delà de la période de confinement. « Nous avons monté notre plate-forme d’achats pour acheter en gros au tarif professionnel » , détaille Guillaume Holsteyn, une plate-forme impliquant les fournisseurs habituels du traiteur, comme Métro ou Alpes Viandes, « nous avons établi un plan alimentaire afin de connaître les besoins d’un adulte et d’un enfant de moins de 12 ans » et une fois ce travail accompli, il ne leur restait qu’à identifier les familles dans le besoin, « avec le souci de préserver l’anonymat des bénéficiaires » , insiste l’élue. Associations de quartiers et assistantes sociales ont ainsi été de précieuses alliées. Quant au coût de l’opération, il est négligeable : « En achetant en gros au prix du gros, nous faisons des économies d’échelle majeures » , ce qui aboutit à un partenariat public-privé très avantageux puisque « nous obtenons des repas à un euro par personne, soit à 21 euros pour trois repas par jour sur une semaine. C’est bluffant » , s’enthousiasme Christelle Favetta-Sieyès.

Essaimer

Au terme de quatre semaines d’expérimentation, durant lesquelles pas moins de 6 354 repas ont été livrés auprès d’une fourchette allant de 20 à 50 familles, la formule fonctionne. Les associations Posse 33, Régie plus et J’aime boc’oh ! sont mises dans la boucle, 15 personnes y travaillent désormais, de la confection des repas à la livraison et le projet fait déjà parler de lui puisque le centre social du Biollay s’est penché de près sur cette initiative. Ça tombe bien, essaimer fait partie des objectifs de Dépanniers : « Nous voulons embarquer d’autres associations d’autres territoires, c’est important qu’elles puissent faire du lien avec les foyers dans le besoin, quel que soit le secteur, même rural, nous viendrions alors en support » , confirme le directeur du centre social. Ainsi sont visés les étudiants, les personnes âgées isolées et les saisonniers.

L’un des impératifs de l’association consiste à aller au devant des familles. C’est pourquoi aucune plate-forme de distribution n’a été créée, « nous voulions éviter tout risque d’attroupement. En livrant sur place, nous pouvons prendre le temps de nous entretenir avec elles, de connaître leur situation, leurs besoins ». Et dans le but de ne pas heurter la dignité des plus fragiles, un coût minimal a été mis en place, basé sur le quotient familial, ce que justifie Guillaume Holsteyn : « Il est important de dire qu’il ne s’agit pas d’assistance ni de don, les repas sont facturés et personne ne sait que ces familles bénéficient de ces repas ». « La gratuité, ça peut être vexant voire humiliant » , poursuit Christelle Favetta-Sieyès, « et ce qui est gratuit n’a pas de valeur. Là, les familles participent à l’équilibre alimentaire, sans aucune forme d’assistanat ». Forcément, l’association sera en déficit c’est pourquoi, du reste, celle-ci s’est constituée* car elle sera en mesure de récupérer des dons, des subventions, d’actionner d’autres leviers financiers et de bénéficier de toutes les âmes charitables, familles aidées inclues, susceptibles de donner un coup de main. Ensuite, cette structuration a l’avantage de pouvoir être pérenne : « Comme nous savons le modéliser » , précise l’élue, « nous pouvons imaginer à l’avenir, que des chefs puissent s’investir une demi-journée par mois et ainsi assurer la continuité du projet ». Là encore, le réseau de Maxime Sieyès pourra entrer dans la danse comme il s’était généreusement impliqué dans « Les chefs avec les soignants »**. « Préparer des repas pour les gens est une forme de générosité,ce n’est donc pas ça qui posera problème. Nous avons tous la volonté de nous rendre utiles » , prophétise-t-elle. « Tout en prenant du plaisir à le faire ».

Fin de la phase test

En somme, une mécanique précise, huilée qui débouche sur des repas pour une semaine moyennant 21 euros… redoutable en termes d’efficacité. « Et les familles sont contentes » , sourit Guillaume Hoslteyn. La phase d’essai terminée, place au déploiement !
Pour plus d’informations : www.depanniers.fr et par mail : info@depanniers.fr

* A l’occasion de l’Assemblée générale du 7 mai, Christelle Favetta-Sieyès et Guillaume Holsteyn ont été désignés co-présidents de l’association Dépanniers.

** En sept semaines, l’opération a permis la confection de 5 250 repas, soit près de la moitié de ce qu’elle a accompli à l’échelle du pays.

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