Les opinions du Petit Reporter : je m’oppose donc je suis

Le déconfinement est amorcé, enveloppé d’une indiscutable incertitude ; pour combien de temps ? Combien de temps tiendrons-nous nos distances, nos gestes barrière, combien de temps avant que la marée consumériste nous ensevelisse, avant que la somme de nos habitudes ne resurgisse au point de nous faire oublier toutes les promesses d’un après meilleur ? Il faudra peu de temps pour le savoir, les trois semaines à venir seront sans doute les plus importantes de la crise sanitaire, elles détermineront, pour les plus prosaïques, le lieu de destination de leurs vacances. Pour les plus pessimistes, elles diront si septembre sera ou non une voie sans issue.
Dans tout ça, les deux mois qui viennent de s’écouler ont démontré plusieurs choses, assez peu réjouissantes ; à de rares exceptions, créativité, ingéniosité, capacité au rebond et à la réflexion d’un « monde d’après » nouveau. Mais plus généralement, ces huit semaines ont mis en exergue une aptitude dont personne ne doutait réellement, le désordre. Ou comment les Français ont su avancer, durant ce confinement, en ordre dispersé. Ce n’est qu’un intime sentiment, après tout. Il s’est construit au fil des jours, à la lecture des invectives, des posts saillants, de la colère non feinte… Je reste néanmoins frappé par un trait, qui s’est appuyé au fil des semaines : l’opposition, érigée en art majeur et consommé de la critique facile. Cette même critique qui réclame pourtant des propositions concrètes au milieu des arguments exprimés. Je n’ai rien vu de tel. Nos responsables politiques ont brillé par leur pyromanie compulsive, nos concitoyens aussi. Eux se sentent pris au piège et peut-être se sont-ils mis en tête que leur seul pouvoir était contestataire voire révolutionnaire. L’opposition seule et abrupte. Comme si opposition et proposition, au-delà de leur assonance commune, étaient antinomiques.
Là où des politiques font leur beurre en dézinguant à tout crin, oscillant entre populisme et clientélisme, par pur jeu politico-électoral, les masses, elles, ne s’attribuent que le droit de râler – ce qu’elles font très bien. Rien n’a émergé de ce marasme populacier, sinon de foireuses théories mêlées à de l’indécence caractérisée. Si Thanos a le pouvoir d’éliminer la moitié de la population de l’univers d’un claquement de doigt (les initiés comprendront), beaucoup se croient dotés d’un pouvoir comparable par la seule grâce d’une pétition appelant à éliminer la moitié du gouvernement. Peut-être a-t-on mal été éduqué par nos élites trop occupées à s’entre-déchirer pour le plaisir d’exister. Il n’empêche que l’opposition stérile et gratuite est devenue un label dont s’honorent nombre de nos concitoyens et les réseaux sociaux sont leurs canaux privilégiés. Quand certains se mettent en danger pour rendre les rues plus propres, pour faire respecter la loi, pour sauver des vies, pour permettre aux jeunes de poursuivre leurs études, d’autres se vautrent dans le confort de la désobéissance de surface, sorte de « promotion canapé » des masses creuses et désarmées. L’exaltation du peuple qui naît des périodes noires de l’histoire n’a, ici, jamais été plus loin qu’un clic rageur vers un lien complotiste ou vers une pétition appelant à affubler Sibeth Ndiaye d’un nez de clown. Rien n’a émergé, non.
J’aimerais ne pas croire que tout cela a été vain, que quelque chose va changer, c’était sans compter ce besoin irrépressible d’aller se faire couper les cheveux dès minuit, ce 11 mai, premier jour d’un déconfinement progressif qui ne sera, ni plus ni moins, qu’un relâchement de nos efforts parce que désobéir semble devenu un acte de foi. Le gouvernement a fait ce qui était en son pouvoir, peut-être n’a-t-il pas tout dit, tout fait, il rendra des comptes, c’est certain, mais les 67 millions de procureurs auront-ils tous suffisamment les mains propres pour dispenser mort et jugement ? Pas sûr.
Nous avons pourtant trois semaines encore pour croire que ces deux mois d’efforts n’auront pas été dérisoires.

J.B.