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Aix-les-Bains : débat relancé autour de la subvention attribuée à Musilac malgré l’annulation de l’édition 2020

Par Jérôme Bois • Publié le 30/06/20

Deuxième séance du conseil municipal, lundi 29 juin, les élus aixois sont entrés dans le vif du sujet, avec des points à débattre, des thèmes rabâchés, des marronniers replantés. Parmi eux, le festival Musilac – on le sait annulé cet été, repoussé à 2021 – et cette subvention de 200 000 euros attribuée en dépit de la non-tenue de cette édition. De l’argent public adressé à une société privée, une équation qui ne cesse de faire bondir, dans la cité thermale.

Julien Doré, un souvenir lumineux…

« Ça revient tous les ans, c’est à se demander si certains d’entre vous ne veulent pas le voir disparaître, purement et simplement. Chaque année il y a des critiques. C’est une société privée, je sais bien, nous ne sommes pas des saltimbanques non plus. Tous les festivals qui, en France, recevaient ces aides publiques les ont vues majorées. Oui, il n’y a pas eu de festival cette année mais il y a une série de professionnels, de sous-traitants, d’artisans qui en vivent ». Renaud Beretti s’est agacé de voir une nouvelle fois le festival Musilac soumis au supplice de la question à travers les aides publiques qui lui sont versées. Et tant pis s’il s’agissait, lundi 29 juin lors de la deuxième séance du conseil de cette mandature, d’aides versées en dépit de l’annulation de l’édition 2020. En journalisme, ressortir annuellement un sujet s’appelle un marronnier. Cette année, pourtant, c’est un peu plus que cela. « Sans ces aides, c’était vraisemblablement un festival qui disparaissait » , concluait le maire. Depuis des lustres, la grasse subvention versée (lire plus bas) chaque année à l’organisateur du festival fait frémir les élus des diverses oppositions. Pensez donc, une subvention à une société privée… 

« Musilac recevra 200 000 euros des contribuables aixois pour un festival qui n’a pas eu lieu ! »

Pourquoi, donc, remettre une pièce dans la machine, en juin 2020 ? Parce qu’André Gimenez, au moment d’approuver les aides de la ville aux commerces et aux associations sportives, s’est fendu d’un coup de gueule, inhabituel dans sa forme plus que dans le fond, typiquement gimenezien, soucieux des finances de chaque Aixois : « Il faut bien sûr aider tous ceux qui ont eu à souffrir de cet épisode inhabituel et grave. Mais attention à ne pas se tromper de cible et je m’interroge sur vos priorités. Les exonérations que vous proposez* concernent, vous le savez, de l’argent public issu de la poche des contribuables aixois. Ces mêmes contribuables à qui on demande et on demandera un effort ne sont-ils pas eux-mêmes en grande difficulté ? » Son plaidoyer se fit plus grave : « Ces sommes perdues par la ville – car il s’agit d’un cadeau et non pas comme le font l’Etat ou les banques, d’un report – devront être tôt ou tard récupérées pour construire nos budgets et il faudra donc penser à un plan drastique d’économies sur des dépenses non urgentes ou inutiles ».  Bouillant, l’élu a alors haussé le ton le ton : « Et je sais, même si je n’en ai pas trouvé trace dans les différents budgets que nous étudions ce soir, que la société organisatrice de Musilac recevra quand même une subvention des contribuables aixois de 200 000 euros pour un festival qui n’a pas eu lieu. Je sais déjà que vous me rétorquerez que c’était ça ou voir couler cette société privée. Chacun appréciera la situation et le choix de sauver cette entreprise non aixoise par rapport à certaines entreprises locales qui déposeront le bilan sans aucune aide et dans l’anonymat. Double peine en plus, car la ville n’aura aucune retombée économique. J’aurais aimé aussi que devant une telle décision il y ait, a minima, un échange entre conseillers élus par les Aixois. Mais là non plus rien et ça devient une habitude ». 

« Musilac a manqué de disparaître trois fois en 20 ans… »

La crise sanitaire a laissé des traces, la décision prise par la majorité avait pourtant tout son sens, selon Renaud Beretti qui, ironiquement, saluait « ce billet d’humeur collectif » : « Je respecte ce point de vue, j’ai néanmoins du mal à comprendre pourquoi l’action de la ville n’aurait pas dû être une action en faveur des commerces et les entreprises ? Ce ne sont pas des décisions dictatoriales, tous les maires de France ont été mandatés pour travailler avec les Préfets afin de prendre des dispositions dans l’urgence ». Dominique Fié réclamant de la transparence et exigeant de savoir comment cet argent allait servir, il fallait alors l’intervention de Michel Frugier, deuxième adjoint et président de l’Office de tourisme intercommunal, pour justifier cet apport public à la société organisatrice : « Musilac a manqué de disparaître trois fois en 20 ans. Nous aurions pu, juridiquement, ne pas verser cette somme, les premiers 100 000 euros ayant déjà été versés en début d’année, nous pouvions les récupérer, nous ne l’avons pas fait ». Pourquoi ? L’élu se chargeait de la réponse : « C’est une société privée mais elle a été crée uniquement pour Musilac Aix-les-Bains, ils ont des frais fixes à rembourser, qui tournent presque intégralement grâce aux subventions. On a fait plusieurs visios, on a parlé du problème avec eux, les comptes on les voit. La capitalisation de Musilac n’est pas exceptionnelle, le festival est très fragile, comme tous les grands festivals français. On a fait ce choix malgré près de trois millions d’euros de retombées qu’on ne retrouvera pas cette année ». Et là, nous nous retrouvions face à un petit événement ; les retombées de Musilac étaient enfin dévoilées, « elles sont pourtant les mêmes depuis trois ou quatre ans » , souriait Bruno Garcia, directeur de la communication, « une étude avait été commandée par l’office de tourisme, le chiffre exact dépassait les 2,9 millions d’euros de retombées, hébergement compris ». Cette question revenant inlassablement sur le tapis, un voile d’incertitude se mit, à force, à brouiller l’impact du festival sur l’économie globale de la ville. « Ce n’est pas, pour nous, un chiffre nouveau mais on ne peut pas quantifier l’image. Or, un tel événement suscite des retombées indiscutables en termes d’image » , analyse aujourd’hui Michel Frugier. Près de trois millions d’euros, ce n’est pas rien. Renaud Beretti rappelait au passage, lundi 29 juin, que la ville « avait perdu les championnats du monde de Dragon boat programmés en août et aux retombées plus conséquentes » , une manifestation purement annulée. Marina Ferarri allait dans le sens de la majorité, « Musilac, comme le thermalisme, c’est quand ils ne sont pas là que l’on se rend compte de l’importance qu’ils ont pour notre ville. On va s’en rendre compte cette année avec la baisse de l’activité thermale et l’annulation du festival ». 

Le spectacle vivant, une exception en matière de subventionnement public

Le groupe minoritaire Aix Avenir, en poste de 2008 à 2014, faisait état de sommes autrement plus conséquentes que ces 200 000 euros, attribuées en 2006 et 2007 à la SARL Musilac, respectivement 375 201 euros et 482 486 euros, à une période où le festival était plus que chancelant en dépit d’une fréquentation largement en hausse. Selon le rapport de la chambre régionale des comptes sur l’office de tourisme intercommunal**, sur la période allant de 2010 à 2015, ces sommes étaient encore de 340 000 en 2010 et 2011, de 320 000 en 2012 et de 300 000 en 2013. La baisse des versements s’est poursuivie en 2014 (280 000 euros) et en 2015 (260 000 euros). Jusqu’à ces 200 000 euros toujours aussi controversés de 2020. Dominique Dord, alors aux fourneaux, s’était du reste passablement énervé, au mitan des années 2010 : « Sans subventions, Musilac meurt ! » avait-il tonné. 

Ibrahim Maalouf, en 2017.
Pour mémoire et pour tordre le cou à certaines idées reçues, le subventionnement d’entreprises privées par des organismes publics est strictement encadré mais le cas qui nous intéresse est une exception : l’article 1-2 de l’ordonnance n° 45-2339 du 13 octobre 1945 relative aux spectacles permet le subventionnement des entreprises de spectacles vivants, sous réserve que l’entrepreneur de spectacles dispose des licences requises. Des conventions annuelles de subventionnement sont ainsi signées entre la SARL Musilac et l’Office de tourisme intercommunal***. L’aide publique versée par la mairie (l’OTi étant prestataire pour la ville d’Aix) représentait près de 65% du montant total des subventions perçues par la SARL, souligne le rapport, elle est aujourd’hui de 87% puisque la Région ne met que 30 000 euros au pot. Cependant, le désengagement progressif de l’OT observé depuis 2010 (-23% sur la période 2010 – 2015) provient du fait de « la cessation, à compter de l’édition 2015, de la gestion des bénévoles par l’office de tourisme ». Michel Frugier précise que tout partait du souhait de Dominique Dord de couper certains robinets en réponse à la baisse des dotations de l’Etat. « Les 200 000 euros représentent à ce jour la somme plancher qu’il voulait atteindre, progressivement. Nous n’irons pas en-dessous ».

La SARL Musilac a perdu 500 000 euros cette année

Mais un point – crucial – apparaît à la fin du chapitre Musilac, dans ce rapport, le point dur qui titillait Dominique Fié durant la séance, « l’office de tourisme s’engage à réclamer, à l’avenir, le compte-rendu d’emploi de la subvention ». Une question vite balayée par Michel Frugier : « Chaque année, la SARL nous fait parvenir le bilan comptable et le compte de résultat, contenant l’emploi de la subvention. Evidemment, la transparence existe ». Cette interrogation n’a pas manqué de faire bondir l’organisation du festival, par la voix de Bruno Garcia : « Bien sûr que tout est transparent et déposé, tout se fait en très bonne intelligence : ils maintiennent leur niveau de subventions, ils nous aident à ne pas mourir. Nous avons tout de même perdu 500 000 euros cette année avec le report et on ne peut en aucun cas cracher sur ces 230 000 de la ville et de la Région » et ce en dépit d’un confortable budget de 6 millions d’euros. « La question du maintien de cet argent à destination du festival était pertinente » , conclut Michel Frugier, « nous avons discuté de cela avec le maire, il a choisi de maintenir la subvention malgré l’annulation . Nous avons décidé d’aider tous les commerces, d’aider le thermalisme. Il n’y avait aucune raison de ne pas aider Musilac ».
Pour lui comme pour l’ensemble de la SARL, « il n’y a pas de sujet ». Pour certains élus aixois, c’en est pourtant toujours un.

* Afin de relancer l’économie des commerces et des entreprises, le conseil a voté, pour l’ensemble de l’année en cours, l’exonération des redevances relatives aux autorisations temporaires d’occupation de l’espace public, exonération représentant un montant global de 658 000 euros. De même que l’abattement à 100% de la taxe locale sur les enseignes et publicités extérieures (TLPE). 
** Source : https://www.ccomptes.fr/fr/publications/office-de-tourisme-intercommunal-daix-les-bains-aix-les-bains-savoie
*** Ces conventions prévoient, d’après le rapport de la chambre régionale des comptes, « le versement d’une subvention au titre de l’aide à l’organisation du festival, la mise en place par l’office de matériels nécessaires à l’aménagement du site (hors scène, matériel de sonorisation et d’éclairage, et gradins), la coordination des bénévoles du festival par l’office de tourisme (jusqu’en 2014 uniquement), la mise à disposition par l’office de saisonniers pour le montage et démontage des installations (jusqu’à l’édition 2014 incluse), ainsi qu’un commissionnement au bénéfice de l’office de tourisme, au titre de la commercialisation des billets du festival. En contrepartie des soutiens financiers reçus, la SARL Musilac s’engage à octroyer un certain nombre d’invitations à l’office de tourisme (entre 60 et 150 invitations par soirée, selon les conventions) et à mentionner le logo de l’office sur tous ses supports de communication et dans la signalétique du site du festival ».

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