Bernadette Laclais : « Mon sentiment est qu’il n’y a pas eu, durant cette campagne, de vrais débats de fond »

Elle s’était jurée de ne plus évoquer la vie politique locale, sortie éreintée d’un mandat où son action a sans cesse été mise au ban. Maire de 2007 à 2014, Bernadette Laclais avait vécu une situation comparable à celle qui s’annonce, une crise économique et sociale comme cadeau de bienvenue suite à son élection en 2008. Discrète, elle a néanmoins accepté de parler de sa ville, comme peut le faire une Chambérienne de coeur, de ses attentes, de ce qu’il reste de campagne à mener, avec recul, sans polémiquer. 
Ce n’est pas fréquent. Obtenir de Bernadette Laclais qu’elle se laisse aller à quelques digressions sur la politique locale est devenu rare. On peut aisément la deviner fatiguée, éreintée par des années à batailler, de son élection à la mairie à son statut de femme d’opposition, vertement critiquée pour sa gestion passée, notamment sur le plan financier, par une municipalité qui a eu à composer avec les poches trouées.  Sa parole s’est donc faite rare et c’est du reste ce qu’elle nous a rappelé : promis juré, on ne l’y reprendra plus. Seulement, l’ancienne maire a des choses à dire, non pas sur l’action locale mais plus généralement sur l’avenir de sa ville. Et sur la campagne, un peu. Et une fois que les mots sortent, les idées s’enchaînent. « Mon sentiment, c’est qu’il n’y a pas, durant cette campagne, de véritable débat de fond. Il y a des questions qui mériteraient d’être abordées dans un débat serein » , on y reviendra.  En 2014, son duel avec Michel Dantin avait marqué les esprits. Attaquée pour son autoritarisme et pour avoir « sclérosé la vie locale » selon les propos mêmes du challenger d’alors, fin 2013, contestée jusque dans sa légitimité d’élue, l’ex-candidate à sa succession avait tangué : « Il n’avait pas eu d’autres propositions que celle de me mettre dehors » , se souvient-elle, « alors que l’avenir de Chambéry et de l’agglomération réclamait et réclame toujours des débats de fond. Au premier tour, en mars dernier cela a cruellement manqué ». Elle ne placera pas un des candidats au-dessus de l’autre, elle ne tirera à boulets rouges sur personne, tenez-vous le pour dit. Son propos reste toutefois empreint d’une forme de mélancolie comme si le souvenir de ces joutes électorales passées revêtaient d’une tout autre noblesse qu’aujourd’hui. Plus de hauteur, réclame-t-elle : « J’ai souvenir de campagnes avec des programmes débattus et déclinés ». 

« J’avoue, je suis un peu triste »

« Ce qui me manque, c’est de savoir ce que l’on veut pour Chambéry, » insiste-elle, « quelle dimension veut-on lui donner dans son agglomération, son département et même au-delà ? On parle assez peu du centre-ville qui est pourtant celui de tous les habitants de l’agglo. J’avoue, je suis un peu triste. Quand on voit que des chambres consulaires vont s’installer à 15 ou 20 km du centre, ça me pose problème ». La place de Chambéry, donc, sa grandeur, son rayonnement en tant que chef-lieu de département, ses transports, son urbanisme, le stationnement, le cadre de vie, la vie des quartiers… Certains de ces thèmes sont bien abordés, mais de façon trop dispersée aux yeux d’une discrète observatrice autant que citoyenne avisée. « J’aime ma ville » , rappelle-t-elle, comme si même cet attachement avait été remis en cause au beau milieu du tumulte post 2014. « J’aspire seulement à ce que ces thèmes soient traités de façon globale : on ne peut pas dissocier les transports de l’économie et du logement, une ville c’est un tout ».
Éloignée de ce débat municipal, Bernadette Laclais l’est d’autant plus qu’elle ne s’affiche pas sur les réseaux sociaux « où tout est devenu violent. Lorsque j’étais candidate, Facebook n’était encore qu’un outil de communication alors qu’aujourd’hui, on y déverse un torrent d’invectives et de polémiques. Une ville ne mérite pas cela ».

« La crise de la Covid a changé les choses »

« Une ville en mouvement, une vision de l’avenir à partager ». Cet intitulé ne vous dit peut-être rien. Il s’agit du titre d’un ouvrage d’une centaine de pages qui définissait ce que devait être une ville dans une vision à moyen terme. Ecrit par ses soins et paru fin 2013, en pleine campagne. « J’avais couché sur papier ce que devait être l’engagement d’un maire pour sa ville, un long exercice » qui ne lui avait pas porté chance, certes, mais qu’elle aurait tout de même voulu voir. « C’est important de resituer un projet de façon plus large, plus globale ». Ce petit livre était son cap à suivre, expliquait aussi ce qui avait été fait, ce qui n’avait pas pu l’être, relatait ce qu’était la vie municipale. « Plus j’écrivais et plus j’expliquais. Son ambition dépassait la logique d’un mandat de six ans ». Aujourd’hui, selon elle, « trop de gens ont tendance à éluder jusqu’à 25 ans de politique locale au motif que ce n’était pas leurs amis qui étaient au pouvoir, ça me laisse songeuse. Un engagement ne peut se permettre de mettre de côté ce qui a été fait par le passé ».
Est-ce à dire que chaque candidat a surtout la volonté de marquer son passage plus que d’avoir une vision allant au-delà de leur simple présence en tant que magister ? « Faire comme si ce qui s’est passé avant n’avait pas existé, ce n’est pas être à la hauteur de la tâche. Le débat, aujourd’hui, ne porte pas sur la vue globale de la ville. La crise de la Covid a changé les choses dans la relation aux autres, aux voisins, aux commerces, aux services et curieusement, je ne vois pas émerger ce sujet qui est pourtant fondamental. C’est pourtant une question cruciale qui concerne les terrasses, les files d’attente et l’espace public qu’il faut repenser ».  Elle qui a vécu la genèse du Phare, de la piscine, aimerait connaître les grands projets structurants à venir, ceux qui prennent du temps pour être imaginés, qui réclament des moyens pour être concrétisés : « Il avait fallu deux mandats et demi pour créer les halles qui étaient une pièce maîtresse du centre-ville ». Ces halles qui avaient eu à vivre une gestation tourmentée, entre la crise, les recours contentieux et les problèmes avec les fournisseurs… Sa cible première, le centre-ville que même le débat sur le parking Ravet ne met pas, selon elle, assez en valeur : « Ravet cristallise tout mais il me semblerait plus important de traiter la question du centre-ville de son animation, de ses commerces. L’idée première est d’empêcher la voiture d’entrer dans l’hyper centre, très bien mais comment avoir, de façon générale, un centre apaisé et pacifié ? Il faut se projeter ! » Cœur de ville, articulation entre Chambéry et ses quartiers, la place de la gare dans le territoire, la politique de la ville, des sujets qui rappellent que son projet d’aménagement des bords de la Leysse était avant tout une vision d’ensemble, avec tout ce que cette vision comportait comme variables et imperfections. 

« Remettre en question la légitimité des élus ébranle tout l’édifice démocratique »

Dans une période marquée par la défiance envers les politiques, envers les institutions en général, Bernadette Laclais reconnaît toutefois que la légitimité des élus 2020 est « indiscutable » et que cette élection n’est « pas perdue » , comme le soutient Marina Ferrari. L’élue aixoise avait en effet affirmé que compte tenu du niveau de participation, les élus s’en trouvaient trop peu représentatifs, majoritaires ou minoritaires. Un point auquel la future ex-élue n’adhère pas. « J’ai connu des élections cantonales avec à peine 30% de participation. On peut regretter l’abstention, j’espère que les gens seront suffisamment rassurés pour aller voter le 28 juin. Le grand principe démocratique de base est d’accepter que les gens soient élus. Les remettre en question consisteraient à ébranler tout l’édifice démocratique ».  Il reste une semaine aux candidats pour satisfaire son appétit de débats et pour connaître le contenu « du contrat passé par chacun avec les habitants. J’avais pris un risque en l’écrivant, en 2013, parce que j’estimais le devoir à mes concitoyens. Aujourd’hui, j’encourage les candidats à le faire ». Élue dans un contexte de début de grave crise économique en 2008, « comme eux maintenant » , elle espère encore lire un engagement fort dans leurs yeux. « Plutôt que dire qu’ils ont été mal élus, aidons-les. Rien n’est blanc ou noir. Lorsqu’on commence un mandat, on le fait avec humilité ».  Désireuse de ne pas prendre part à la joute que se livrent Michel Dantin et Thierry Repentin, Bernadette Laclais espère un vainqueur, dans cette bataille, sa ville, « dynamique et clairement positionnée par rapport à ses voisines ».