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Dominique Dord : « Si on se dirige vraiment vers une décentralisation, cela sera très intéressant à suivre car on changera de modèle en France »

Par Laura Campisano • Publié le 30/06/20

L’allocution du chef de l’Etat du dimanche 14 juin a laissé entendre aux observateurs qu’une éventuelle réforme de la décentralisation pourrait émerger de la crise sans précédent que le pays a traversé. Reconnaissant le rôle important joué par les collectivités territoriales et principalement les élus locaux dans la gestion de la crise sanitaire, Emmanuel Macron semble aller dans le sens d’un changement profond des institutions. Nous avons donc demandé à Dominique Dord, un éclairage sur cette probable transformation des institutions.
Figure de la vie politique locale durant près de 30 ans, président de Grand Lac, député, conseiller général et régional, et maire d’Aix-les-Bains durant plus de 17 ans, Dominique Dord a toujours plaidé en faveur d’une latitude plus importante laissée aux élus locaux et d’une réelle et profonde réforme des institutions en ce sens. Ce moment tant attendu serait-il enfin arrivé, alors qu’il a annoncé il y a peu son retrait de la vie politique ? 
Que penser de l’annonce à demi-mots du chef de l’Etat lors de son allocution du 14 juin « tout ne devait plus nécessairement se décider à Paris »? Doit-on s’attendre à des suites concrètes ou s’agit-il selon vous d’un simple effet d’annonce ? Je ne suis pas capable de théoriser les choses, je peux simplement donner un éclairage à l’aune de mes 30 ans de carrière à tous les échelons de la vie publique locale. Le premier constat que je peux faire, c’est que tout ce qui vient des collectivités locales est financé, contrairement à l’Etat qui fait ça depuis 40 ans, ce qui explique que l’on a des déficits monstrueux. L’autre constat que l’on peut faire, c’est que tous les pays autour de nous en Europe sont beaucoup plus décentralisés que nous. Ils sont par exemple divisés en pouvoirs fédéraux en Allemagne, en régions en Espagne ou en comtés au Royaume-Uni. Je constate que nous sommes le seul pays d’Europe qui est resté hypercentralisé.
Quelle différence cela fait, au niveau efficacité des services aux habitants, par exemple ? 
J’ai plutôt l’impression que pendant la crise sanitaire que nous venons de traverser que l’Allemagne par exemple, avec une responsabilité sanitaire beaucoup plus décentralisée a réagi plus vite et s’en est mieux sortie que nous, un peu à l’image des régions françaises, qui de mon point de vue, ont été plus réactives plus rapides que l’Etat pour des gestes du quotidien, de livraison de masques etc. Donc d’après mon expérience personnelle, les collectivités territoriales fonctionnent et l’Etat est empesé sous le joug des responsabilités qu’il a dans notre pays et donc une inefficacité totale : des circuits de décision hyper longs, des contrôles dans tous les coins et incapables de les financer.


Il serait bienvenu, que la décentralisation arrive enfin, pour vous ?
Je ne suis pas un théoricien de la décentralisation, ce que je dis c’est qu’en France on a presque tout essayé sauf vraiment la décentralisation.

Dans un sens, sans même qu’elle existe dans les textes, on l’a vu fonctionner au travers de la gestion des élus locaux, durant cette crise…
Oui, et d’ailleurs les communes et les régions se sont saisies des responsabilités sanitaires, qui ne sont pas les leurs de par la loi ! Prenez la plus petite commune chez nous, Ontex : le jour où il n’y a plus de conseil municipal, où c’est l’agglo qui reprendra les compétences, on fera moins bien ! Nous serons évidemment beaucoup moins présents dans cette commune que ne le sont aujourd’hui les 9 conseillers municipaux quasiment bénévoles qui s’occupent de tout, tout le temps. On a donc à peu près tout essayé : la gauche, la droite, aujourd’hui ni l’un ni l’autre et au fond tant qu’on ne change pas le modèle d’organisation, vous pourrez mettre tous les élus du monde, ils resteront toujours dans ce même modèle centralisé, empesé, compétent sur tout, qui ne marche pas. Pour moi, la décentralisation sera efficace et ce sera financé, puisque comme je vous le disais, les collectivités territoriales ne peuvent rien faire qui ne soit pas financé. A chaque fois qu’un élu prononce le mot, je tends un peu l’oreille parce que je pense vraiment que c’est là que nous aurons un peu de marge de manœuvre, des leviers de commande qui marchent.

« Je pense que les élus locaux sont plus honnêtes que la moyenne »

Et sur le plan démocratique, que pourrait apporter la décentralisation de bénéfique à la situation actuelle ? 
Vous l’avez entendu comme moi, pour les citoyens « la gauche ou la droite c’est pareil, de toutes façons tout change pour que rien ne change. » Je crois que c’est un constat qui est un peu vrai. Pour que ça change vraiment, il faut changer de modèle, arrêter avec cette défiance vis-à-vis des collectivités locales, ce climat de suspicion, comme si les collectivités locales, les élus locaux étaient des magouilleurs et comme si dans les services de l’Etat il n’y avait pas aussi des sujets. Je pense au contraire que les élus locaux sont des gens beaucoup plus honnêtes que la moyenne, extrêmement engagés tous les jours, pour pas très cher, à portée de plaque, si quelque chose ne marche pas, ils reçoivent le boomerang en pleine tête assez vite. On est là dans des circuits de décisions courts, or je pense, comme on l’a vu durant la crise, que les circuits de décisions politiques courts c’est efficace. Voilà la toile générale de ce que je ressens et de ce que je crois, il faut essayer d’aller vers plus de décentralisation.

Pensez-vous que la gestion de crise a été un déclic qui va permettre ce changement de modèle ? 
La vraie question c’est jusqu’où a-t-on l’intention d’aller dans la décentralisation ? Si c’est pour décentraliser des choses insignifiantes, ça ne servira à rien ! Et je suis assez méfiant, parce qu’en fait la culture des gens qui nous dirige, c’est une culture d’Etat. Une culture qui se méfie de la perte du pouvoir, la dispersion du pouvoir. Donc je pense qu’on peut avoir des mots, en disant « oui, oui on va faire de la décentralisation. » Moi j’attends de voir parce que je pense que les mêmes causes produiront les mêmes effets et que tant que l’on a cette culture hyper centralisée et qu’on a des types très forts, très cultivés, formés pour ça, mais qui sont dans cette culture d’Etat, je pense que ces gens-là ne lâcheront pas le pouvoir et donc je crains que ce soit à nouveau une « réformette » de la décentralisation.

On peut toutefois espérer que cela aboutisse à mieux, surtout si l’on repense à la baisse des dotations aux collectivités qui met à mal leur fonctionnement, avant l’arrivée de cet exécutif…
C’est un peu de son fait quand même, la baisse des dotations est quelque chose qui continue. La suppression de la taxe d’habitation par exemple est une perte de souveraineté pour les collectivités locales : c’est l’Etat qui va, dans sa grande mansuétude, dire à quel niveau il consent de compenser la perte de cet impôt, alors que c’étaient les élus locaux qui avaient la main dessus. Pour le moment dans ses actes, ce gouvernement a encore recentralisé, repris du pouvoir aux collectivités. C’est pour cela que je suis ravi que peut-être il y aura une petite étincelle mais que j’attends de voir.

Pour rebondir sur ce que vous disiez à propos du « on a tout essayé » , pensez-vous que la couleur politique ait un impact sur ce qui est fait à l’échelon communal ?
Non justement, c’est aussi une des forces de la décentralisation à mon avis, on va avoir des gens de bonne volonté qui vont plutôt se rassembler, comme c’est le cas dans de nombreuses communes, pas partout bien sûr. J’ai été maire trois fois, à chaque fois j’ai constitué des équipes avec des gens du centre gauche, des gens plus à droite que moi, et au fond sur le terrain communal qui est le terrain du concret, du direct, les idéologies, je vous assure qu’elles ont moins de prise. C’est un peu le cas au moment du vote du budget, où l’on choisit les taux de fiscalité, le niveau de la dette : les gens les plus à gauche souhaitent souvent davantage de mise en commun des ressources, et un peu sur les sujets d’urbanisme, de logement, avec la prégnance plus ou moins grande du logement social.

« L’Etat est tenu par des gens qui se méfient des collectivités territoriales »

Ce d’autant qu’après cette crise, et les élections, les réalités seront autres que dictées par les couleurs politiques de chacun, principalement au niveau des agglomérations.
Nous verrons comment cela va se passer. Par exemple à Grand Lac, tout le monde dit qu’il faut augmenter les versements transports des entreprises pour que l’on puisse faire davantage de transports en commun ; avec la crise et la claque que vont se prendre les entreprises qui nous paient ce versement, on va voir qui tiendra encore ce genre de discours. Il y a un discours de réalité qui est nettement plus grand. Quand vous associez Xavier Dullin avec pistes cyclables, ce n’est pas un homme de gauche, pourtant on pourrait penser que le vélo c’est un sujet de baba cool, mais non. Quand nous on fait un point sur le cadastre solaire* pour rentrer le plus possible dans notre plan climat, on est sur des choses concrètes qui gomment tout ce temps perdu dans des joutes, un peu comme dans un théâtre d’ombres. Là, nous ne sommes pas dans l’ombre, c’est pragmatique : ça marche c’est financé, si ça ne marche pas on arrête. Je crois vraiment, même si ça ne réglera pas tout, que la décentralisation pourra aider aussi à réconcilier les citoyens avec la vie politique, ce qui n’est pas totalement sans intérêt dans ce moment où la société est déchirée et fracturée.

Cela semble même le meilleur moyen, pour créer des vocations de futurs élus locaux, alors que certaines communes peinaient à trouver suffisamment de colistiers pour ces élections par exemple…
Je suis d’accord. En tous cas, si l’on va vers une puissante vague de décentralisation, ce sera intéressant à suivre parce que là, on changera de modèle. Nous irions vers des gens proches du terrain qui vont pouvoir expérimenter différemment, à Chambéry, à Annecy ou à Aix-les-Bains, les mêmes objectifs mais sans être dans ce moule unique de la loi, une espère de carcan quand même. Nous aurons en face de nous des partenaires sociaux, partenaires de terrain et non pas des professionnels du corporatisme. Franchement, là, il y a vraiment une veine qui pour moi, est la veine qu’il faut suivre, qu’il faut exploiter, ce que je crois a été très peu fait. Cela a un peu été fait avec Gaston Defferre, un peu fait avec Jean-Pierre Raffarin, et c’est à peu près tout. Depuis les années 80 soit depuis à peu près quarante ans, on n’a pratiquement rien fait sur le sujet.

A quoi est dû cet immobilisme en la matière, selon vous?
C’est dû à ce que l’Etat est tenu par des gens, très forts, je ne leur jette pas la pierre, mais qui ont une culture d’Etat et se méfient des collectivités locales, qui ont une vision très uniformisante de la vie. « Tout le monde pareil » etc. Ils considèrent que seul l’Etat peut imposer cette sorte de carcan, et ils n’ont pas tort. Sauf que c’est un carcan et je crois qu’aujourd’hui, nous avons plutôt besoin d’initiatives variées, multiples, qui rassemblent, en bref, l’inverse de ce que l’on fait.

Cette annonce, qui n’est qu’une annonce à l’heure actuelle, arrive pile au moment où vous quittez la scène politique. Cela va-t-il vous inciter à rester encore un peu ? 
(Rires) Je n’aurais pas dû arrêter ? Cela en prend vraiment le chemin en tous cas. Toutefois, si cela va vers une vraie réforme, je veux bien regarder cela.

Dans le cadre du Plan Climat de Grand Lac, un outil sous forme de carte a été mis en place gratuitement pour les habitants par l’Agglo d’Aix-les-Bains, afin d’estimer le potentiel de productivité solaire d’une toiture ou d’une surface au sol. L’objectif poursuivi est de passer de 210 GWH à 451 GWH de production d’énergies renouvelables d’ici 2030.

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