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Martine Berthet : « Il n’y a que lorsque l’on est dans la fonction que l’on voit de près comme il est difficile de diriger une ville «
Par Laura Campisano • Publié le 24/06/20
Maire d’Albertivlle de 2014 à 2017, siège qu’elle a cédé à Frédéric Burnier-Framboret avant de devenir sénatrice, conseillère départementale depuis 2015, Martine Berthet est une personnalité politique incontournable en Savoie Née à Chambéry, elle porte un regard bienveillant sur sa ville de cœur, et réfléchi sur la campagne du second tour des municipales qui se déroule. Comment encourager les abstentionnistes et de manière générale, les électeurs, à se déplacer, de quelle manière les candidats peuvent-ils leur donner envie de s’investir pour leur commune ? Nous sommes revenus ensemble sur ces points cruciaux de l’élection.
La période est aux inaugurations, aux célébrations, aux commémorations et aux assemblées générales et Martine Berthet est partout, sur le territoire ainsi qu’au Sénat où l’actualité ne se tarit pas, tant l’après-crise sanitaire comporte de points à éclaircir, discuter, débattre. A l’issue d’un vote permettant le port de deux procurations, pour le vote du 28 juin, afin de permettre aux publics âgés et/ou fragiles de faire entendre leur voix, la sénatrice a pris le temps de nous faire part de ses observations sur la campagne qui bat son plein, actuellement.
Que penser de la campagne active qui se déroule sous nos yeux, compte tenu des enjeux que représente l’élection ? Pour cela, il faut revenir un tout petit peu en arrière et se positionner face au déroulé du 1er tour de cette élection. Nous vivons depuis le premier tour, des élections municipales inédites, tant par le taux d’abstention énorme que par la crise sanitaire qui a débuté dans le même temps. Il s’agissait d’une période assez critique, il y a donc eu pas mal d’abstention mais qui ne relevait pas de la population qui s’abstenait habituellement. Les électeurs sont en effet en grande majorité âgés, on se plaint souvent que les populations plus jeunes ne vont pas voter. Et là, ce sont plutôt les personnes âgées, qui ne sont pas déplacées par crainte de la Covid-19.
Mais il faut tout de même observer que bien que la participation ait été très faible, la majorité des communes ont été pourvues. Ensuite, il y a eu cette période de confinement qui a séparé une campagne du premier tour classique, de tractages, réunions publiques, de présence sur les marchés avec celle qui est en passe de se terminer. Alors que d’habitude, il y a une semaine seulement d’écart entre les deux tours. En somme le second tour est dans la lignée du premier.
Le temps qui s’est écoulé entre les deux tours a-t-il changé la donne, selon vous ?
On se retrouve à nouveau dans une situation où l’on peut espérer qu’il y ait un peu plus de votants qui se déplacent, et nous avons mis en place au niveau du texte de loi qui a été promulgué le 22 juin*, permettant plus de facilités pour les opérations de vote. Même si l’on voit le bout de la crise, à présent, malgré tout, le virus circule toujours dans notre pays. Pour les personnes âgées et fragiles, on peut penser qu’elles ne souhaitent pas se déplacer. Nous avons donc fait ce qu’il fallait, pour que les procurations soient facilitées, que celles du premier tour soient toujours valables. On peut penser quand même que le nombre de votants sera plus significatifs.
« Il faut aller voter, c’est impératif ! »
Peut-on penser que si le chiffre ne bouge pas, c’est qu’il s’agit d’un choix, cette fois, de s’abstenir ?
Non, pas forcément. On ne sait pas justement comment nos concitoyens vont réagir. Certains ont conscience qu’il faut apporter leur soutien à leur candidat, donc ça mobilisera un petit peu. Mais compte tenu de l’impossibilité de tenir des réunions publiques, la communication des candidats pour ce deuxième tour reste quand même très difficile, très limitée. On a vu fleurir bon nombre de débats retransmis sur les réseaux sociaux, sur les ondes et un peu télévisés. Malgré tout, c’est une communication qui reste complexe.
Pensez-vous que cette absence de contact direct avec les gens pénalise les candidats ?
Tout le monde est un peu à la même enseigne, mais pour ceux qui ont l’habitude d’être proches des gens. ce que nos concitoyens aiment, il est vrai que cela peut les pénaliser. Il est toujours plus facile, de s’adresser directement à ses électeurs, d’échanger avec eux en direct. Un débat ce n’est pas la même chose : il peut être orienté par un candidat sur un sujet plus polémique, ou bien il peut dire des choses qui ne sont pas exactes, mais c’est ce qui va rester dans l’esprit de celui qui suit le débat. En réunion publique il y a la série de questions-réponses, et là le candidat s’adresse « les yeux dans les yeux » à ses électeurs et les choses sont différentes. Effectivement, c’est très pénalisant pour les candidats, les conditions de cette campagne du second tour.
Est-ce pour cela, que l’on voit apparaître une sorte de surenchère sur les réseaux sociaux, entre « camps adverses » ?
J’avais moi-même subi un grand nombre d’attaques quand je m’étais présentée à Albertville, c’est habituel. Mais si la situation en est là, c’est vraisemblablement parce que les candidats n’ont pas moyen de s’adresser directement à leurs électeurs. C’est vrai que sur les réseaux sociaux, on commence à voir fleurir tout et n’importe quoi, mais malheureusement on ne peut pas l’empêcher. La seule façon de voir diminuer cela ce serait de pouvoir s’exprimer en direct avec les gens.
Cela contribue-t-il à dissuader les gens de se déplacer ?
Je trouve vraiment regrettable que les gens n’aillent pas voter, ou que ceux qui ne sont pas d’accord avec les listes en présence ne montent pas de listes. J’ai reçu, au plus fort de la crise des « gilets jaunes », des personnes âgées qui voulaient me faire part de leurs revendications et effectivement, la conclusion à laquelle nous étions arrivées à la fin de cet entretien était qu’il fallait au moment des élections pouvoir s’exprimer, monter des listes, trouver son programme. Pourquoi pas ? Mais en tous les cas, il faut aller voter, c’est impératif. On ne peut pas, sous prétexte que les personnes en place ne nous conviennent pas, que ce sont toujours les mêmes mettre ce genre d’arguments en avant et ensuite critiquer en permanence. La démocratie, c’est cela, pouvoir s’exprimer dans les urnes, pouvoir se présenter. Je regrette beaucoup que nos concitoyens n’aient plus cette conscience du vote et d’exprimer son opinion.
« J’aimerais un système de tirage au sort permettant à des citoyens de faire partie du conseil municipal pendant un an »
Quelles solutions pourrait-on envisager pour leur redonner cette conscience, justement ?
J’avais préparé un amendement dans ce sens, j’aimerais beaucoup que l’on mette en place un système qui, par tirage au sort, invite des citoyens à faire partie du conseil municipal pendant une année, selon la taille de la commune, que l’on changerait tous les ans. Car il n’y a que lorsqu’on est dans la fonction, que l’on voit de près comment on peut gérer une ville, à la fois sur les aspects sociaux, écoles, voiries, participation à l’intercommunalité, plans de circulation…
Bien sûr, ce sont des sujets qui peuvent être polémiques à un moment ou un autre. Mais lorsque l’on est confronté à la gestion de la commune et avec le budget que l’on a pour faire fonctionner les services, en essayant de dépenser au plus juste, trouver un équilibre pour ensuite avoir suffisamment pour investir derrière dans la construction d’écoles, de structures sportives, cela ne peut se faire que si la gestion du quotidien peut se faire au plus juste. Tout cela est un équilibre de plus en plus difficile à réaliser par les maires et leurs équipes parce qu’il y a moins de dotations de l’Etat et d’autant plus quand on ne souhaite pas ou pas trop augmenter les impôts. Parfois, c’est incontournable parce qu’il n’y a plus de moyens : je pense à la situation de Chambéry en 2014, c’était quand même très critique sur le plan budgétaire à cause des emprunts toxiques. L’équilibre était à mon avis très difficile à trouver.
A-t-il été trouvé de manière satisfaisante, selon vous ?
Personnellement, je pense que oui, même si la première moitié du mandat a été très difficile. Je le comprenais d’autant plus que j’étais maire d’Albertville à l’époque avec un budget à gérer, parce qu’il a fallu gérer ces difficultés budgétaires. Mais là en fin de mandat, beaucoup de projets ont pu voir le jour, la gare et l’échange multimodal, pour une ville comme Chambéry, capitale de la Savoie, j’insiste, avoir une gare digne de ce nom c’est quand même la première image que l’on a de la ville. Il y a aussi des dossiers comme la piscine, la rénovation de Malraux… En tant qu’ancienne Chambérienne, j’ai senti une bonne impulsion et également sur les aspects d’animation de la ville. Et surtout quand on regarde les magazines d’immobilier, l’attraction de la ville etc. très franchement, Chambéry est bien remontée et ça je pense que c’est un bon signe de dynamisme et qu’il faut le souligner.
Comment expliquer les critiques assez vives, lancées à l’encontre de Michel Dantin ?
La politique, c’est très dur, très compliqué, ingrat. Il suffit de peu de monde pour faire beaucoup de bruit parfois sur des choses qui n’ont pas raison d’être.
Dans d’autres communes, Barberaz, Le Bourget-du-Lac et La Ravoire, des dissensions au sein des majorités ont conduit à des triangulaires, aujourd’hui. Est-ce à votre avis un motif d’immobilisme des habitants ?
Il y a des personnes en place qui font un travail énorme. On ne peut pas plaire à tout le monde, quand on est élu maire en principe, on n’est élu que par une partie de la population, puis une fois élu, on devient maire de tout le monde et pour tout le monde. Je crois que cela est clair, une fois l’élection passée. Après dans un mandat, c’est très difficile d’être élu et encore plus d’être maire : le maire a le lien, le regard et cette écoute de ses administrés, mais aussi les équipes à gérer, selon la taille de la ville et aussi son équipe. Chacun a son tempérament, on a peut-être quelques différences qu’on ne voit pas forcément, même si dans les grandes lignes, nous sommes en accord avec la personne en tête de liste, il existe des points de divergence. Ce qui peut expliquer qu’à un certain moment, certains aient envie de monter leur liste aussi et c’est légitime.
Dans certaines communes, quand il y a eu dans certaines élections une fusion de listes comme c’est le cas à Chambéry avec les listes de Thierry Repentin et Aurélie Le Meur pour ce second tour, alors qu’ils n’étaient pas en phase sur certains sujets, cela peut expliquer que sur le mandat suivant, certains aient envie de monter leur propre projet. Je pense qu’il faut que la démocratie existe. Après les électeurs se rendent compte du travail effectué et décident en fonction.
« Six ans, c’est long, il faut que l’équipe soit soudée »
Faudrait-il comptabiliser le vote blanc ?
Peut-être que ce serait la solution pour que les électeurs aient envie de retourner aux urnes, peut-être qu’il faudra en arriver là. Cela causerait beaucoup d’inertie dans l’activité des communes, mobiliserait beaucoup de gens, s’il fallait renouveler le scrutin parce que personne n’est élu et qu’il faut recommencer, mais pourquoi pas.
On a toutefois vu beaucoup de listes citoyennes émerger, lors de cette élection…
Oui c’est vrai et c’est bien. Pour gérer une commune, ça ne s’improvise pas comme ça, il faut au moins avoir fait un mandat, tout au moins en qualité de conseiller municipal. Chaque tête de liste s’est attaché à avoir des « têtes nouvelles » à faire venir en politique, au sens noble du terme, de nouvelles personnes, pour le futur. Chacun essaie d’intégrer des jeunes, pour qu’il y ait quand même le reflet de la société, de la ville. Il me semble que, de façon générale, les gens vont arriver, que la plupart auront envie de mener une liste. Mais être tête de liste sans avoir aucune expérience municipale, c’est très compliqué.
A Chambéry, ce sont deux connaisseurs de la politique, est-ce « rassurant » pour les habitants ?
Encore faut-il être en phase avec son premier adjoint. Parfois on peut avoir une liste qui n’est pas la même que la sienne mais avec des idées similaires. J’émets un doute sur le fait de cette fusion ; y aura-t-il une bonne entente sur la suite ? Six ans à passer ensemble dans une équipe avec les tempéraments et peut-être la vision des uns et des autres, il faut vraiment que l’équipe soit soudée. Sans porter de jugement sur la liste, ce que je dis simplement, c’est que six ans, c’est long, il faut bien s’entendre et que les gens puissent s’y retrouver et cela est mon expérience. Le plus important, c’est vraiment d’aller voter, regarder ce qui a été fait, ce qui est proposé, et s’exprimer.
* La loi du 22 juin prévoit que chaque mandataire peut disposer de deux procurations, y compris lorsqu’elles sont établies en France.
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