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Michel Bouvard : « Le vainqueur est toujours celui qui parvient à mobiliser son camp, Michel Dantin le fait très bien »

Par Jérôme Bois • Publié le 22/06/20

Ancien sénateur élu en 2014 retiré trois ans plus tard, ancien député, conseiller municipal, départemental, entre autres responsabilités, Michel Bouvard est l’un de ces touche-à-tout ayant gravité autour toutes les époques et les strates de la politique française. Avisé et clairvoyant sur la vie locale, il livre une analyse fine de la situation dans les derniers bastions municipaux qui restent à conquérir, à une poignée de jours du second tour. 

Barberaz, La Ravoire et Chambéry restent les derniers territoires à conquérir, sur le bassin chambérien, terrain de jeu s’il en est de l’ancien sénateur de Savoie, Michel Bouvard, originaire des Déserts, rappelons-le.
Au-delà de ces enjeux locaux, il observe avec recul ce que cette campagne a eu d’exceptionnel, au sens premier du terme : un contexte particulier de crise et une deuxième campagne qui s’achève. Il prononce également quelques mots sur les hommes et femmes encore en lice. Un avis éclairé, un témoignage éclairant.
Comment analysez-vous cette campagne si spéciale, en passe de s’achever ? Sur La Ravoire, il y a eu, il me semble, un taux d’abstention assez élevé (58,24%), les abstentionnistes étant, si j’en crois ce qui est relevé, plutôt des personnes âgées donc légitimistes, favorables à leur maire. L’ordre d’arrivée fait que les choses sont compliquées et Patrick Mignola a tout de même eu de l’influence*. Frédéric Bret pourra-t-il rattraper son retard ? Je ne l’exclus pas.
Et sur Barberaz ? La situation est moins mauvaise pour David Dubonnet qui est quasiment à égalité avec Arthur Boix-Neveu (35,14 contre 35,26%). Je vois un report des voix de Nathalie Laumonnier en sa faveur. Cette dernière va terminer avec un score dérisoire, jamais elle n’aurait dû se maintenir. Les gens vont voter utile : soit ils voteront politique et les voix de Nathalie Laumonnier iront à David Dubonnet, soit ils feront un choix de personne et les votes s’orienteront davantage vers Arthur Boix-Neveu.
Vous pensez que la candidate ne gagnera pas de terrain ? Je vous fiche mon billet que son score sera divisé par deux ! Soit ses électeurs voteront à droite pour éviter d’avoir un maire de gauche, soit ils se disent qu’il faut battre le maire et se dirigeront naturellement vers Arthur Boix-Neveu. Dans tous les cas, les voix de Madame Laumonnier seront siphonnées.

« Une deuxième élection plus qu’un second tour »

Est-ce que le fait qu’un candidat soit sorti, comme en 2014, de la majorité Dubonnet** dit quelque chose de la situation, là-bas ? La dernière fois qu’il y a eu un consensus large, c’était avec Hubert Constantin (élu de 1983 à 1995). Il y a toujours eu des problèmes, à Barberaz, des dissensions.

Décoré de la Légion d’Honneur en mars 2019 (@Emilie Bonnivard)
La dissidence n’a pas vraiment eu le vent en poupe, dans ces élections… Effectivement, hormis à La Ravoire et à Saint-Jean-de-Maurienne. Les résultats de Marina Ferrari, à Aix le prouvent également.
Est-ce mal perçu par les électeurs de sortir d’une majorité pour partir contre elle ? Le sentiment légitimiste est réel. Le contexte est tellement particulier qu’il faut rester prudent, avec ce taux d’abstention et sur le fait qu’il s’agisse davantage d’une deuxième élection plus qu’un second tour.
Les maires en campagne vont-ils bénéficier de la gestion de la crise ? Est-ce que la gestion d’une crise peut servir un maire en place, ça, ce sera selon le ressenti de la population. Cela jouera certainement, d’une façon ou d’une autre. Une campagne de second tour dure habituellement une semaine, ici, il y en aura eu trois, avec trois mois d’écart avec le premier tour. La crise est passée par là, certes, mais les attentes des gens ont aussi peut-être bougé. Regardez les pistes cyclables, les masques, la gestion des écoles, la situation des Ehpad… Ce sont des sujets devenus majeurs, aujourd’hui. Je me garde donc de quelque pronostic. Ma seule certitude est qu’avec deux listes à égalité, une troisième qui se maintient, cette dernière se fera siphonner ses voix. 
Était-ce, quoi qu’il arrive, une élection perdue par tous ? Plus personne ne se soucie de la participation dès le lendemain d’une élection. Le maire élu est légitime. C’est comme ça. Le résultat, on s’en soucie, pas le taux de participation. Du reste, est-ce que vous vous en souvenez ?

« Pourtant, Thierry Repentin avait la moitié des conseillers départementaux de Chambéry dans son équipe… »

Pas vraiment. Mais lorsque l’on regarde le pourcentage par rapport au nombre d’inscrits et non plus par rapport aux votes exprimés, on voit que Michel Dantin, par exemple, n’a réalisé que 14,26%.  Ça interroge en effet mais son suivant, ça doit l’interroger encore plus ! C’est le propre d’une élection. S’il est élu, il est élu. Les opposants diront que vous n’êtes pas légitime, vous leur répondrez qu’eux le sont encore moins.
Venons-en à Chambéry, avec le duel annoncé depuis plusieurs mois… … mais pas dans la configuration attendue car personne ne voyait « Chambéry citoyenne » à ce niveau.

Pensez-vous que le score est bon pour Aurélie Le Meur et décevant pour Thierry Repentin ? Thierry Repentin a réuni selon un large éventail mais le fait d’arriver avec un score si petit, à égalité avec une autre liste ne présentant pas de personnalités majeures est une contre-performance. Pourtant, sur la liste Repentin, il y avait la moitié des conseillers départementaux de Chambéry***, des gens qui se sont fait élire avec plus de voix que lors de ce premier tour. Michel Dantin a fait le score que l’on attendait, sans faire le plein des voix. Majoritairement de droite et du centre, je pense que les voix de Christian Saint-André se reporteront sur lui.
Le deuxième problème pour « Demain Chambéry » réside dans cette fusion de listes, qui élimine 50% de chacune des deux concernées, ça crée des amertumes. J’ai croisé Thierry Repentin, je lui ai dit que j’avais été surpris qu’il ait évincé Colette Bonfils. La recomposition des listes a posé problème, des gens conservent des aigreurs. Enfin, il y a le sujet de la perception des électeurs : ceux qui côtoient « Chambéry Citoyenne » sont un peu, pour schématiser, antisystème, opposés à un certain modèle d’action municipale. Quelle va être leur réaction alors que leur tête de liste est une émanation du système politique traditionnel ? Tout comme Michel Dantin, ils ont en commun un cursus politique traditionnel, ce que rejette « Chambéry Citoyenne ». Dantin n’aura pas ce problème avec l’électorat de Christian Saint-André, qui ne conteste pas cette typologie de gestion.
Donc, Michel Dantin part, selon vous, avec un avantage… Une partie des électeurs de Thierry Repentin ne seront pas satisfaits. Si l’on se contente d’une simple addition, ils seront devant, mais ce serait sans prendre en compte les reports de Saint-André, ces 6 à 7%, et le fait qu’une liste fusionnée ne rassemble jamais la totalité des deux électorats. La dynamique venait tout de même de « Chambéry Citoyenne » ! La liste Dantin est dans les clous, c’est celle de Thierry Repentin qui ne l’est pas. Toutes les listes citoyennes, du reste, ont une dynamique, même aux Déserts, ma commune. Il y a une approche qui conteste la démocratie représentative traditionnelle, on voit bien que beaucoup se retrouvent autour de ce rejet. Oui, je pense qu’à l’arrivée, Michel Dantin est mieux placé que Thierry Repentin.
Pourtant, l’appel à l’union sacrée de Christian Saint-André n’a pas obtenu d’écho auprès de qui que ce soit… Les gens se détermineront par eux-mêmes, ils voudront marquer le coup.
Trouvez-vous que cette campagne a permis de vrais débats de fond ou qu’au contraire elle a plus été une campagne d’attaques et de com’ ? Je ne l’ai pas suivie de près, je n’ai pas eu le sentiment qu’il y ait eu énormément d’attaques. J’ai suivi quelques débats autour du Lyon-Turin, de projets d’urbanisme, d’environnement. De l’extérieur, j’ai plutôt eu l’impression d’une campagne de bonne tenue.
Les réseaux sociaux ont rendu les choses plus compliquées… Oui, vous connaissez cela, une campagne électorale est toujours propice aux boules puantes, aux attaques personnelles. Après, quelle est la part d’influence de ces piques sur le résultat ? On ne sait pas. Par exemple, cette histoire de conflit d’intérêt autour de Xavier Dullin**** est un débat vieux comme le monde. Il n’y a rien d’illégal quand d’autres diront que c’est anormal. Et celui qui dit que c’est anormal sera plutôt dans le camp d’en face. Si tel était le cas, de toute façon, ce sujet aurait fait l’objet d’une saisine ou d’une campagne. Or, ce n’est pas le cas.
On va vers les réseaux sociaux y trouver ce que l’on attend par rapport à ce que l’on pense. Ça ne fera pas bouger grand chose à l’arrivée. Éventuellement, cela peut motiver les gens à aller voter, ça n’aura pas d’influence sur le résultat final. Le vainqueur est toujours celui qui parvient à mobiliser son camp, ce que Michel Dantin fait très bien. En face, c’est plus dur pour Thierry Repentin, qui doit composer avec les difficultés liées à la fusion.

« C’est une vraie chance pour le département d’avoir un personnel politique de très bonne qualité »

Était-ce, pour Michel Dantin, le mandat du « sale boulot » ? A titre personnel, je pense qu’effectivement, la situation financière qu’il a trouvée n’était pas simple. Je ne juge pas l’équipe précédente, j’ai bien connu ce dossier des emprunts toxiques*****, sur le fond, avec la disparition de Dexia, la crise de la dette souveraine. Ce qui est certain, c’est que l’impact de ces prêts toxiques a été énorme, ils ont eu un coût pour la collectivité. Est-ce que chaque électeur va s’en souvenir au moment de voter ? Non, mais il en ressent les effets via une baisse des subventions ou une hausse des impôts, ce qui a davantage d’influence.
Au final, ils ont plutôt bien géré, la mairie a dégagé des marges d’investissements, l’agglomération a bien fonctionné, de gros projets sont en passe de sortir comme Cassine, l’éco-quartier Vétrotex, les implantations d’entreprises… C’est aujourd’hui le privilège de l’équipe sortante. En 1989, j’appartenais à l’équipe de Pierre Dumas, le bilan était bon, ça n’a pas suffi******. Ce qui pousse en faveur de Michel Dantin, c’est l’empathie naturelle, c’est quelqu’un qui a le sens du contact.

Chez ses adversaires, on met plutôt en avant une distance avec les gens, comme une froideur… Je n’ai pas ce sentiment. Du reste, à Chambéry-le-Vieux, son fief, il ne réalise que des gros scores. Nous avons fait nos premiers pas ensemble, lors des municipales 1983 et des cantonales 1985. C’est un ami. Nous avons été jeunes adjoints de Pierre Dumas, il a donc spontanément mon soutien. Je le connais mieux que Thierry Repentin, avec qui j’étais en compétition lors des dernières sénatoriales, en 2014 (élu en compagnie de Jean-Pierre Vial, il démissionnera en juin 2017, NDLR). 
Vous le connaissez bien, lui aussi… Il a des qualités incontestables, nous avons beaucoup travaillé ensemble, lorsqu’il était président de l’Union sociale pour l’habitat, qui fédère le mouvement HLM, et que je présidais la caisse des dépôts et consignations. Il a un vrai parcours politique. C’est une vraie chance, de façon générale, pour Chambéry d’avoir à choisir entre deux personnalités qui ont les capacités pour la diriger. C’est une vraie chance pour le département d’avoir, dans la majorité et l’opposition, un personnel politique de très bonne qualité. Je ne peux pas en dire autant d’Aurélie Le Meur, qui ne m’a pas laissé un souvenir impérissable. Ça joue sur le développement d’un territoire de pouvoir composer avec des personnalités de grande qualité.
Une nouvelle génération a pris la main, notamment avec une personnalité comme Patrick Mignola… Je pense qu’il est tout à fait ministrable. Emilie Bonnivard a rejoint la commission des finances à l’Assemblée nationale… Même dans les communes, des maires qui étaient nouveaux la fois précédente et qui ont confirmé, comme à Montvernier, avec Daniel Crosaz (officiellement élu le 28 mai dernier) ou à Bessans, avec Jérémy Tracq. Pierre Dumas nous avait fait confiance, à Michel (Dantin) et à moi, en qualité d’adjoints. Lui avait 25 ans, moi 27. La Savoie sait gérer le renouvellement des générations.
N’est-ce pas trop dur à porter, à cet âge ? Non car il y a un parcours initiatique dont Michel Barnier, par exemple, a bénéficié lorsqu’il a été le benjamin du conseil départemental et celui de l’Assemblée nationale. Hervé Gaymard a aussi été jeune élu. Concernant Patrick Mignola, n’ayant aucune hostilité à l’égard du président de la République, je pense que si demain il est amené à occuper de plus hautes fonctions, cela permettra de pousser et de sortir des projets savoyards.
A titre d’exemple, j’ai sollicité Patrick avant la crise de la Covid au sujet de la rénovation du campus de Jacob-Bellcombette*******. Il a, avec Emilie Bonnivard, spontanément répondu, nous sommes montés tous les trois à Paris afin de défendre ce projet. J’ai poussé, pendant des années, pour que l’agglomération soit partie prenante dans la vie de l’Université de Savoie. Et Xavier Dullin a pris la main voici deux ans. Chambéry ne serait pas ce qu’elle est sans l’université.

Rien n’a été selon vous laissé de côté, dans le développement de la Savoie ?
Je ne pense pas. Même le Lyon-Turin n’a pas été négligé. Il a été envisagé, à un moment, que le tracé du Lyon-Turin ne passe pas par la Savoie. Ce n’est pas tombé du ciel, des tracés passaient par l’Isère. Nous avons su construire un consensus entre élus.

Sans distinction de gauche et de droite ?
Ce type de sujet n’est pas politiquement clivant, sur le fond, tout le monde est pour. Les grands dossiers allant au-delà des mandats sont rarement clivant : le développement du numérique, les Jeux olympiques en Savoie, le programme Grand Lac, l’autoroute en Maurienne… 

Patrick Mignola avait signifié son soutien à la liste conduite par Alexandre Gennaro, sur laquelle figurent notamment quatre de ses conseillers élus en 2014 (en plus, donc, de la tête de liste) et son ancien attaché parlementaire, Grégory Basin.

**La liste conduite par Jérôme Anglade, issu de la majorité Dubonnet, a terminé avec 17,41% au premier tour des élections de 2014.

***Colette Bonfils, Christelle Favetta-Sieyès et Thierry Repentin lui-même.

**** Pour plus d’informations, lire l’article paru dans Médiacités le 9 juin 2020.

***** Michel Bouvard avait été président de la commission de surveillance de la caisse des dépôts et consignations, entre 2007 et 2012, en pleine crise des subprimes.  
****** Pierre Dumas ne s’était pas représenté, une liste RPR UDF conduite par Jean Bollon ayant pris le relais. Elle sera défaite au premier tour par Louis Besson (51,12% contre 42,93%, la liste PCF ne récoltant que 5,95%).

******* Pour ses 50 ans, l’Université de Savoie a prévu un plan de rajeunissement du campus de Jacob-Bellecombette évalué à 123 millions d’euros. Plus des trois quarts du campus seront déconstruits. Les travaux ont débuté en 2013 avec la construction de l’esplanade. 

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