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Municipales 2020 : « sans filtre », « sournoise », « agressive »… cette campagne est-elle la plus violente et la plus virulente de toutes ?

Par Jérôme Bois • Publié le 04/06/20

Jamais campagne municipale n’avait autant été rythmée par les soubresauts émanant des réseaux sociaux : critiques sans filtre, souvent faciles, à peine dignes d’un café du commerce à 19h, invectives entre élus, sous-entendus d’un candidat envers son ou ses concurrents, cet exercice aura offert ce que la communication outrancière a de pire à proposer. Pourtant, nombreux sont les acteurs à considérer qu’elle n’est finalement pas si violente que ça. Elle est simplement victime de la parole libre offerte par internet ; pour le pire, souvent et le meilleur, rarement.
« Déjà que [Dominique] Dord était un escroc alors élire son camarade… » « Le premier conseil et déjà le maire montre le fait de ne pas aider les Aixois mais d’abord lui-même » « A peine élus et ils s’augmentent déjà… » L’élection de Renaud Beretti, jeudi 28 mai, n’a pas manqué de faire naître quelques commentaires bien acerbes, du genre de ceux que l’on n’oserait même pas susurrer à proximité du principal intéressé. L’augmentation des indemnités allouées aux maire et adjoints n’est pas passée inaperçue, certains s’en sont bien gaussés, à l’abri derrière un écran, voire un pseudo. C’est dans l’air du temps. 

« Il n’y a désormais plus de filtres »


Cette campagne 2019/2020 a été de celles où tous les coups ont été permis, sous toutes les formes aussi. Ainsi, dans le courant de la semaine dernière, deux actuels élus chambériens s’en donnèrent à cœur joie. Pour un post réclamant à la mairie la mise en place d’une aide alimentaire complémentaire, étayée par un article généraliste sur l’extension de la fracture alimentaire en France, Jean-Benoît Cerino s’était heurté à un profil qu’il a estimé être… factice. Ces faux profils, dont nous avions nous-même fait les frais, voici quelques mois, une nouvelle donne dans le paysage de l’opposition numérique. D’où cet échange houleux entre l’élu de gauche, engagé avec l’attelage Repentin – Le Meur, et Aloïs Chassot, adjoint et responsable de la communication du candidat Michel Dantin. « Je souhaite que sur mon mur Facebook, les anonymes s’identifient, sinon bye, bye ». La prénommée Marie Lbq est soupçonnée d’être l’un de ces faux. « Pas très honnête intellectuellement cette technique de prendre un article qui traite du national avec une photo bien miséreuse et de laisser penser que ce serait la même chose à Chambéry » , répliqua l’adjoint. « Cher Aloïs » Marie xxx ? « Chassot, je crois honnête d’avoir rappelé une proposition que j’ai formulée dès le début du confinement et qui est restée sans réponse solide et durable de la part de la Municipalité après 2 mois de confinement ». Avant qu’un autre élu de l’actuelle majorité ne se fende d’une sortie pour le moins audacieuse : « Vous savez bien qu’il n’y a pas plus facho qu’un socialiste. Ceux qui se servent de la misère des autres à des fins politiques. Ceux qui ne viennent dans les quartiers qu’en période électorale. Ceux qui votent des lois comme la déchéance de la nationalité. Ceux qui cultivent le deux poids deux mesures ». Un échange standard – à ceci près qu’aujourd’hui, certains élus n’ont plus la hauteur de vue nécessaire pour apaiser l’agressivité ambiante – entre élus opposés autour d’une réalité déformée par les clivages. Aloïs Chassot se défendra d’être devenu, l’espace de quelques échanges, la « Marie xxx » en question. Mais voici qui en dit long sur les nouveaux us et coutumes en vigueur. Plus sournoise, la campagne 2020 ? 

Xavier Dullin et Aloïs Chassot ont vécu des expériences diverses, variées et toujours empreintes de haine.

En tout cas, la parole s’est libérée et les belligérants avancent désormais masqués. « Je trouve qu’elle est tendue, il ne faudrait pas que quelqu’un sorte des sentiers battus » , soupire Aloïs Chassot qui se remémore un « tract non signé, durant le premier tour, dans lequel nous étions accusés de tout ». Il en convient, « il n’y a désormais plus de filtres ». Seulement, « nous n’y faisons plus attention ». Selon lui, cette campagne n’est pas plus virulente que celle de 2014, lorsque Michel Dantin et son équipe faisaient figure d’outsiders face à Bernadette Laclais. Les attaques sont désormais plus insidieuses.

Attaques personnelles, ciblées et railleries sexistes

Jeudi 28 mai, l’assemblée extraordinaire citoyenne visant à opérer la fusion entre les listes de Thierry Repentin et Aurélie Le Meur en vue du second tour avait été ciblée par des intrus. Organisée sur la plateforme Zoom, sensible à l’extraction de données personnelles, la réunion avait démarré avec de l’imagerie nazie et pédopornographique avant que tout n’entre dans l’ordre. « Ce n’était pas un problème local, il avait sans doute été initié par des hackers d’un autre pays, seulement, ce type de procédés contribue à un climat de dégradation générale » , soupire Gérard Blanc, quatre campagnes municipales au compteur. « Les choses se font aujourd’hui de manière détournée ». 
Très visée par des attaques sur sa prétendue infidélité à Renaud Beretti, Marina Ferrari gardera un souvenir amer de cette campagne puisqu’elle a été jusqu’à subir attaques et quolibets sur son statut de… femme. « C’était pourtant une campagne relativement propre » , convient-elle « mais je n’ai pas très bien vécu ce déchaînement autour de ce que les gens ont considéré être une trahison. Pour mémoire, j’avais refusé de me présenter aux législatives de 2017 face à Dominique Dord ». Elle finira par expliquer dans le détail, en réunion publique, le pourquoi de sa candidature. Des railleries, la candidate, arrivée deuxième (avec 22,88%) au premier tour, en a vu passer, « dont des commentaires très sexistes du style » qu’elle retourne dans sa cuisine «, vous voyez le genre, il valait mieux que je reste chez moi à faire la cuisine et à m’occuper de mes enfants, en gros. J’ai même eu droit à » vous êtes une femme et vous êtes jeune «, sous-entendu, que viens-je donc faire ici, dans un monde d’hommes et plutôt âgés… J’ai sans doute cristallisé beaucoup d’attaques, j’ai essayé d’en faire fi durant toute la campagne ». 

Marina Ferrari, cible de nombreuses attaques sexistes durant la campagne municipale.

Face à ces piques, seul André Gimenez l’appellera. « Je pense que c’est lié au statut de tête de liste, c’était mon baptême du feu ». Ce dont elle ne doute pas, c’est que les choses seront « de pire en pire ». « Là où il y a dissidence, c’est plus difficile » , reconnaît Julien Donzel, engagé à Challes-les-Eaux mais sans opposition. « Je ne suis pas un bon exemple, j’étais sur une liste unique, mais on voit bien qu’ailleurs, à La Ravoire, Barberaz ou Cognin, ça a chauffé ». Là où des personnalités se sont extraites des majorités pour partir en campagne d’opposition. A La Ravoire, les échanges entre Frédéric Bret et Alexandre Gennaro, son ex-adjoint, sont montés en intensité, sur les réseaux sociaux, jusqu’à ce que la liste Ecoexistons s’y mette, via un long et récent pamphlet sur la distribution des masques. Attaques, défense, contre-attaque. 
A Cognin, du reste, Lionel Mithieux, transfuge de Vimines, a eu chaud, malgré une campagne qu’il a « voulue soft. Je recevais des scuds de toutes parts ». André Gimenez, à Aix-les-Bains, a aussi connu des moments difficiles, « j’ai reçu des attaques personnelles », principalement liées à ses convictions. « On me disait » tu n’es pas de gauche «, » tu es à droite parce que tu copines avec untel ou untel «, » tu ne t’es pas opposé à tel projet «… D’autant plus difficile que ma liste était composée dans une large majorité de néophytes ». Avec 10,89%, le doyen parmi les candidats aixois pouvait s’estimer déçu.

De l’excès à l’outrance

Pour Gérard Blanc, intimement lié aux mouvements citoyens sur Chambéry comme sur La Ravoire, les premiers responsables de ce climat délétère latent sont les outils : « Via le numérique, on est davantage tourné vers la riposte que vers la réflexion, il devient nécessaire de se faire remarquer en étant dans l’outrance. L’immédiateté au service de la caricature et de l’excès ». « Chacun sait que ça va taper » , ajoute Xavier Dullin, président de Grand Chambéry, en lice aux municipales de 2001 et 2008. « Dans votre environnement, ce sont surtout les familles qui en souffrent. On en arrive à du militantisme de harcèlement, via les procédures juridiques, les invasions dans les réunions, le contenu de tracts… qui généralement proviennent toujours du même noyau ». « Les faux profils, on les connaît » , renchérit Aloïs Chassot. 

Emmanuelle Cosse, en visite de soutien au candidat Thierry Repentin, le 12 mars dernier.

Cependant, en termes de buzz, les propos d’Emmanuelle Cosse*, venue en visite de soutien à Thierry Repentin durant la campagne, avaient été un sommet, pour lui : « Elle a attaqué la rénovation urbaine de Bellevue, expliquant qu’il s’agissait de la pire qu’elle ait vue dans sa carrière. De la part d’une ancienne ministre… Ça a blessé des gens de Cristal Habitat ». L’ancienne ministre s’était dite « choquée » par cette fameuse visite du 12 mars, « ce que j’ai vu à l’intérieur des immeubles, c’est que tout a été fait contre les habitants. Nous avons des logements qui n’ont pas de fenêtres accessibles, des marchepieds, un immeuble qui n’est pas accessible pour les gens en fauteuil. Je viens de voir une cave inondée. C’est la première fois que je vois des habitations aussi mal faites, on se moque des gens, je suis assez estomaquée ». D’autant plus ciblée que cette sortie précédait de trois jours la tenue du premier tour.

2008, « à l’ancienne »


Pas du tout présent sur les canaux numériques, Henri Dupassieux, élu municipal à Chambéry, assiste néanmoins à cette libéralisation de la parole : « Les réseaux permettent souvent la calomnie et noircissent les débats. Mais je ne suis pas sur ces réseaux, je n’ai donc pas trop de retours. Ce que je constate, c’est que cette campagne n’a pas été plus violente, mais la façon de procéder a changé. Les réseaux ne sont pas un progrès pour la citoyenneté, la preuve avec l’élection puis l’attitude de Donald Trump. Ce n’est pas l’outil qu’il faut condamner mais son utilisation ». Pourtant, il est clair que ces outils, les candidats les maîtrisent, outils de communication de masse par excellence. Mettre le curseur sur les points faibles de l’adversaire plutôt que sur ses points forts est devenu une règle : « Vous connaissez l’adage, » Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose «. Si 1% de vos suiveurs doute, ce pour cent parviendra à en faire douter la moitié » , observe Henri Dupassieux, Xavier Dullin dans le viseur : « Il a une forme de campagne très agressive voire méprisante, il caricature les propos ». « Demandez donc à Xavier comment il avait vécu la campagne 2008 » , se justifie Aloïs Chassot, « c’était bien pire, les attaques portaient sur les familles, à l’ancienne, on laissait courir des rumeurs… » Lorsqu’on l’interroge, effectivement, le président de l’agglo évoque les prémices des actuelles joutes enflammées : « Louis Besson et sa descendance n’ont jamais accepté l’alternance après avoir été 25 ans au pouvoir. Il avait pourtant mis une empreinte forte sur la ville ». Il rembobine : « En 2001, je suis un candidat nouveau, donc un risque limité pour Louis Besson, je perds avec 86 voix de retard**. En 2008, Bernadette Laclais est investie, ils sortent l’artillerie lourde, en souvenir de 2001, la campagne avait alors été très dure, des membres d’équipes sont montés au créneau, des journalistes ont même affiché leurs partis pris. Par peur de perdre le pouvoir, ils avaient tapé fort ». La victoire de la candidate au bout du compte. « On préférera toujours descendre un programme plutôt qu’aller sur le terrain personnel » reconnaît Aloïs Chassot. « Nous, cela fait six ans que l’on se prend des attaques, que l’on subit l’agressivité des gens. Une fois, je me promenais avec ma femme, une cliente d’un magasin dit à voix basse » Tiens, c’est le salaud qui coupe les arbres «. Suffisamment fort toutefois pour que je l’entende. C’est le plus dur alors qu’on est tous engagés pour faire du mieux possible ».

Gérard Blanc porte un regard très critique sur les réseaux et leur utilisation.

Toutes les formes d’autorité sont prises à partie

Il faut reconnaître que les attaques, d’où qu’elles proviennent, quelles que soient leur forme, répondent aux attentes des gens, elles vont jusqu’à exacerber chez eux ce que Raymond Domenech appelait « l’odeur du sang » ***. « C’est de la politique-spectacle, pour attirer le citoyen, quelque chose de disruptif, qui casse les codes. C’est la fin de la sacralisation de la politique » , analyse Gérard Blanc. « Et puis on se dirige vers la violence quand on a des difficultés à exister via le contenu. Ce qui aboutit à des campagnes de forme, des castings. On voit des candidats engagés comme des sprinteurs dans leur couloir, il n’y a plus de débats contradictoires ». C’est bien là que réside le problème, le débat de fond a cédé face au poids du buzz. « Je remarque » , poursuit Marina Ferarri, « que tout ce qui représente une forme d’autorité – les policiers, les pompiers, les politiques… – est pris pour cible », comme si la chose était devenue une norme. « Par ailleurs, je vois aussi qu’aujourd’hui, tout ce qui est sur le net est pris pour vérité absolue et vous avez beau vous défendre… » Ainsi, le crédit est plus facilement accordé à celui qui frappe le premier au détriment de celui qui tente de se justifier.
En dépit de cette agressivité galopante, qui se vérifie à toutes les strates de la société, nombreux sont ceux qui voient cette campagne 2020 finalement assez sereine, « je la trouve même plutôt saine » , assure Henri Dupassieux. « Je la vois comme une campagne de dossiers » , renchérit Xavier Dullin, « en 2020, on s’en prend à des gros dossiers comme le parking Ravet. Projet qui avait pourtant été initié par ceux qui le dégomment, via le projet Chemetov**** aujourd’hui avorté, qui prévoyait un immeuble, à cet endroit, bien plus haut que ne le sera le parking. Je dois dire que je n’ai pas souvenir, lorsque nous étions dans l’opposition, d’avoir attaqué juridiquement un projet, jamais ! » « Nous sommes sur une ligne de crête, il faut faire attention à ne pas se laisser entraîner » , conclut Gérard Blanc. « Je ne sais pas si cette campagne est plus violente et agressive, mais plus sournoise et insidieuse, sans doute, ça procède à entretenir un climat général dégradé ».

* Ancienne ministre du Logement et ancienne secrétaire nationale d’EELV, Emmanuelle Cosse était venue soutenir le candidat Repentin, le 12 mars dernier, qui avait notamment signé le Pacte pour la Transition. La vidéo de l’intervention d’Emmanuelle Cosse est visible sur le profil Facebook de Thierry Repentin.

** 170 voix d’écart en réalité, Louis Besson avait obtenu 50,56% des suffrages (soit 7 659 voix) contre 49,44% à Xavier Dullin (7 489 voix).

*** L’ex-sélectionneur de l’équipe de France de football s’en était pris, en septembre 2008, après une victoire contre la Serbie, aux journalistes qui lui reprochaient une précédente défaite en match amical. « C’est l’odeur du sang qui vous intéresse » , leur avait-il dit, ces derniers étant venus en nombre lors de cette conférence de presse.

**** Il s’agit du grand projet d’aménagement des berges de la Leysse, initié par l’équipe menée par Bernadette Laclais, qui a progressivement été abandonné par la majorité Dantin, notamment à cause des finances exsangues de la ville.

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