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Thierry Repentin, l’impalpable

Par Jérôme Bois • Publié le 26/06/20

Taiseux, réfléchi, méticuleux voire anxieux – « mais pas par rapport à son propre sort » , dira l’un de ses amis -, des épithètes choisis. Ceux qui connaissent l’homme au-delà du politique tout comme par ceux qui ne saisissent que la personnalité publique plus que l’homme ont un avis ou un sobriquet à lui attribuer. De par son goût pour l’analyse et les choses bien faites, on comprend mieux alors pourquoi Thierry Repentin a tant fait tarder les choses, mettant en place une soigneuse stratégie avant de se lancer dans le grand bain électoral. Rompu à l’exercice, il n’en demeure pas moins « humain et sincère ». A l’extrême.
« Il a des qualités incontestables et possède une vraie présence politique ». La louange, quoiqu’un poil retenue vient de loin. Michel Bouvard, plus que disert sur Michel Dantin, avec qui il a démarré en politique, n’en demeure pas moins admiratif de la prestance de son challenger, qu’il fréquente au conseil départemental. Bien que dans le camp d’en face, bien qu’il n’en ajoute pas davantage, l’ancien sénateur reconnaît le charisme du candidat estampillé « gauche socialiste et démocrate » à la Région.
Les clivages politiques n’empêchent pas le respect même en période électorale ce qui est à noter. C’est dire si Thierry Repentin, le travailleur, impose la considération, a minima, le respect, à plus grande échelle. « C’est une chance pour le département d’avoir un personnel politique de bonne qualité » , soulignera – à raison – Michel Bouvard, noyant ainsi son appréciation de l’homme dans un éloge collectif de bon aloi. Qu’importe, parmi ses amis, ses collègues de gauche, de travail, l’unanimisme s’impose autour d’une personnalité que le public – et la presse – peine à percer.

Il évalue, analyse, soupèse

Pour nous autres, « plumitifs » transis d’aise face aux grosses révélations et abreuvés de scoops trébuchants, l’attente a été longue. En septembre 2019, son nom n’était plus seulement susurré mais réellement couché parmi les challengers officiels de Michel Dantin. Une évidence que la vox populi propagera à loisir. Au détour d’une interview, Thierry Repentin s’exprimera tel un candidat, évoquant le « projet » commun, la participation des gens à sa conception. Sauf que jamais il ne répondra à la question fatidique. Ira-t-il, oui ou non ? Une manière de tenir son auditoire en haleine (en alerte ?)… du moins le pensions-nous. « Il n’a aucune arrogance ni certitude, s’il se présente à une élection, c’est que l’équipe et le projet sont prêts. Il veut que ce soit la bonne ». Sa conscrite, Noëlle Aznar-Molliex connaît bien son petit Repentin illustré, rencontré une première fois alors qu’elle était encore journaliste pour le journal la Savoie, à Albertville. « C’était lors d’un voyage de presse à Bruxelles alors que Thierry Repentin était l’attaché parlementaire de Jean-Pierre Cot*. J’avais pu alors visiter le parlement européen, assister à des sessions ». Avant qu’il ne devienne le directeur de cabinet d’un illustre (le plus illustre ?) Chambérien, Louis Besson. « J’ai depuis gardé ce lien avec lui » , commente celle qui le côtoie au conseil régional, au sein du groupe « Socialistes et démocrates ».
« Il a besoin de sentir qu’il y a une équipe derrière lui, il prend son temps, il analyse » , renchérit Nora Segaud-Labidi, elle aussi membre du groupe au conseil régional et maire de Cran-Gevrier, commune fusionnée avec Annecy. Un sens tactique que lui accorde volontiers son grand ami, Jean-François Debat, maire de Bourg-en-Bresse : « Il a une grande capacité à évaluer les situations ». Et tant pis si ce masque de sobriété interroge. « Moi aussi, j’ai réfléchi avant de repartir pour un nouveau mandat » , concède Jean-François Debat, réélu au premier tour, « et c’est heureux car sinon, nous ne serions rien d’autre que des machines à partir en élections, ce que craignent les gens ». Ce qu’ils rejettent, aussi.

« Il a une vision… »

L’homme, donc, ne laisse rien au hasard. Ce n’est qu’en février qu’il tombera le masque. Officiellement s’entend. De septembre à février, des mois à attendre un signe. Méticuleux à plus d’un titre. Prudent, « il ne s’expose jamais pour rien » , insiste son ami. Approuvé, certifié. « Bien que raide dans le contact, ne vous y trompez pas, c’est un homme sincère » , insiste l’édile burgien.

(@Sergio Palumbo)
Tel est Thierry Repentin, impalpable, même pour ses collaborateurs toujours à l’affût d’un éventuel contre-pied de sa part. Eux aussi, colistiers et membres de l’équipe, auront eu à ccomprendre son fonctionnement, à composer avec « cette prudence qui est chez lui naturelle » , selon Jean-François Debat. Volontiers loquace sur l’aspect bon-vivant qu’on ne lui devine guère, il tempère ce côté austère, « en soirée, c’est la bonne humeur garantie, on ne s’ennuie jamais avec lui ». « Il a une façade empreinte de mystère » , ajoute Nora Segaud-Labidi « et pourtant je me souviens de notre première rencontre » , fatidique pour elle qui n’était pas encore entrée en politique. « Je travaillais pour la DDT de Savoie, à l’époque, avec des collègues, nous allions déjeuner à Chambéry-le-Haut, repas organisé par une association locale. L’occasion de connaître un peu mieux le quartier. J’ai discuté deux heures avec lui, puisqu’il s’est trouvé à côté de moi, sans même savoir qui il était. Nous avions parlé politique de la ville et de l’habitat avec passion ». Ces deux heures ont provoqué le déclic chez celui qui venait de réaliser un rapport parlementaire sur le logement social en France. Il glisse le nom de son interlocutrice d’un jour à Jean Boutry, maire de la commune de Cran-Gevrier, près d’Annecy et c’est ainsi qu’elle se joignit à lui… avant de devenir maire elle-même. « Aujourd’hui, on se voit à la Région, il reste attaché à certaines thématiques comme le logement, évidemment, qui lui tient à cœur ». Son côté taiseux ? « Il faut savoir dépasser cela ». Ses convictions sont nécessairement tournées vers l’autre. « Il est social, un type costaud, doté d’un grand sens des responsabilités » , nous expliquait Francis Ampe, maire de Chambéry de 1977 à 1983, dans ces colonnes. Jean-Benoît Cerino nous cédait également que ce goût des autres n’était pas forcément perçu du grand public, « est-il visible ? Je l’espère bien. ». Ainsi il n’a pas hésité à replonger, à ses côtés pour un nouveau tour de piste. « Il a une vision, c’est indéniable ». Un homme qui sait où il va, une fois que toutes les variables ont été couchées sur la table. « Je vous rappelle que se présenter à une élection revient à passer un contrat de mandature avec les gens » , suggère Nora Segaud-Labidi. Un contrat qui ne s’embarrasse d’aucune légèreté.

« Il n’a jamais été parisien »

Pour autant, bien qu’homme de gauche, il n’est pas le produit d’un créateur. Et qui dit gauche, à Chambéry dit Louis Besson, dont il a été le directeur de cabinet**. Néanmoins, non, il n’a pas été façonné, « ce n’est absolument pas un bébé Besson » , balaie Noëlle Aznar-Molliex, « bien qu’authentique homme de gauche ». Il se serait fait tout seul, au gré de ses convictions profondes, et de son engagement auprès des plus démunis. Et tant pis si ce côté hors-sol le dessert encore, parfois : « Il est allé à Paris, bien sûr, mais il a toujours gardé ce lien, cet attachement à Chambéry. Je me souviens que lors de la campagne des Régionales, alors que nous représentions la liste de Jean-Jack Queyranne en 2015, nous nous étions retrouvés sur les Hauts, il était arrêté toutes les cinq minutes. Il n’a jamais été parisien ». Fidèle, il se fendra d’un coup de fil après la défaite de l’élue aux municipales de 2014 à Albertville, « il a même été le premier à le faire ».  « C’est un provincial comme je l’étais » , rembobine Jean-François Debat, « issu d’un milieu modeste. C’est là que s’est forgée notre amitié de 20 ans. Il était déjà un cérébral aux convictions sociales chevillées, c’est un vrai humaniste dont les valeurs ne peuvent se traduire que dans le concret ». En somme, « il préférera réaliser 70% de son projet que zéro ». D’où cette inclination au compromis, aboutissant, par exemple, à un accord de listes avec Aurélie Le Meur, accord bâti dans la souffrance mais aujourd’hui solidement sur les rails. « Il sait être tactique si cela lui permet de construire un projet global. Il n’apprécie pas du tout ce qui est déséquilibré ».
Né à Saint-Jean-de-la-Porte, en Savoie, il y a 57 ans, il sera parvenu, au terme d’une évolution régulière, à passer du cabinet de Louis Besson au conseil départemental, à la présidence de Chambéry Métropole puis au poste de sénateur de Savoie. Avec l’élection de François Hollande en avril 2012, il devient ministre délégué à la formation professionnelle et à l’apprentissage (2012 – 2013) puis aux affaires européennes (2014). Ce retour, depuis, à la chose locale alors qu’il est toujours à la Région et au Département n’a pas manqué d’interpeller un Michel Bouvard, qui s’interrogeait sur l’image de l’homme politique de carrière, icône précisément rejetée en bloc par les Français, notamment ceux participant à ces listes citoyennes quelque peu « antisystèmes ». Président des autoroutes et tunnel du Mont-Blanc, il a même été attaqué sur ce paradoxe entre l’orientation écologiste de sa campagne et ce titre de noblesse dont il ne cesse de s’honorer.
Ce fut tout le travail de Thierry Repentin ces derniers mois, convaincre que derrière la stature du politique chevronné se cachait en réalité un authentique homme du peuple. Ce dont ses amis et suiveurs ne doutent pas***.

* Député européen entre 1984 et 1999, réélu deux fois. Il est le fils de Pierre Cot, ministre de l’Air et du commerce, conseiller départemental et député du Rhône et de Savoie entre les années 30 et 70.

** Directeur de cabinet de Louis Besson à la mairie de Chambéry, entre 1989 et 1995, l’actuel candidat y avait rencontré Jean-François Debat. Il entrera également au cabinet ministériel de ce dernier quand celui-ci devient ministre du Logement sous le gouvernement de Lionel Jospin.

*** Soutenu par de nombreuses personnalités politiques, Thierry Repentin a vu, ces derniers jours, Anne Hidalgo et Christiane Taubira afficher leur sympathie pour sa liste et son binôme, Aurélie Le Meur. « C’est un amoureux de la Savoie, un sentiment qu’il sait rendre contagieux » , s’exprimait l’ancienne ministre.

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