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Les opinions du Petit Reporter : deux poids, deux démesures

Par Laura Campisano • Publié le 28/07/20

Les faits divers se suivent et se ressemblent, peu ou prou. A en croire les « médias », il y aurait toujours un méchant et un gentil, de préférence des gens sans histoire qui tombent sous les coups d’un loubard au casier retentissant voire à l’identité douteuse. De toutes façons, le lecteur s’en fout, comme disait le loup à l’agneau, « si ce n’est pas toi, c’est donc ton frère. » 

Alors c’est un fait, les gens n’y connaissent rien, ou plutôt ils y connaissent ce que la presse veut bien leur dire, c’est-à-dire ce que des éditorialistes parisiens pensent que les gens comprendront, ce que des rédacteurs en chef pensent qui est « concernant. » En gros : du sang, du sale, du sensationnel, ce n’est pas la rupture de stock du Society dédié à l’affaire Xavier Dupont De Ligonnès (XDDL) qui me donnera tort. Donc, vu que les gens aiment ça, la presse donne ça. Mais la presse a une responsabilité et on en sait quelque chose. Elle ne doit pas juste vendre de bons papiers, elle doit aussi amener le citoyen à s’informer. Et il y a bien une chose qui est largement oubliée : choisir son angle, d’accord. Choisir ses sujets, bien sûr. Mais le faire partiellement, fausse bonne idée. 

C’est ainsi qu’au milieu de tous les hashtags de Twitter, deux sujets m’ont rendue dubitative, presque chafouine pour ne pas dire très agacée, il est assez rare que je sorte de mes gonds publiquement. 

Le premier, c’est le traitement médiatique de la nomination, des premiers pas et des prises de parole d’Eric Dupond-Moretti au ministère de la Justice. A bras raccourcis, et quels raccourcis ! A la limite, que des gens partagent ou non un enthousiasme débordant pour le personnage, après tout, on ne peut pas faire l’unanimité. Mais là, il s’agit bien de journalistes aussi professionnels que nous dans la forme, et aussi revanchards qu’un car de supporters du PSG un soir de défaite. Pas d’analyse de fond, pas de demi-mesure, pas de « on jugera les actes ». Grands dieux non ! D’abord on tacle, on clashe, on assassine, on s’égosille, on rapproche – tenez-vous bien – un ministre visé par une plainte au pénal de ce ministre-là, tout neuf, sans casier, sans affaire, sans vie politique, qui est issu de la vie civile comme on dit, simplement parce qu’il a exprimé une opinion contraire à un mouvement féministe. On lui reprocherait tout ce qu’il a dit, dans le contexte professionnel, jusqu’à sa première communion, s’il l’a faite en aube ou sans, on lui reprocherait même d’avoir été avocat et d’avoir exercé son métier comme un médecin sa médecine, en tenant compte de l’homme avant les faits. Des Une, que même Charlie n’aurait pas osées dans des quotidiens nationaux sérieux, pourtant. Il n’avait même pas encore parlé. Le remaniement de la « honte », ai-je lu, à son propos. Et il n’avait encore rien fait. 

Pas étonnant, donc, que lorsque le trompettiste Ibrahim Maalouf, a été définitivement lavé de toute accusation par la justice, aucun de ces mêmes tribunaux de papier n’ait pris la peine d’en faire une Une, alors qu’ils n’y étaient pas allés par quatre chemins pour bafouer sa présomption d’innocence et jeter le doute sur une potentielle culpabilité. Deux poids, deux dé-mesures, donc : si on commente le match aller, pourquoi ne pas se coller au match retour ? Parler des accusations contre le trompettiste, ça volontiers, mais dire qu’il a été innocenté ça non, c’est trop cher l’encre et le papier ? Quand Eric Dupond-Moretti aura réalisé ses premiers travaux en faveur d’une justice plus juste, y aura-t-il des papiers dithyrambiques pour dire ô combien il a bien travaillé ou bien continuera-t-on à le démonter, à le bannir, à lui chercher tous les maux de la terre, à user des « oui, mais »? Je ne comprends pas cette nécessité de titrer à charge, de donner une vision manichéenne de l’information, juste pour être dans le sens du vent. Que reprocher à quelqu’un qui fait ses premiers pas ? En quoi dérange-t-il à ce point qu’il faille à peine son nom prononcé, sortir les haches et les cris ? Si les journalistes en sont là, comment alors s’étonner que des gens jouent aux justiciers, réclament des noms à grand renfort de théories complotistes ? 

On ne pourrait pas, de temps en temps, se reposer pour réfléchir ? Laisser aux gens le temps de faire leurs preuves avant de les torpiller ? Garde des sceaux, ce n’est pas rien tout de même. Innocent, ce n’est pas rien, tout de même. L’affaire dite d’Outreau, l’affaire de Glasgow et du faux « XDDL », et tant d’autres encore, ne nous ont-elles pas appris à arrêter de nous emballer, nous qui devons informer le public ? N’est-il pas temps d’arrêter cette course au clic, pour faire du journalisme de qualité, histoire, peut-être, de donner l’exemple ? 


L.C.

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