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Aurélie Le Meur : « Je suis peut-être la cible des critiques parce que j’incarne la nouveauté »

Par • Publié le 31/08/20

Pour qui s’intéresse, même de loin, à la politique chambérienne, le nom de l’actuelle « super » première adjointe incarne autant la nouvelle donne sur l’échiquier politique que le ver dans un système qui ne se prête guère aux révolutions. La tête de liste de Chambéry citoyenne avait la dynamique du premier tour des municipales avec elle, promettait de renverser le système et d’impulser le changement, ces diverses volontés lui sont revenues au fil du temps à la figure, faisant d’Aurélie Le Meur la véritable cible des adversaires de Chambéry en commun. Ce qu’elle reconnaît. Ce qu’elle comprend. Ce qui ne l’effraie pas.

Aurélie Le Meur, première dame du conseil, une situation beaucoup critiquée.
On ne va pas se mentir, la question ne l’a pas surprise une seule seconde. Oui, Aurélie Le Meur se sait visée par les critiques et par les contempteurs de cette nouvelle donne faite de gauche, d’écologie, de citoyenneté et de changement. Elle sait, donc, mais s’interroge, « je ne sais pas pourquoi » , dit-elle, « je n’ai pas eu l’occasion d’en discuter ». Ni avec Thierry Repentin, son maire, ni même avec les membres de son équipe, sa première équipe, Chambéry citoyenne. « Je suis peut-être la cible parce que j’étais de l’alliance qui les a fait perdre » , lance-t-elle à l’intention de ses adversaires politiques, « j’incarne la nouveauté, Chambéry citoyenne a tout fait basculer. Sans nous, Michel Dantin l’emportait ». Si Aurélie Le Meur est sous les feux des projecteurs, c’est autant pour s’être placée là où personne ne l’attendait que pour ses propos sans détours sur cette gouvernance qu’elle souhaitait plus que tout renverser. On n’incarne pas le changement sans se faire des ennemis. Et dans son cas, ça remonte à loin. Retour avec elle sur les principaux points durs qui font d’elle une cible idéale.

1 Le pacte d’alliance

La fusion des listes menées par elle-même et Thierry Repentin a effectivement fait basculer une élection que peu de gens voyaient échapper à la droite. Les négociations d’entre-deux tours ont été âpres, trouver un langage commun était toutefois moins complexe que de le faire durer dans le temps, l’histoire le prouve. Mais le pacte d’alliance existe, bâti sur la base d’un intense travail de fond, et fait d’Aurélie Le Meur la femme forte du projet, une presque maire.  « Cette fusion est tout à fait sérieuse, sinon nous ne l’aurions pas faite. On a fait cette union et elle va tenir » , promet-elle. « Nous avions des programmes très proches ». Des sujets, comme Ravet, nous le verrons, ont nécessité d’accorder toutes les cordes pour que l’orchestre suive. Mais d’autres points ont vite fait l’objet de consensus : « Nous proposions de mettre 2 millions d’euros sur le schéma directeur cyclable, Chambéry en commun en mettait un, la majorité Dantin ne versait que 300 000 euros. Il n’a pas été difficile de s’entendre. Sur la restauration scolaire, nous souhaitions introduire du bio et du local d’emblée, eux l’envisageaient d’ici au terme du mandat. Là encore, il fallait fixer l’horizon , nous l’avons fait ».  Si le pacte d’alliance a abouti, c’est également parce que sa configuration détonnait : « Ce n’était pas une union classique car elle s’est construite sur du 50 – 50. D’ordinaire, l’un absorbe l’autre, et l’absorbé peut vite se faire balader. Nous avons clairement besoin l’un de l’autre, d’où le binôme que nous avons imaginé ». Le travail sur les programmes a donc été ardu, « on a tout épluché, nous avons créé dix groupes thématiques qui se sont réunis trois fois chacun » , avec pour conséquence un contentement le plus large possible. « Nous sommes en parité, personne n’a le sentiment de risquer de se faire manger par l’autre ». 

Avec Thierry Repentin, l’entente cordiale.
Pourtant, la dynamique, à l’issue du premier tour, était sienne. « Nous étions la surprise, l’équipe de Thierry Repentin s’attendait à plus » , reconnait-elle. L’ancien ministre disposait d’une équipe pourtant faite de sang neuf et de personnalités chevronnées (avec trois conseillers départementaux, notamment). « Nous étions la surprise mais n’avons fini que troisième » , tempère-t-elle, « il était donc difficile d’imaginer du 50 – 50, or, aujourd’hui, les premier et deuxième adjoints viennent de notre liste et nous disposons de 18 élus sur les 35 de la majorité. Nous avions fait ce qui était le mieux car il fallait gagner, alors que l’équipe de Michel Dantin était loin devant au 16 mars ». De quoi afficher un large satisfecit. « Choquée » par le mandat précédent, par cette majorité « qui n’était pas à l’écoute et qui a fait ce qu’elle a voulu » , elle aura cependant cette sortie pour le moins atypique dans le milieu si balisé de la politique, « je n’aurais pas aimé que Chambéry citoyenne ait 35 élu au conseil, c’est trop dangereux ». Elle s’explique : « La démocratie a besoin d’équilibres, aujourd’hui, nous avons trois blocs distincts, de 10 membres (la minorité), de 17 (Chambéry en commun) et de 18 (Chambéry citoyenne), nous trouvons cela plus juste. Pour aboutir à ce que l’on veut, il nous faudra être d’accord, il y aura donc du débat ». Un côté hors-sol qui ne peut que déplaire à un milieu qui aime à ne surtout rien changer. A l’intérieur, en tout cas, tout semble aller. « On se rejoint tous, il n’y a pas d’eau dans le gaz, pour le moment ». Pour le moment.

2 La double casquette

Ce mode de gouvernance, si étonnant, s’accompagne, depuis ce fameux 4 juillet, date de l’intronisation du nouveau conseil, de critiques et de quolibets de toute sorte. Aurélie Le Meur en concentre la plupart sur sa seule personne. Vice-présidente à l’agglomération en charge de la transition écologique, première adjointe aux compétences élargies à la commune, elle a vite trouvé de quoi s’occuper, diront ses détracteurs, en particulier pour quelqu’un qui animait une liste rejetant en bloc la verticalité de la gouvernance traditionnelle et le cumul. Pour mémoire, n’était-ce pas Michel Bouvard qui s’interrogeait, dans nos colonnes, la veille du second tour, sur cet attelage pour le moins original ? « Il y a le sujet de la perception des électeurs : ceux qui côtoient » Chambéry Citoyenne « sont un peu, pour schématiser, antisystème, opposés à un certain modèle d’action municipale. Quelle va être leur réaction alors que leur tête de liste est une émanation du système politique traditionnel ? Tout comme Michel Dantin, ils ont en commun un cursus politique traditionnel, ce que rejette » Chambéry Citoyenne« . A Grand Chambéry, c’est même la présidence que l’élue lorgnait. » Si j’avais gagné, je n’aurais pas cumulé avec la ville. Finalement, ça ne s’est pas passé comme cela. Je n’ai pas plus de pouvoir en qualité de première vice-présidence que les autres VP. Il était surtout important que j’aie un endroit pour agir« . Il n’a pourtant échappé à personne que les adjoints à la ville ont dû suivre le vœu de la majorité, de ne pas cumuler avec une vice-présidence. La démission d’Alain Caraco, VP en charge des transports, de son poste d’adjoint, validé le 31 août par le conseil, attestait de cette volonté de ne pas mélanger les genres… à deux exceptions près, Thierry Repentin (maire et VP) et, donc, Aurélie Le Meur. De quoi interroger, vu de l’extérieur. » Nous estimions qu’il était pertinent d’avoir des gens assez haut dans l’exécutif à plusieurs endroits« , une double exception validée en interne selon elle. » Je pouvais me rendre disponible, à titre professionnel, en réduisant mon activité, surtout que je ne cumule pas de thématiques équivalentes. Il n’y a donc pas de concentration dans les mêmes domaines «. Qui dit double casquette dit double indemnité, la voici par ailleurs assurée, en sa qualité d’adjointe » aux compétences élargies« , d’en percevoir une supérieure à celle offerte aux autres adjoints. » C’est critiqué, peut-être, mais je peux encaisser les coups« . Pour mieux faire passer la pilule à qui la digérerait mal, les indemnités allouées aux conseillers municipaux ont été augmentées, tous ayant une délégation, au moins. Les adjoints seront, eux, moins bien indemnisés que sous le mandat précédent et les conseillers municipaux également VP également. De façon à » ce que tout le monde soit impliqué« , confie-t-elle. » Sincèrement, si en termes de cumul je me limite à cette double casquette, ça va« . Attaquée par Aloïs Chassot, dans ces colonnes, qui lui reprochait ce » deux poids deux mesures « en matière de cumul, elle rappelle que lui » a été adjoint, à l’agglo et même attaché parlementaire« . Chambéry citoyenne voulait mettre un coup de polish sur le système, » si nous y sommes aujourd’hui, c’est effectivement pour le changer« , insiste Aurélie Le Meur. » On nous traite d’antisystème mais en réalité, nous sommes des antisystèmes assez gentils, nous voulons le faire évoluer dans une approche progressiste. L’exécutif doit être présent à l’agglo. A part les Chambériens, tous les vice-présidents sont des maires, on ne peut pas mettre Chambéry dans une autre situation, alors nous avons pris cette décision, c’est satisfaisant dans la répartition des rôles«.

3 Ravet, plus qu’un parking ?

Sujet des plus piquants, le parking Ravet arriverait volontiers en tête des emmerdements si un classement des plus longs fils à la patte avait été dressé. Sujet de cordiale mésentente entre les deux listes, avant la fusion, voici la majorité attendue au tournant sur les suites à donner à un chantier maudit. Sophie Bourgade, issue de la liste Chambéry citoyenne et adjointe, n’avait-elle pas déclaré, en mars dernier qu’ « avec nous, le parking ne sortira pas de terre » ? « Nous pourrions, si nous gagnons », avait suggéré Thierry Repentin en mai, « faire suspendre le chantier et négocier avec le délégataire », au moment où le duo tentait de convaincre que leur alliance n’était pas circonstancielle et que Ravet ne saurait être un point d’achoppement entre les deux parties. Car le maire actuel n’était, lui, pas fondamentalement opposé à du stationnement sur cette partie de la ville, sans doute pas de cette façon. « Chambéry devra vivre longtemps avec cette verrue » , assurait-il, parlant même « d’outrage » en évoquant l’ouvrage.  Toujours est-il que si Aurélie Le Meur ne cautionne pas tout à fait les propos de Sophie Bourgade, elle soutenait tout de même un mouvement radicalement opposé à la construction de Ravet, un positionnement qui lui est reproché et qui ne manquera pas de faire sourire si le parking voit bien le jour. « Nous avions pourtant été la seule liste à organiser un débat public sur ce point, en février 2019. Nous avions alors fait émerger des projets alternatifs, beaucoup de gens étaient contre le parking » , se justifie-t-elle, « mais beaucoup faisaient remonter la nécessité d’avoir du stationnement dans ce secteur. Si nous avions pu, nous n’aurions pas fait de parking à cet endroit ».  Désormais, alors qu’elle parle d’une seule voix, la majorité devra négocier avec Q Park – avec le binôme en interlocuteur et non Mareille Thievenaz, comme le certifiait Aloïs Chassot – et gérer au mieux l’argent public car tout arrêt ou modification du projet devrait coûter cher à la ville et la Cour des comptes ne l’autorisera pas. C’est pourquoi, en septembre, une concertation sera lancée, « elle sera encadrée, précise, nous en finalisons les enjeux et les scenarii possibles ». Impossible d’en savoir davantage, à cette heure, mais germe l’idée de « faire plus qu’un parking ». 

4 Le temps de la découverte

Une telle personnalité que celle d’Aurélie Le Meur dans un système aussi hermétique aux changements ne pouvait, on l’a vu, que susciter railleries et rejet. Pour elle, le fait d’être ciblé a valeur de test. « Je comprends que nos détracteurs se questionnent en nous voyant arriver, nous ne sommes pas habitués au jeu politique, ça brouille un peu les cartes. Déjà, avec Chambéry citoyenne, les acteurs de ce système voulaient nous mettre dans des cases ». Thierry Repentin étant, du fait de sa grande expérience politique, rompu à l’exercice, c’est sur elle que se concentreront les tirs ennemis.  Elle se dit prête mais se gardera de toute précipitation dans l’action publique. « Quand on veut faire bouger une collectivité de 2 000 agents, il faut bien réfléchir sur la façon de procéder. Nous découvrons la réalité des choses ». Elle, comme ses collègues, prendra le temps de faire les choses, ce qu’Aloïs Chassot avait égratigné, le 26 août : « J’ai remarqué, vous aussi peut-être, que l’équipe de Thierry Repentin aime prendre le temps de la réflexion, est très analytique. Or, le rôle d’un élu, ce n’est pas que ça, c’est aussi les poubelles, les trous sur la chaussée.Prenez six mois pour vous emparer des sujets, ça ne fonctionnera pas » . C’est peu dire que l’année a été tronquée, le rythme des choses ayant été altéré par un impondérable nommé Covid. C’est pourquoi les élus ont dû enchaîner, sitôt les élections terminées, avec la gestion du quotidien, sans pouvoir bénéficier de la pause estivale pour recharger les batteries. Or, ce souffle leur sera nécessaire pour aborder cette rentrée placée sous le signe de la crise. « Un séminaire d’élus sera, de fait organisé, à l’automne, après trois mois d’immersion dans la machine, nous avons besoin de reprendre du temps ensemble, du temps pour se comprendre, pour s’appréhender. Nous pourrons alors nous caler sur nos feuilles de route respectives et finaliser l’organisation qui sera la nôtre. Le calendrier, il est vrai, ne nous a pas aidé ». La cohésion ne saurait être un luxe quand pleuvront les coups. Car ils pleuvront.

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