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Chambéry : Jean-Olivier Viout sur la trace des grands procès d’assises savoyards

Par Laura Campisano • Publié le 03/08/20

Cent cinquante ans de grandes affaires criminelles, jugées aux Assises de la Savoie, relatées sur près de quatre cent pages sans doute lues d’un trait, par un public médusé, voilà ce que propose Jean-Olivier Viout, ancien avocat général, aux éditions La Fontaine de Siloé. Tout est local, l’auteur, la maison d’édition et les lecteurs. Et voilà bien ce qui fascine ces derniers : que des faits divers aient lieu en France les passionne, que cela se passe au coin de leur rue ou là où ils ont grandi, c’est plus qu’incontournable. Rencontre.
Passionnant et passionné, tels pourraient être les adjectifs les plus adéquats pour qualifier tant l’ouvrage que son auteur. Jean-Olivier Viout enfant du pays, procureur général honoraire et président de l’Académie de Savoie. Ses récits sont ceux d’affaires jugées publiquement, hors huis-clos, avec un souci du détail que seuls ceux qui l’ont vécu de l’intérieur peuvent expliquer. La cour d’assises, lieu de toutes les fascinations, est le théâtre des trente affaires criminelles qu’expose ici le magistrat, du début du XXe siècle à une époque très récente. Le livre vient de sortir, et ne manquera pas de trouver – et de conquérir – son public.
Quelle est la genèse de ce livre ?  Il y a deux ans, j’ai participé à une émission sur France Bleu en 2018, où je revenais justement sur les certaines grandes affaires criminelles savoyardes. Il s’agissait de chroniques d’été, avec leurs contraintes radiophoniques de temps. J’ai beaucoup souffert du chrono, c’est assez frustrant de devoir raccourcir son propos. J’aime donner les détails de chaque affaire, le regard des médias sur l’ambiance d’une audience… Là-dessus, on m’a suggéré de tout mettre par écrit, et je m’y suis mis, l’été dernier. 
A qui s’adresse cette passionnante fresque judiciaire ?  J’ai écrit ce livre pour le grand public, en retraçant les parcours criminels, sans entrer dans le débat judiciaire pur. Tout ce qui est écrit dans le livre a été publiquement débattu, les condamnations sont bien entendu définitives.
Une manière également pour le public de mieux connaître la Cour d’assises, institution sur la sellette actuellement, ce qui doit sans doute vous interpeller ? Je suis en effet très attaché au maintien des cours d’Assises. Je trouve cela choquant que l’on souhaite juger certains crimes, comme des viols, dans des tribunaux judiciaires sans jury populaire. Le jury populaire représente le peuple, il juge avec du bon sens. Ce n’est pas comme avant où c’était le maire qui désignait des notables du coin qui venaient à l’audience et regardaient le président avec des yeux ébahis. Les jurés qui siègent aujourd’hui, qu’on en soit sûr, on ne leur fait pas avaler n’importe quoi. Dès le début de ma carrière j’ai été impressionné par l’attention des jurés, leur conscience, leur volonté de collaborer à l’oeuvre de justice. 
L’objectif annoncé pour justifier la création des tribunaux judiciaires, était de désengorger les cours d’assises… est-ce si efficace que cela ?  L’expérimentation est loin d’être satisfaisante ! Vu les moyens dont dispose la justice, les procès criminels prennent autant de temps ! Allégeons la procédure ! Le jury criminel est une création de la révolution française, permettant au citoyen d’être directement associé à l’oeuvre de justice, la justice est loin d’être parfaite mais on donne au citoyen la possibilité d’y contribuer. 
A votre avis, qu’est-ce qui fascine le plus les gens, dans les affaires criminelles ?  Ce sont les gens qui basculent dans la criminalité, le franchissement de la norme, cela répulse autant que cela attire. Et la beauté du crime, pourquoi franchit-on l’interdit ? Comment quelqu’un qui est bien sous tout rapport franchit-il l’interdit ? 
Quelle est l’affaire qui vous a le plus marqué, parmi toutes celles que vous relatez dans le livre ? Sans doute le crime d’Annemasse*, parce que le récit de l’accusé était glaçant. Il a beaucoup coopéré en donnant de nombreux détails, notamment aux assises. Bien entendu, il y en a de plus anciennes, comme l’affaire de Gian Maria Spaggiari, en 1891 par exemple, qui a donné lieu à la deuxième exécution à mort de Savoie depuis l’annexion.
Ce livre n’est-il pas une manière de recréer un contact entre les gens et la justice ? Ne pensez-vous pas, à l’instar du nouveau Garde des Sceaux, qu’il faille enseigner le droit, l’institution judiciaire, dès l’école ? Il faut que les gens aient contact avec la justice. Quand j’étais encore en poste à Lyon, nous avons mis en place un programme intitulé « Boulevard National Justice » qui a duré une dizaine d’années. Une classe d’élèves de la 3e à la Terminale était invitée à assister à une audience correctionnelle durant deux heures. Un magistrat du ministère public recevait la classe au préalable, et en accord avec les magistrats du siège, le tribunal partait au bout de deux heures pour délibérer. Durant ce laps de temps, un autre magistrat interrogeait les élèves sur ce qui les avait choqué, sur les réquisitions, les peines proposées et celles qu’eux-mêmes auraient proposées. Et là il y avait un océan entre les très répressifs et les laxistes. A l’écoute des peines, on leur expliquait le pourquoi de la peine. C’était formateur pour nous, parce que cela renvoyait ce que la justice représentait pour le citoyen, et pour eux, parce que ça touchait à la difficulté de juger. 
Il serait salutaire de reprendre l’exercice, surtout à notre époque… Oui, pour expliquer au public que la justice n’est pas une vengeance, expliquer le principe du contradictoire, chacun a la parole et peut s’exprimer. Lui montrer comment le président doit gérer une affaire, et que le débat judiciaire est ordonné. Cela a duré dix ans mais compte tenu de la masse de travail, de la mobilisation d’énergie que cela réclamait et malgré les échos favorables des classes, ça n’a pas pu se poursuivre. 
Comment peut-on expliquer que la presse qui relate les affaires judiciaires soit si lue, ce qui n’est plus forcément vrai pour la presse plus généraliste ? Le récit des assises est interpellant. J’ai encore en tête la voix de Frédéric Pottecher, sur Europe 1. Il courait les cours d’assises, vivait l’affaire et reprenait les paroles des uns et des autres, notamment sur l’affaire Klaus Barbie**,  Les gens étaient accrochés à cela. Si l’on regarde aujourd’hui, l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès, ce qui passionne les gens c’est qu’il n’ait pas été retrouvé, que l’assassin disparaisse. 
Voyez-vous une différence entre les affaires criminelles d’hier et celles d’aujourd’hui ?  Les affaires d’hier étaient davantage des crimes d’honneur, là où les crimes sont purement crapuleux aujourd’hui. Ceux qui commettent des actes criminels perdent le contact avec la réalité, ils doivent trouver la parade, sont plus ou moins habiles…
Votre métier d’avocat général vous manque-t-il, parfois ?  Quand on est dans cette fonction, on sait que notre mission est de 7 ans non renouvelables, ce qui compte, c’est de rendre une copie propre. Il y a toujours une échéance à tout. Parfois, j’aimerais être de certains dossiers aux assises, c’est vrai. Ce qui m’a importé, au Conseil Supérieur de la Magistrature, c’était de former les parquetiers d’Assises, les avocats généraux. Leur enseigner le dialogue, la déontologie de la parole, respecter l’adversaire et l’accusé, y compris lorsque cela n’est pas réciproque, il ne faut pas hurler avec les loups. 
On imagine que le public sera nombreux à se presser à vos séances de signatures pour vous poser mille questions, avez-vous programmé de rencontrer les savoyards prochainement ? Le livre devait paraître quand le confinement a été ordonné. Nous avons donc décalé sa sortie mais l’été n’étant pas propice aux signatures, nous remettrons cela à la rentrée de septembre. (sans doute à la librairie Garin de Chambéry, NDLR)
* Septembre 2007, un tronc humain était repêché dans l’Arve. La victime avait disparu dix jours auparavant. L’enquête remontera jusqu’à l’un de ses collègues de travail, Karim Benderradji. Il prendra 30 ans, lors de son procès aux assises en octobre 2010.

** Jean-Olivier Viout était le procureur général (représentant de la société) lors du procès de Klaus Barbie, entre mai et juillet 1987. Ce dernier était jugé pour crime de guerre.

« A la barre des Cours d’Assises Savoyardes », 150 ans de grandes affaires criminelles. Aux éditions La Fontaine de Siloé . 19,90 euros

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