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Culture : pourquoi un tel désamour entre les Savoyards et l’art contemporain ?

Par Laura Campisano • Publié le 30/09/20

Les Savoyards détestent-ils tous l’art contemporain ? Après l’émoi provoqué par les bonbons de Laurence Jenkell l’an dernier à Chambéry, c’est cette fois d’Aix-les-Bains que les cris d’orfraie sont partis : une installation sur le Grand Port a rendu furieux des Aixois qui s’en sont donné à cœur joie sur les réseaux sociaux. Pourquoi l’art contemporain suscite-t-il tant de réactions négatives sur notre territoire ? 
Installée dans le cadre de la biennale de l’art contemporain à Aix-les-Bains, l’œuvre faite de bois et de couleurs face au lac du Bourget ne fait pas l’unanimité. Sur les réseaux sociaux, commentaires, moqueries et critiques vont bon train. Leur cible, une œuvre intitulée « le reflet » du sculpteur Wandrille Duruflé, intégrée dans la biennale de l’architecture disparue, événement aixois créé en 2016, afin de faire revivre des lieux désertés, en y exposant des œuvres contemporaines. C’est de cette idée de départ qu’est née la résidence d’artistes, déplaçant leur atelier dans la ville, comme ce fut le cas cet été avec les auteurs de l’exposition à venir à compter du 9 octobre. Menaces de destruction, appels en mairie, rendez-vous avec le maire pour faire retirer ce que les contempteurs appellent une « verrue », n’entachent néanmoins pas l’enthousiasme des artistes… dont l’exposition sera temporaire, tandis que le « solarium tournant » du docteur Jean Saidman, titre de l’exposition, a trôné à Aix-les-Bains durant 35 ans, de 1930 date de sa mise en fonctionnement, jusqu’à 1965 date de sa destruction par les élus de l’époque. De l’interrogation à la destruction, n’y a-t-il qu’un pas ?

« On n’impose rien, on joue sur l’apparition pour susciter la curiosité »

Nous avions déjà évoqué ce type de commentaires lors de l’exposition temporaire chambérienne « Candy » des bonbons de Laurence Jenkell en août 2019. L’artiste plasticienne, rendue célèbre notamment par les sculptures en résine et plâtre de bonbons géants, a exposé à Chambéry après Londres, Tokyo et New-York, entre autres. Mais l’exposition n’était pas au goût de tous, alors que l’artiste avait fait cadeau à la ville d’une sculpture (actuellement placée à côté de l’hôtel de ville, portant l’écusson Chambérien) et que le coût était relativement bas, tenant uniquement aux frais de transport des œuvres. La polémique a été telle que le bonbon de l’hôtel de ville a été vandalisé quelques semaines seulement après son installation. A l’époque, nous nous interrogions sur les raisons de cette véhémence à l’égard d’une exposition qui devait avoir pour but de faire rayonner la Cité des Ducs au-delà des frontières savoyardes. Rebelote cette année, avant même l’inauguration de l’exposition*, mais cette fois dans la cité thermale. Tout comme le « solarium tournant » d’origine, l’installation de cette œuvre a été pensée comme une « apparition » dans le paysage aixois, mais tout a été travaillé, pensé, imaginé des heures entières afin de créer un cadre au travers duquel apparaît un paysage changeant, des couleurs rappelant tantôt les variations d’un coucher de soleil, tantôt la ligne horizontale du lac…Faut-il davantage d’imagination ou une légende aux œuvres contemporaines pour qu’elles suscitent plus d’engouement que de critiques ? « Il est vrai que de premier abord l’œuvre peut paraître dissonante, par ses couleurs primaires, et puis petit à petit, si on s’approche et qu’on l’observe, on constate qu’elle a une vraie relation avec la nature, le paysage, par ses formes et ses couleurs », explique Anthony Lenoir, commissaire de l’exposition, « Wandrille Duruflé n’a pas conçu » le reflet » pour qu’il se fonde avec la nature. Au contraire, il lui a donné cet aspect monumental pour venir englober l’observateur, pour créer de petits cadres au travers desquels on peut voir différents pans du paysage. Nous ne voulions pas « imposer « cette exposition comme j’ai pu le lire dans les commentaires assez virulents contre notre travail, simplement susciter de la curiosité avec cette apparition, comme c’était le cas en 1930 quand le docteur Saidman a inauguré son solarium. » 

L’art nécessite-t-il – aussi – une pédagogie ? 

On peut au moins dire que c’est réussi, la curiosité piquée, 240 commentaires sous une publication sur le groupe Aix’Prim toi, dans lequel au-delà du sempiternel  « Donnez-moi des bouts de bois et de la peinture vive et je vais m’y mettre » qui crée des vocations chez de nombreux internautes quand il s’agit d’art contemporain, les menaces de destruction sont davantage prises au sérieux. « L’un des problèmes majeurs de l’art contemporain et de toute exposition dans l’espace public », poursuit Anthony Lenoir, « c’est que, alors que cela nécessite des connaissances, des clés de lecture, de la curiosité et un travail de volonté d’acquérir ces connaissances, c’est le » choc esthétique « : cela fait 70 ans que l’on fait croire au public que toutes les œuvres d’art sont accessibles sans un minimum de recherches. » Alors que l’exposition doit s’ouvrir du 10 octobre au 29 novembre, le maire reçoit déjà des « plaintes » de riverains, se voulant rassurant lors de la séance du conseil municipal du 29 septembre « Pour ceux qui ne goûteraient pas cette forme d’art, qu’ils se rassurent, l’exposition n’est que temporaire. » ajoute-il non sans malice. « Quand l’art fait réagir, c’est qu’il a rempli une partie de sa mission. » Pour autant, il en faudrait plus pour dissuader les membres de l’Association à l’origine de cette biennale  « Notre travail c’est de ne rien lâcher sur ces question, je pense que c’est une petite minorité qui s’exprime sur les réseaux sociaux », tempère Anthony Lenoir, « ces œuvres présenteront pour le plus grand nombre a minima un désintérêt, au mieux, un intérêt sur la sensibilité, nous faisons un véritable travail de pédagogie des sculptures, nous continuerons à faire les choses, conscients que le temps sera peut-être long pour continuer à intéresser le plus grand nombre. »Pourtant, à chaque édition de la biennale, et « jusqu’il y a trois semaines on ne notait pas de désamour mais plutôt de la curiosité. » En moyenne, les expositions de l’association « Solarium Tournant » attiraient entre 600 et 1 500 visiteurs, principalement pour les lieux désertés, rouverts pour l’occasion, comme le fumoir du Grand-Hôtel ou les thermes Pellegrini. PourIsabelle Moreaux-Jouannet, adjointe à la culture à Aix-les-Bains, c’est avant tout une question d’ouverture, de tolérance quant aux formes d’art que l’on ne comprend pas. Cette curiosité, toujours, qui semble manquer au temps de l’immédiateté, de l’instantané et surtout, de la cancel culture, qui part du principe que ce qui ne plaît pas ou disconvient doit être détruit… C’est à cela que sert la pédagogie, y compris dans l’art. En novembre, à Aix-les-Bains, l’art contemporain cédera sa place au street-art. Gageons que la pédagogie aura, d’ici là, porté ses fruits. 
Exposition Biennale de l’Architecture disparue Chapitre 1 Le côté ombre 10 octobre – 29 novembre 2020

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