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Les opinions du Petit Reporter : les germes de la destruction

Par Jérôme Bois • Publié le 23/10/20

On ne pourra pas dire qu’on ne l’avait pas vue venir. Cette nouvelle déflagration qui vient d’ébrécher le bouclier de nos libertés, que l’on pensait naïvement inébranlable et surtout réactivé après le Bataclan et Charlie, nous a heurté comme rarement. Bien sûr, elle n’a été qu’une étape de plus dans la litanie d’atteintes à quelques-uns de nos droits fondamentaux, en plus d’avoir montré à quel point nous nous étions bercés d’illusions en croyant à un après plus radieux, suite à ces sinistres moments. 

Cette fois, c’est un professeur qu’on a assassiné ! Celui qui fut, jadis, le phare dans la nuit, le clocher du village, réduit depuis longtemps, dans l’imaginaire collectif, au rang de petit fonctionnaire sans courage, tatillon sur ses salaires et jaloux de ses congés. Et voici qu’après le drame, la France entière s’est soudainement rappelée au bon souvenir de cette noble profession pourtant si chahutée, raillée, discréditée. La même France qui s’était amourachée de ses professionnels de santé au mois de mars. Une nouvelle fois, il a fallu qu’un tragique événement vienne nous agresser jusque dans nos salles de classe pour que resurgisse un ersatz d’union sacrée, au demeurant jamais durable. 

Monsieur Paty, comme devaient l’appeler ses élèves, est aujourd’hui érigé en symbole de la République, la cérémonie de la Sorbonne, le 21 octobre au soir, confirmant cette propension bien française à célébrer en grandes pompes ses martyrs et héros de guerre. Fort bien. Parallèlement ont fleuri les initiatives visant à donner son nom au collège dans lequel il officiait. Les marches, les rassemblements, les marques de soutien, les pancartes « je suis prof » et toutes les manifestations suintantes d’émotion ont resurgi et ça aussi, c’est bien. On sait faire. Montrer son émotion plutôt que de la vivre, brandir le poing devant son clavier et derrière un écran, menacer à mots découverts mais à visage dissimulé, on sait bien faire.

Seulement on ne combat pas le séparatisme, l’obscurantisme, l’islamisme le plus cristallin avec des mots durs, de vaines menaces et de longs pleurs. Il est temps de montrer de quel bois se chauffent les Français, ceux qui ne veulent plus se planquer, ceux qui veulent défendre leur droit à rire, ricaner, pouffer au détriment des religions, comme surent le faire, avec plus de véhémence et de talent que nous ne saurions dire, les Desproges, Coluche, Cavanna, et même avant les Voltaire et autres Emile Zola, aimables, joyeux et parfois brutaux pourfendeurs de l’habit religieux, d’où qu’il vienne. 

Ce ne sera pas simple. Le journal la Nouvelle République a été contraint de déposer plainte contre ceux qui s’étaient élevés, menaces de mort à l’appui, contre la Une du 18 octobre, présentant une caricature de Mahomet à l’origine diffusée par Charlie Hebdo. Des profs, sous couvert d’anonymat, n’ont pas manqué de fustiger l’attitude de Samuel Paty, coupable à leurs yeux d’avoir révélé des caricatures au regard chaste de ses élèves. Sans parler de ces milliers de jeunes qui, en classe, dénoncent les sempiternelles « ignominies » du journal satirique et justifient sans se cacher le massacre qui eut lieu en janvier 2015… Ou des réseaux sociaux tout-puissants aussi pertinents lorsqu’il s’agit de vous tracer pour de la pub que légers pour repérer les abonnés menaçants. Que dire de ces récupérateurs politiques cyniques, harangueurs de foule à grand renfort de propos démagogues ? Que penser de ceux qui disculpent, absolvent, détournent le regard ? Que faire de cette administration qui se préparait à sévir contre ce professeur sous la pression de quelques familles ? Un cirque obscène. Ils ne valent guère mieux que ceux qui portent le fer. Ils sont tous aussi les germes de la destruction. L’ombre grandit en se repaissant de l’inaction des gens de bien. 

L’émotion a pourtant vécu. Les tirades larmoyantes doivent cesser, le courage ne se mesure pas au mètre de signes sur un écran, ni même à la qualité du vocabulaire utilisé. Des premières réponses, concrètes, sont apparues, des groupements et associations prétendument de lutte contre l’islamophobie, dont les discours n’étaient plus en totale adéquation avec leurs actes, vont être dissoutes. Des étrangers fichés pour radicalisation vont être expulsés, des imams sont montés au créneau afin de venir renforcer cette lutte contre ces germes maléfiques. Nous y sommes. Des actes. Seront-ils seulement suivis ? Ou ne seront-ce que des effets de manche destinés à apaiser la foule en transe, avide de sang et de justice sauvage, le temps d’une colère, froide, qui succède à l’affliction première ? Nous devons être intransigeants, de nos élus à nous-mêmes, citoyens, nous devons être l’union sacrée. Nous tous sommes les gardiens des valeurs de cette République qu’ils sont nombreux à vouloir voir tomber.

J.B.

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