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Manuel Munoz, juge d’instruction : « nous ne sommes pas là pour faire plaisir aux gens »

Par Laura Campisano • Publié le 27/10/20

On connaît l’intitulé du métier au travers des reportages télévisés, des séries et des affaires médiatiques, toutefois peu savent véritablement en quoi consiste la fonction de juge d’instruction. Manuel Munoz, qui occupe ce poste au Tribunal judiciaire de Chambéry, nous a ouvert les portes de son cabinet d’instruction. 
Devenir magistrat n’est pas un choix de carrière anodin, qui se fait à la légère sans connaître les contraintes et les désillusions qu’une telle fonction peut comporter. D’autant qu’on ne sait pas tout de suite quelle fonction de la magistrature on va être amené à occuper au cours d’une carrière. A sa sortie de l’école nationale de la Magistrature (ENM) Manuel Munoz a passé trois années au parquet, avant d’arriver à Chambéry, dans l’un des deux cabinets d’instruction du Tribunal judiciaire, le seul pôle d’instruction criminelle du département de la Savoie. 

« Il ne s’agit pas de faire des coupables ou de faire des innocents »

Métier largement fantasmé que celui de « magistrat instructeur » en charge des dossiers criminels, principalement à Chambéry, puisque Manuel Munoz est l’un des deux juges chargés de mener les enquêtes criminelles pour arriver à la manifestation de la vérité, selon l’expression consacrée. Un poste délicat, qui a maintes fois été menacé de disparition. « Le positionnement du juge d’instruction est particulier, il mène une enquête, dirige une instruction et met en accusation, et pour cela il bénéficie d’une totale indépendance. » Indépendant donc puissant, car le juge d’instruction ne répond d’aucune directive hiérarchique, et à part la chambre de l’instruction, personne ne contrôle ses décisions au cours d’une procédure. Ce qui a donc conduit certains à vouloir le faire disparaître, et d’autres à protester énergiquement contre sa suppression. « Il y a des jours avec et des jours sans », sourit Manuel Munoz, « mais je ne vis pas mal ma fonction, je sais pourquoi je suis là et pourquoi j’ai choisi cette profession. Toutefois, c’est plus difficile à l’instruction, parce que toute la difficulté réside dans le fait que nous ne sommes pas là pour faire plaisir aux gens. Nous ne sommes pas des machines à créer charges et décharges, il ne s’agit pas de faire des coupables ou des innocents. » Le juge n’a pas d’intérêt à tirer du résultat d’une affaire, si ce n’est celle de se rapprocher le plus possible de ce qui sera la vérité judiciaire, si mal perçue du public.  « Nous partons toujours d’un point de vue qui est une vérité personnelle, et je ne m’interdis aucune question sinon elle sera forcément posée à l’audience, à raison. Que ce soit pour la personne mise en cause ou pour les parties civiles, les questions ne sont pas là pour les valoriser, mais pour aboutir à comprendre ce qu’il s’est passé. » poursuit-il. Abondamment décriée dans une société où immédiateté devrait rimer avec efficacité, Manuel Munoz sait que la fonction de juge est mal comprise par l’opinion. « Ce n’est que de la souffrance à tous les stades de la procédure, tous subissent la violence de la procédure. Quand je travaillais à Draguignan, dans le contentieux routier et notamment dans des cas d’homicides involontaires, nous expliquions aux personnes concernées les raisons pour lesquelles le dossier était classé. Gérer l’insatisfaction des gens fait partie de notre métier, nous ne sommes pas là pour la créer, mais pour l’expliquer. » souligne-t-il, posément. Pourtant, peut se faire sentir une certaine forme de pression, celle criante et débordante sur les réseaux sociaux de trouver des coupables et de les « pendre haut et court » sans autre forme de procès. Une pression qui n’atteint pas le juge chambérien « Je ne vis pas sous pression, la seule que je connaisse c’est celle que je me mets moi-même », tempère-t-il, « la réponse pénale apportée à un dossier est neutre de toute pression ou influence médiatique et ce quelle que soit cette réponse. Le rôle de l’institution est de répondre. Si l’instruction n’avance pas, il faut le dire, accompagner les gens, c’est toujours plus agréable d’avoir quelqu’un qui nous prend en charge, surtout dans des affaires de crimes de sang. » D’autant qu’il est une constante, celui du schéma institutionnel de la justice française : une infraction, une réponse pénale, des enquêteurs qui mènent l’enquête, un procureur qui décide de renvoyer ou non devant le tribunal. Mais encore faut-il avoir envie de comprendre ledit système.

« La justice pénale a besoin du temps de la réflexion »

L’un des reproches les plus courants que l’opinion publique oppose à la justice est qu’elle est à la fois lente et laxiste. Lente, d’abord, avec des procédures qui, selon où l’on se place, semblent interminables. Il y a une réponse à cela « la justice pénale a besoin du temps de la réflexion », expose Manuel Munoz, « parfois, les parties civiles aussi ont besoin de temps, pour prendre du recul, sur les faits qu’elles dénoncent. » Mais il y a aussi, le temps de l’enquête, la recherche d’indices, la vérification, les confrontations et interrogatoires, les reconstitutions, les analyses … Tout s’explique, donc. Laxiste, ensuite, avec des peines de sursis quand la vox populi attendrait du ferme. « Le problème vient déjà du fait que le sursis soit considéré comme laxiste. Ce n’est pas rien d’avoir une peine au-dessus de la tête ! » rappelle le magistrat, « à l’instruction c’est la même chose : vous portez une vérité personnelle, et vous attendez une réponse. Mais jusqu’à la fin on ne peut pas prédéterminer l’issue du dossier. On doit tenter jusqu’au bout de trouver avec les éléments dont on dispose, que la vérité judiciaire se rapproche le plus possible du vécu. Nous ne sommes pas dans la tête des gens et les gens sont comme ils sont, avec leurs difficultés personnelles, culturelles, leurs fragilités sociales. On ne peut pas rester sur l’image qu’ils veulent donner d’eux, ils ont droit de mentir comme de ne pas répondre aux questions. »Pourtant, à en croire les commentaires des citoyens sur les affaires criminelles, le juge devrait deviner si la personne qu’il a en face de lui ment, s’il est l’auteur, en somme, s’il a une « intime conviction ». Or, c’est tout l’inverse que doit suivre un magistrat, selon Manuel Munoz, « si on a une idée préconçue, on risque de la suivre et de rater des éléments. On doit envisager toutes les pistes, il faut être capable de dépasser l’idée que l’on se fait d’une situation, d’un dossier. L’instruction doit être confirmée par des preuves, il faut qu’il y ait des charges suffisantes pour qu’à l’audience, le tribunal ou la Cour d’assises puisse condamner. » A l’inverse, si rien ne tient, si les charges sont faibles ou que les zones d’ombres sont plus importantes que les zones de certitude, si les éléments manquent pour asseoir une culpabilité, le rôle du juge d’instruction est aussi de le dire, et de clôturer un dossier. Quand bien même, hors des murs du Palais de justice, l’opinion puisse penser que cela est injuste. Sur quel fondement ? Non pas la loi, plutôt les fuites dans des procédures balbutiantes, comme on a pu le voir par exemple dans l’affaire retentissante du « Carlton » de Lille où des procès-verbaux d’interrogatoires entiers ont atterri dans la presse locale, ou par ailleurs, quand des « informateurs proches des dossiers » lâchent des éléments dont les internautes sont friands.

« La règle d’or pour un juge d’instruction, c’est la discrétion »

Ces fuites, que l’on voit de plus en plus parsemer les réseaux sociaux et la presse, comment les expliquer ? « La règle d’or pour un juge d’instruction, c’est la discrétion. Le principe, c’est le secret. Mais identifier le communicant est compliqué. Le procureur est le seul habilité à s’exprimer, surtout sur les dossiers médiatiques. Dans les articles que je lis, qui concernent des dossiers que je suis, j’apprends parfois des choses qui n’existent pas du tout. Tout cela est en plus ravivé par les réseaux sociaux… » Sous les feux des projecteurs lors du départ de l’enquête concernant Nordhal Lelandais, le cabinet qu’occupe aujourd’hui Manuel Munoz a en effet fait parler de lui dans la presse locale. Problème, après la mise en examen d’un suspect, son placement en détention ou non, qui n’est pas décidé par le juge d’instruction mais par le juge des libertés et de la détention, est débattu au cours d’une audience… publique. Aussi, si le huis clos n’est pas réclamé par le procureur, tout le monde peut avoir accès aux informations, en étant simplement dans la salle. C’est parmi d’autres, l’un des facteurs qui rend le secret de l’instruction, jadis bien gardé, presque désuet à présent alors qu’il permettait d’éviter la déperdition de preuves, les attaques à l’encontre du mis en examen, voire de faire cesser le « trouble à l’ordre public », encore plus à l’heure de l’hyper-communication. Derrière les procédures, derrière les justiciables qui défilent, tous avec leur histoire dans son cabinet, qui se présentent comme ils le souhaitent, sous le jour qui leur est – pensent-ils – le plus favorable, demeure chez Manuel Munoz cette envie qui le pousse à poursuivre son action à « faire quelque chose d’utile, tant que je serai motivé à faire cela, je poursuivrai. » conclut le juge, « il faut aussi être capable d’admettre qu’on peut se tromper, et d’en tirer quelque chose. » 

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