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Politique locale : quel est le rôle des minorités au conseil municipal ?

Par Laura Campisano • Publié le 07/10/20

Chaque séance de conseil municipal est généralement assaisonnée de quelques remarques, petites piques voire interventions préparées d’avance émanant de petits groupes d’élus, appelés tantôt d’opposition, tantôt de minorité. Ils sont ceux qui ne font pas, par définition, partie de l’équipe majoritaire portée par les citoyens à la tête d’une commune, adversaires de campagne, forces politiques opposées voire dissidents comme nous avons pu le constater avant les municipales de mars et juin 2020. Mais quel est leur rôle, exactement ?
Les élections permettent de rebattre les cartes dans les exécutifs municipaux, confirmant parfois les uns ou les propulsant dans le camp adverse. Quoiqu’ils en soit, siègent au conseil municipal des hommes et des femmes ayant recueilli des suffrages et devant délibérer sur des dossiers pour l’intérêt collectif. Pour autant, tous n’ont pas le même rôle : si d’un côté, la majorité a le « dernier mot », connaît les dossiers dans le détail, les élus de la minorité ne représentent pas le contre-pouvoir qu’ils souhaiteraient incarner. Quand l’opposition systématique peut parfois desservir le travail municipal, on peut s’interroger sur le rôle qu’ils doivent jouer.

Garde-fou, contre-poids et co-construction

Aucun des élus de minorité que nous avons interrogés, de toutes tendances politiques, ne nous a répondu de manière catégorique qu’être dans l’opposition signifiait de faire barrage aux projets de leurs collègues de la majorité. Pour autant, ils n’ont pas forcément tous les mêmes attributions dans leurs conseils respectifs. A Barberaz, Nathalie Laumonnier s’est vue proposer une délégation par Arthur Boix-Neveu, alors qu’ils ne siègent pas du même côté de l’assemblée. Un signe d’ouverture que l’élue, précédemment dans la majorité, bien que partie en campagne de manière indépendante aux dernières municipales, salue bien volontiers. « C’est la première fois que je me trouve dans la minorité », explique-t-elle, « avec une particularité, celle d’avoir une délégation au handicap et à la transmission de la mémoire, sur proposition du maire. C’est un signe d’ouverture, une vraie volonté d’échange avec la minorité, je le reconnais. Cela se concilie très bien avec mon indépendance, dans l’intérêt général des préoccupations des habitants. Être dans la minorité ce n’est pas forcément toujours dire non. » Un point que rejoint d’ailleurs Yannick Boireaud, conseiller municipal à La Ravoire, de la liste Eco-Existons. « Le rôle de la minorité dépend de ce que la majorité propose », expose-t-il « dans notre programme nous souhaitions revaloriser les élus des minorités, qu’ils soient reconnus. Ce n’est pas vraiment le cas actuellement à La Ravoire, c’est plutôt un recul*. On peut travailler dans les commissions, être constructif, proposer des choses, mettre en avant certains points. Nous votons rarement contre les délibérations au conseil, mais nous souhaitons néanmoins représenter une alternative au groupe majoritaire pour les citoyens. » C’est aussi ce que souhaite Marina Ferrari, qui après avoir quitté la majorité en décembre 2019, a fait campagne et obtenu suffisamment de suffrages pour siéger sur les bancs de la minorité aixoise. «Une des vertus cardinales de la minorité, c’est qu’elle incarne le pluralisme politique », expose-t-elle, « nous sommes une sorte de » garde-fou «. Les Aixois ont voté pour nous, nous apportons d’autres idées, pointons ce qui va bien et ce qui ne va pas également. Cela demande plus de travail pour aller chercher les informations et se faire entendre, pour que tous sachent qu’une autre voix que celle de la majorité est possible. » 

« Il faudrait changer de modèle » 

Si à Chambéry, la nouvelle majorité a prévu d’élargir les réunions précédant les conseils à l’ensemble des conseillers municipaux, délégués ou non, afin que tous puissent s’exprimer, qu’à La Biolle, Julie Novelli ait décidé de réduire son indemnité de maire pour que les élus d’opposition puissent percevoir une rétribution, force est de constater que pour le moment, les élus de minorité ne sont pas particulièrement associés aux grands projets d’envergure, consultés avant les conseils, destinataires des communications internes, ou même invités à visiter les chantiers en cours. Pour quelles raisons ?« Si tout est ouvert à l’opposition, les élus minoritaires vont connaître beaucoup de choses, s’opposer plus facilement, c’est le jeu démocratique. » avance Aloïs Chassot, ex-adjoint de Michel Dantin, actuellement dans l’opposition chambérienne. « Concernant la consultation sur le chantier de Ravet, nous l’avons découvert à la réunion publique. La majorité dit souhaiter nous associer, certes mais c’est juste pour donner notre avis, sans avoir travaillé en amont sur des sujets précis. Nous sommes disponibles pour intégrer des groupes de travail » appuie-t-il. « C’est le système du pouvoir français qui veut ça », souligne Yannick Boireaud, « il attribue les pleins pouvoirs à ceux qui ont gagné les élections. Telle est la vision actuelle de la démocratie sous la Ve République. Avant le conseil, le groupe majoritaire se met d’accord sur les projets. » « Quand on est dans la majorité, on tient une ligne, on est raccord, si on ne l’est pas on prend ses responsabilités et on s’en va » renchérit Marina Ferrari. Mais ce n’est pas pour autant que la voix de la minorité a le pouvoir de faire basculer le vote, ou de changer les aspirations de la majorité. « Notre prise de parole ne fait pas évoluer le vote », confirme Aloïs Chassot, « c’est un rôle ingrat, si on maîtrise certains sujets au début, sur la durée on ne les connaît plus. Quand on est dans la majorité, on est convaincu que le projet que l’on porte est le bon, l’opposition est là pour mettre en avant les moments où la majorité dévie du programme sur lequel elle a été élue. Si la majorité est assez intelligente pour prendre de la hauteur, elle comprend que si la minorité pointe un sujet, il faut le retravailler. Dans les petites communes, les gens sont obligés de travailler ensemble, dans les grandes communes, cela n’est pas permis. Il faudrait changer de modèle, pour suivre celui de Shawinigan au Québec, par exemple : pour une ville de la taille de Chambéry, ils sont quinze élus, ils sont obligés de travailler ensemble. Le modèle français est tel qu’il est, on s’adapte. Mais si on mettait quinze élus à temps plein, qu’on les rétribuait correctement, ce serait plus équitable, et un vrai travail commun. »Dans un système où les étiquettes comptent encore – alors que l’échelon local devrait les voir disparaître, puisque le maire élu est selon la formule consacrée, « le maire de tous les habitants de la commune » – il semble qu’il y ait encore beaucoup à faire pour qu’évolue le modèle. Si la loi du 27 février 2002, prévoit à l’article L2121-27-1 du Code général des collectivités territoriales la libre expression des élus de minorité dans le bulletin municipal ainsi que l’octroi d’un local en mairie, l’indemnité du travail de ces élus n’est pas obligatoire. En 2008, le Parlement réuni en congrès a élargi les pouvoirs concédés aux groupes minoritaires dans l’hémicycle, en inscrivant dans la Constitution un nouvel article 51-1 permettant d’accorder des « droits spécifiques aux groupes d’opposition et groupes minoritaires. » Plus récemment, la loi « engagement et proximité » du 27 décembre 2019 a permis au maire d’accorder une indemnité aux conseillers municipaux délégués, ainsi que la prise en charge des frais de garde des personnes à charge durant les réunions obligatoires. Ainsi, si les élus d’opposition sont élus par les habitants, qu’ils représentent une partie de l’électorat, et qu’ils attendent de leurs représentants des réactions vis-à-vis des propositions de la majorité, peut-être le temps est-il venu de les faire participer aux projets, sans crainte d’une perte de pouvoir… 
* Lors du conseil municipal d’installation de la nouvelle équipe à La Ravoire a décidé de supprimer les indemnités versées aux conseillers municipaux de minorité. Lire notre article du 11 juillet 2020

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2 commentaires

Unknown

07/10/2020 à 13:27

Excellent article du PETIT REPORTER - Le Petit Reporter - ayant pour ma part connu les 2 cotés Minorité et Majorité. Les 2 sont riches d'expériences.

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gerard Blanc

08/10/2020 à 05:34

Pourquoi les majorités ne permettent-elles pas aux minorités de proposer des projets de délibérations dans les odj des conseils municipaux, comme pour les "niches" parlementaires à l'Assemblée et au Sénat (NB niche = mot au double-sens révélateur !) ?
Une indemnité - même modeste - pour les élu.es minoritaires devrait être la règle, pour reconnaître le travail effectué et les frais de mandat induits, et pour respecter de manière équitable tous les électeurs.trices qui ont choisi leurs représentants (majorité comme minorité). Supprimer cette indemnité lorsqu'elle existait est une grave régression démocratique et un mauvais signal.
De son côté, la loi électorale pour les municipales accorde une prime majoritaire excessive de 50%, qui écrase trop la représentation des électeurs "minoritaires", et ne pousse pas les majorités à rechercher des consensus avec leurs minorités. Et cette loi amplifie encore cet effacement des minorités lors de la désignation des délégué.es au conseil communautaire. Vous pouvez représenter 40% des électeurs et n'avoir aucun des 4 délégué.es de votre commune !

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