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Un maire de l’Yonne autorise ses commerces non-essentiels à ouvrir et ouvre le débat chez des élus de Savoie

Par Jérôme Bois • Publié le 30/10/20

Migennes, petite bourgade de 7 300 âmes, a fait parler d’elle jeudi 29 octobre ; son maire, François Boucher, s’est élevé à sa façon contre les mesures gouvernementales visant notamment à fermer tous les commerces non essentiels. Une discrimination qui va, selon lui, à l’encontre du principe d’équité prévu dans le code du commerce. Le voici soutenu par beaucoup de monde, commerçants, opinion publique et élus. Jusqu’en Savoie ? Ils sont nombreux à s’interroger sur sa démarche et jugent le fond comme la forme. 
On a d’abord cru à un énième fake comme Facebook sait les produire et les diffuser. Ceux qui sont un jour tombés dans le panneau du CHU de Nantes en mal de sang ont vu venir ce document à des kilomètres. Un maire, François Boucher, premier édile d’une commune de l’Yonne, qui prend un arrêté autorisant l’ouverture des commerces dits non essentiels. Partagé en masse, ce document est déjà devenu, en 24 heures à peine, un best-seller. Ce n’était pas un faux. Un coup d’œil sur le site de la commune de Migennes clôt le débat : en tête de l’actualité locale, l’information selon laquelle les commerces « non alimentaires » sont tous, sans exception, autorisés à ouvrir. Sur arrêté du maire. Au motif que « les rayons non alimentaires et non essentiels des super et hypermarchés ne sont pas fermés » , que « cette non-fermeture entraîne une rupture d’égalité entre GMS et commerces non alimentaires » , que « cela crée une pratique déloyale » , indique l’arrêté (lire ci-après). Ainsi a-t-on vu apparaître des saillies anti-grandes et moyennes surfaces (GMS) ou anti-Fnac, autorisées à vendre de tout, tout le temps, au détriment des petits commerçants. Pendant que les fermetures s’enchaînent, certains élus agissent.

« Comment avez-vous été mis au courant de notre arrêté ? »

Difficile de joindre François Boucher, forcément enseveli sous les sollicitations : des collègues, des médias, des habitants. Depuis, les communes de Decize, dans la Nièvre, de Chalon-sur-Saône, en Saône et Loire, de Perpignan, dans les Pyrénées orientales et de Brive la Gaillarde, en Corrèze, ont embrayé. De l’Yonne, on s’étonne encore de l’impact de cet arrêté. « Comment avez-vous été mis au courant ? » , nous interroge-t-on. Le bouche à oreille, Facebook est maître dans l’art. « On ne s’attendait pas à ce buzz » , avoue Mme Fauconnier, directrice de cabinet du maire de Migennes. Et personne n’a rien vu venir. « Ça ressemble à de la communication, il officialise son point de vue à travers ce document, que le Préfet ne tardera pas à casser » , explique Brigitte Bochaton, maire de Jacob-Bellecombette, il en a le pouvoir. « C’est un coup de com’ » , insiste Jean-Claude Croze, son collègue de Brison-Saint-Innocent, « mais sa démarche pose de vraies question ». En approfondissant la discussion, il s’avère que cette démarche n’est pas seulement une tentative de com’. Elle devrait même aller beaucoup plus loin. « C’est un fondement que nous allons attaquer » , reprend la directrice de cabinet de François Boucher, « car nous ne sommes pas d’accord avec les décisions du gouvernement. L’égalité entre les commerces est inscrit au code du commerce, ces décisions ne sont pas légales ». 

Migennes, ville de 7 300 habitants dans l’Yonne.

Mais de quelles décisions s’agit-il ? De celles prévues par le décret du 23 mars 2020, avec quelques aménagements*. Seuls un certain nombre de commerces pourront rester ouverts durant la période de confinement, à compter du 30 octobre minuit. Au grand dam de ces commerçants jugés « non essentiels » , ces coiffeurs, vendeurs de vêtements, fleuristes, libraires tandis que les GSM continueront de s’assurer un train de vie confortable. « Dans notre département, nous n’avons toujours pas vu passer d’arrêté confirmant ces dispositions, or le maire demeure le premier édile dans sa ville » , poursuit Mme Fauconnier. « C’est possible que l’arrêté municipal soit cassé mais sachez que cette décision de M. Boucher a été prise en dialogue avec le Préfet de l’Yonne ». Depuis ce 29 octobre, les soutiens affluent, « Strasbourg, Lille, Nevers, des communes de Gironde, du sud de la France… Tous en accord avec le principe d’égalité de traitement entre les commerces » , conclut-elle.

« C’est bien qu’il y ait ce genre de signaux »

Et en Savoie, quel écho trouve cette initiative ?  « Vous tombez bien, » sourit Yves Durbet, président de la fédération des maires de Savoie, « j’ai été interpellé par plusieurs collègues maires qui trouvent la directive de l’Etat inégalitaire et injuste. J’ai donc pris attache avec le Préfet, les parlementaires et les ministres concernés pour leur faire part de ces remontées ». Seulement, « je n’irai pas aussi loin que M. Boucher, car il y a des commerces, comme les bars, les restaurants où la maladie peut se propager, ce qui n’est pas le cas d’un libraire, d’un fleuriste ou d’un marchand de chaussures. Je suis totalement d’accord avec l’inégalité de traitement, c’est sûr ». 

François Boucher, maire de Migennes.
Il s’en trouve par ailleurs qui adhèrent pleinement à cet arrêté municipal. A Brison Saint-Innocent, le maire va également réagir comme il avait, jadis, réagité au sujet des compteurs Linky, via un arrêté qui n’a toujours pas été contesté depuis : « Je vais saisir le président de Grand Lac, Renaud Beretti, et Laurent Wauquiez, président de la Région, il faut aider ces commerces comme nous avions aidé les restaurateurs et hôteliers car il va y avoir des laissés pour compte. La stratégie à suivre devrait être diffuser la foule plutôt que la concentrer dans des grands magasins ». Jean-Claude Croze reconnaît que la démarche de François Boucher est bonne, sur le fond comme sur la forme. « La question est de savoir si le maire est un commis de l’Etat ou s’il dispose encore de son libre-arbitre. Nous sentons, à notre échelle, des choses qu’on ne ressent plus une fois qu’on est à Paris. C’est donc bien qu’il y ait ce genre de signaux envoyés par la base. Nous écoutons, sans être électoralistes, et vivons la réalité du terrain. Ce que fait Boucher est légitime ». Reste à savoir si un mouvement plus large peut s’agglomérer, à l’échelle nationale par exemple. « Un mouvement d’opposition nationale peut naître en effet, car ce maire a eu le courage de soulever un problème » , renchérit Yves Durbet, il nuance toutefois, « obtenir gain de cause sera difficile et long ». 

Ne pas entrouvrir la porte à l’anarchie

« Moi je ne me serais pas exprimée de cette façon, on doit respecter les décisions de l’Etat même si elles n’ont pas de sens. Pour lui elles ont un sens ». Mais Brigitte Bochaton espère bien que l’AMF va fédérer un mouvement de fond car en définitive, elle se dit en accord avec cette initiative migennoise. « Ma certitude, c’est que personne ne sait, sur ce virus. Il semble davantage se propager dans la sphère familiale, nous autres, maires, vivons au jour le jour. Adaptation et souplesse, nous n’avons pas le choix ». Un fatalisme qui tranche avec le ras le bol affiché par Arthur Boix-Neveu, maire de Barberaz : « C’est dégueulasse mais pas étonnant, il faut avant tout sauver les grands groupes du CAC 40. Quand Emmanuel Macron dit ne vouloir stigmatiser personne, refusant du coup de ne confiner que les personnes à risques, c’est irrationnel ! » Mais il partage avec sa collègue de Jacob-Bellecombette la même obligation, celle de se plier aux règles : « Nous sommes tout de même délégués de l’Etat. Et je ne vois pas comment M. Boucher pourrait y arriver, une fois que le Préfet sera intervenu. A-t-on besoin, dans cette période troublée, d’un contentieux avec l’Etat, au tribunal administratif ? » Moins virulent que son compère barberazien, le maire de Chambéry, Thierry Repentin, a annoncé, le 30 octobre, son intention de prendre contact avec le ministre de l’économie, Bruno Le Maire pour lui rappeler à quel point l’inégalité prévaut dans cette affaire.Le président de l’Association des maires de France de Haute-Savoie, Nicolas Rubin, se montre, lui, beaucoup plus tranché : l’arrêté de Migennes constitue la voie vers l’anarchie : « En matière de santé publique, je ne conçois pas qu’il puisse y avoir de la cacophonie là où la solidarité et l’effort dans l’action doivent être indiscutables. Il y a malheureusement des commerces essentiels et les autres, il faut, face à cela, s’accorder de transiger. Comment pourrions-nous à l’échelle du territoire national établir des règles » à la tête du client « quand la France est fortement impactée par l’évolution du virus ? Je pense que ce genre d’initiatives sera annulé ». Sinon, on entrouvre la la porte à l’anarchie, conclut-il.Et l’on ne pourra que regarder des commerces tomber.

L’arrêté du maire de Migennes, signé le 29 octobre 2020.

* Voici la liste des commerces autorisés à ouvrir selon le décret du 23 mars. – Entretien et réparation de véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles– Commerce d’équipements automobiles– Commerce et réparation de motocycles et cycles– Fourniture nécessaire aux exploitations agricoles– Commerce de détail de produits surgelés et d ‘alimentation générale– Supérettes– Supermarchés– Magasins multi-commerces– Hypermarchés– Commerce de détail de fruits et légumes en magasin spécialisé, de viandes et de produits à base de viande en magasin spécialisé, de poissons, crustacés et mollusques en magasin spécialisé, de pain, pâtisserie et confiserie en magasin spécialisé, de boissons en magasin spécialisé– Autres commerces de détail alimentaires en magasin spécialisé– Les distributions alimentaires assurées par des associations caritatives– Commerce de détail de carburants et combustibles en magasin spécialisé, de détail d’équipements de l’information et de la communication en magasin spécialisé, de détail d’ordinateurs, d’unités périphériques et de logiciels en magasin spécialisé, de détail de matériels de télécommunication en magasin spécialisé, de détail de matériaux de construction, quincaillerie, peintures et verres en magasin spécialisé– Commerce de détail de textiles en magasin spécialisé, de détail de journaux et papeterie en magasin spécialisé, de détail de produits pharmaceutiques en magasin spécialisé, de détail d’articles médicaux et orthopédiques en magasin spécialisé, de détail d’optique, de détail d’aliments et fournitures pour les animaux de compagnie, de détail alimentaire sur éventaires et marchés, sauf décision contraire des préfectures, de détail de produits à base de tabac, cigarettes électroniques, matériels et dispositifs de vapotage en magasin spécialisé– Vente par automates et autres commerces de détail hors magasin– Hôtels et hébergement similaire, à l’exclusion des villages vacances, maisons familiales et auberges collectives– Location et location-bail de véhicules automobiles, d’autres machines, équipements et biens, de machines et équipements agricoles, de machines et équipements pour la construction– Activités des agences de placement de main-d’œuvre et de travail temporaire– Réparation d’ordinateurs et de biens personnels et domestiques, d’équipements de communication, d’équipements périphériques, d’équipements de communication– Blanchisserie-teinturerie, de gros, de détail– Services funéraires– Activités financières et d’assurance– Commerces de gros fournissant les biens et services

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