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Alexandre Jardin : « Pour lutter contre la peur, il faut d’abord rallumer les lumières et affirmer nos valeurs »
Par Laura Campisano • Publié le 09/11/20
Écrivain, acteur de la vie citoyenne, Alexandre Jardin relaie et est signataire d’une tribune pour sauver le monde du livre de la fermeture dont il fait l’objet depuis le début du second confinement. Homme d’engagement, il a pris position, dans les colonnes du Point, pour expliquer son refus de la peur qui domine en France, sans nier l’importance de la maladie, qui a emporté l’un de ses proches. Ce sont le courage, des valeurs et des lumières qu’il s’emploie à rallumer.
Nul ignore les engagements citoyens d’Alexandre Jardin : ses essais « laissez-nous faire, on a déjà commencé » et « révoltons-nous », sa candidature à la présidentielle de 2017 mais aussi ses actions au quotidien, avec « Bleu Blanc Zèbre », « lire et faire lire », ainsi que ses réalisations de documentaires pour Arte, auprès d’hommes et de femmes engagés… Dans la période qui nous occupe tous, nous avons souhaité comprendre de quelle manière il était encore possible d’espérer, quand tout semble incertain.
Hasard du calendrier, nous commémorons aujourd’hui le 50e anniversaire de la disparition de Charles de Gaulle ; que symbolise cette date, pour vous, en ce moment ?
« Nous sommes dans une période absolument folle, où les logiques de peur sont en train de dominer. Le gouvernement français prend le risque d’introduire un virus terrifiant dans une société, la peur. Or, la fonction première d’un gouvernement, c’est de donner du courage ! Charles de Gaulle était un impacteur de courage. Il n’était pas guidé par sa peur ! Pendant la crise des missiles de Cuba en 1963, lorsque l’ambassadeur russe était venu le menacer dans son bureau, il lui a répliqué qu’ils mourraient ensemble, il n’a pas fait évacuer les familles du tout-Paris !
Que faire selon vous, pour garder du courage ?
Il faut déjà commencer par rallumer la lumière, il faut affirmer nos valeurs. On ne peut pas lutter contre quelque chose d’extrêmement compliqué en étant contre nos valeurs.
C’est le constat que vous faites, en observant la politique en ce moment ?
Nous avons affaire à des trouillards, qui courent des risques juridiques Quand on voit que l’on poursuit nos politiques, pendant cette crise, le risque est qu’ils prennent des décisions protectrices pour eux, pas pour nous ! L’ancien premier ministre Edouard Philippe en a parlé devant le Parlement d’ailleurs.
Concrètement, qu’êtes-vous en train de faire pour « rallumer la lumière »?
Nous avons lancé un appel ce 9 novembre*, avec l’ensemble de la filière de l’édition, des auteurs, et des libraires. L’objectif est d’avoir des mesures nettes et précises. Le clic and collect ne représente que 12,5% du chiffre du secteur, on va les tuer si on poursuit de cette manière. C’est du « moins pire », pour assassiner, cela ralentit l’agonie. On voit là une idée qui ne correspond pas à la réalité. C’est pourquoi progressivement, nous sommes en train de mettre en place une résistance de l’industrie culturelle. Nous n’avons pas un gouvernement si homogène que cela… Il faut relayer partout notre appel !
« Le problème, c’est l’Etat central »
D’autant que la population ne comprend plus les injonctions venues de l’Etat, et commence à se lasser du traitement de la crise, à tout point de vue…
Il n’est pas possible de réduire la politique française à une lutte contre un virus, cela relève de la folie ! Les effets secondaires politiques ne se feront pas attendre. Cela ne peut pas être l’alpha et l’oméga de notre politique. On a beaucoup de mal à raisonner quand on est guidé par la peur, la parole publique devient absurde et le sommet de l’absurdité a été franchi avec l’interdiction de vente de livres. Faire du livre un objet interdit à la vente, ce n’est pas une politique digne de la France.
Comment se sortir de cette sorte de cacophonie ambiante, selon vous ?
D’abord, nous devons apprendre à vivre avec le virus, collectivement. Ensuite, il faut arrêter cette politique de stop and go et arrêter que tout se décide à Paris ! On ne peut pas laisser des ronds-de-cuir piloter la réalité française ! Dans les communes, les maires partagent de bonnes pratiques, ils savent mieux où c’est dangereux ou non pour leur population. Le problème c’est l’Etat central ! Un élu local, même s’il n’est pas parfait, il trouve des solutions dans l’intérêt économique de son territoire, sans pour autant sacrifier la sécurité.
Est-ce à eux, les élus locaux, que vous faites référence en disant que « le Président doit tendre la main au monde du vivant » ?
Oui, les vivants, ce sont d’abord les territoires ! Un maire ne va jamais prendre une décision qui soit contraire à sa population. Il faut faire confiance au territoire. Emmanuel Macron conserve la possibilité de se réveiller, de revenir à ses propres valeurs, c’est un homme de lettres et j’espère de tout mon cœur qu’il va revenir à ce qu’il est. Nous n’avons pas de droit moral sur la culture, nous sommes ses héritiers, elle ne nous appartient pas ! Les gouvernements sont temporaires, la culture était là avant nous. Je ne suis pas loin de penser que mettre à mal la culture est une faute morale.
L’espoir est-il encore permis ?
Il ne faut pas baisser les bras, il n’en est pas question une seule seconde ! Il nous faut procéder étape après étape, remettre de la raison, engager un processus vivant et sérieux. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter le discours du Pape François, « n’ayez pas peur », ce qui est notable de la part d’un mec qui s’est formé sous les bombes et a été jeune prêtre sous Staline «.
* Ce communiqué a rassemblé les grandes enseignes de l’édition et de nombreux écrivains (lire ci-dessus). Il explique que ces enseignes sont disposées à adapter l’accueil réservé au public aux réalités sanitaires en échange de la possibilité de rouvrir leurs portes.
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