Près de cinq mois après son installation, la majorité de Thierry Repentin et d’Aurélie Le Meur est dans le dur à plus d’un titre, confrontée aux impondérables sanitaires, économiques, sociaux et attendue de pied ferme sur des sujets locaux brûlants, comme le stade et Ravet. Attaquée de toutes parts, elle n’aura jamais bénéficié de l’état de grâce qui sied d’ordinaire aux élus nouvellement sacrés. Ces attaques sont-elles pour autant justifiées alors que le contexte empêche la bonne mise en route de son programme de campagne ?
Finalement, l’état de grâce n’a-t-il pas duré le temps du nuit, d’une seule grosse nuit de célébration ? Même pas, dans la nuit du 28 au 29 juin, l’heure n’était pas à la fête, nous fit-on alors remarquer, mais à l’anticipation des emmerdes à venir. Dès le lundi 29, les primo-élus étaient sur le pied de guerre. Nous sortions tout juste d’un confinement doublé d’une campagne électorale des plus nerveuses, il fallait songer à l’après, sans savoir si la crise allait repointer le bout de son nez ou non. Les équipes ont bûché durant l’été, elles se sont remises au boulot à la rentrée après deux courtes semaines de vacances avant d’être rattrapées par la crise, plus violente, plus assommante, plus déprimante encore que la première*. « L’effet crise dure… » souffle Aurélie Le Meur, première adjointe, « on n’est pas au maximum de notre potentiel de fonctionnement, ça se ressent forcément » , reconnaît-elle. « Notre programme était ambitieux et devait répondre à de nombreux enjeux majeurs, suscitant beaucoup d’attente. Il faut nous laisser faire ». Sauf qu’en face, ce temps de mise en route, on estime en tout opportunisme qu’il a bien été consommé.
« Je leur dis qu’il est temps de se mettre au boulot »
Un rapide coup d’œil à nos e-mails et nous sommes frappés par le nombre de communiqués émanant de groupes politiques adverses : Cap à gauche, très critique, la République en marche, via Christian Saint-André et même, au sein de la minorité, Philippe Cordier, également LREM, sans parler du collectif pro Ravet, tous les opposants à la majorité semblent s’être donné le mot, tous font feu de tout bois, comme pour affaiblir une bête en gestation. « C’est vrai que je n’ai pas le souvenir que la majorité précédente ait vécu cela, peut-être que tout le monde n’a pas encore digéré la défaite ou accepté notre victoire. Peut-être que le caractère inédit de notre liste, à 50/50, avec une gouvernance nouvelle, bicéphale, ajoute de l’incompréhension auprès de nos opposants politiques ». Pour Aurélie Le Meur, on vivrait presque un syndrome bien connu en sport, celui de l’insupportable « petit nouveau qui dérange ». « Pas étonnant, dès lors, que chacun y aille de ses revendications. 1 500 agents municipaux à conduire dans une nouvelle direction, ça ne se fait pas comme ça » , insiste-elle, alors qu’un (ou une) directeur général des services est attendu pour début janvier. La nouveauté a possiblement aiguisé les rancœurs mais pas que. Pour Philippe Cordier, dernier arrivé dans la minorité** et auteur d’un communiqué, 13 novembre, le problème vient de la sensation d’inertie qui se dégage du conseil depuis son intronisation. « Ma logique ne consiste pas à tirer à boulets rouges sur cette équipe mais à lui envoyer un signal d’alerte. Je leur dis qu’il est temps de se mettre au boulot ! Il faut agir, des dossiers ne peuvent plus attendre ». Le stade, notamment, Ravet, évidemment… « C’est une nouvelle équipe, normalement, elle devrait crouler sous un trop-plein d’idées et de projets, au lieu de quoi, on voit de l’indécision et des atermoiements. Mettons-nous et mettez-vous au travail ! » Le « mauvais » signal envoyé par la mairie en annulant la tenue du conseil municipal du 16 novembre, celui qui devait présenter le projet définitif de Ravet, a ajouté de l’incompréhension et du ras-le-bol à ce constat général. « La phase de concertation a été utile mais pas tout à fait transparente » , rembobine l’élu, « et l’impact financier a tardé à être dévoilé. Avançons sans perdre de temps ! » Un constat valable pour le stade : « Ce sujet devrait faire consensus mais il n’y a pas d’impulsion. La question du trou à combler est un prétexte et un alibi, il faut une volonté claire et nette pour mener à bien ce projet ». Fermez le ban. « Ce sont des dossiers complexes » , lui répond la première adjointe. « Ravet, c’est décidé, ce sera annoncé très bientôt. Quant au stade, le financement n’est pas bouclé, nous devons trouver 7 millions d’euros. Il y a eu des dérapages sur ce dossier, ça peut arriver au fur et à mesure de l’avancement d’un dossier, on l’a vu avec la piscine. Nous avons fait un état des lieux, il manque 7 millions ». Pas moins. Et tant pis si de son côté, le SOC Rugby s’impatiente… Pour mémoire, le 19 octobre dernier déjà, Christian Saint-André (soutenu par En Marche lors des élections municipales) avait « tiré la sonnette d’alarme » : critique sur les gros enjeux mais aussi à l’encontre des cumulards, ceux « qui cumulent les cumuls ». L’ancien candidat a promis qu’il aurait son mot à dire, il n’aura attendu que trois mois pour porter l’estocade. Et En Marche n’était pas le seul.
Manque de clarté et inertie
Dans un communiqué, en date du 2 novembre, Chambéry cap à gauche s’indignait des incendies et actes d’incivilités qui avaient émaillé la vie locale des Hauts de Chambéry. Après avoir vertement critiqué « six années de politique de droite » , le groupe, anciennement élu, réclamait de l’action de la part de la majorité nouvelle : « Elle doit sans tarder prendre ses responsabilités, définir clairement quelle est sa politique pour les quartiers populaires, et agir rapidement » , affichait Guy Fajeau Une fois encore, un souci de clarté et d’inertie mis en cause. Sur Ravet, le 13 octobre, ce dernier se faisait déjà incisif : « Certes, le nouveau maire de Chambéry, ayant stoppé dès son installation la progression de ce parking monstrueux, a lancé une concertation dont il aurait été de bon ton de se réjouir. Sauf que les engagements de citoyenneté consciente, participative et active pris devant les électeurs ne sont, pour l’heure, pas tenus ». Les chiffres des surcoûts (nous étions en phase de négociations entre Q Park et la mairie) n’avaient pas été rendus publics. « Pour le maire, si l’on parle de chiffres, l’on ne parle plus du projet lui-même. Pour la première adjointe, l’attendu est l’avis des gens sur la conception, le fonctionnement. Est-ce à dire que les citoyens ne sont pas capables de s’emparer du sujet dans toutes ses dimensions ? Le financement complémentaire est annoncé par le maire comme sans impact pour les impôts des chambériens. Mais il ne sera pas sans impact sur les finances communales, ni sur le quotidien des gens. Et encore moins sur la maîtrise par la collectivité de ses choix de gestion de ce service public. La nouvelle gouvernance de la cité n’a pas jugé utile de mettre tous ces paramètres à l’usage de l’intelligence collective : étonnant, non ? »
« On cherche à tester notre résistance mais nous restons sur notre ligne de conduite »
Dernièrement, c’est même le mouvement citoyen qui a appelé la majorité (dont son émanation locale, Chambéry citoyenne, constitue la moitié de l’effectif) à « prendre le temps de la participation citoyenne avant de statuer définitivement sur ce sujet. Co-construire les projets municipaux d’importance en incluant les élus, les services, les citoyens, les habitants et les usagers est un engagement des élus de l’actuelle majorité. Le mouvement citoyen du Grand Chambéry affirme qu’il est grand temps de tenir cet engagement ». Le groupe a donc pris l’initiative, le 13 novembre, de conduire un débat public autour du stade faute d’une initiative de la mairie. Octobre et novembre auront donc été sans pitié pour les 35 élus majoritaires. Que déduire de tout cela ? Que la municipalité tâtonne, qu’elle est attentiste, indécise, inerte ? « La légitimité des urnes est indiscutable » , explique Philippe Cordier, « la majorité a été élue, certes, avec un électeur sur six, à elle désormais de mettre sa politique en œuvre. Nous avons lancé une alerte, parce qu’il est temps d’avancer sans perdre plus de temps, afin de mettre un terme aux ambiguïtés et aux contradictions ». Des accusations dont se défend la première adjointe : « Nous réinventons la façon de faire, nous sommes, à ce jour, opérationnels, mais nous vivons une période de crise ponctuée de sujets cruciaux comme le stade et Ravet. On cherche à tester notre résistance c’est intéressant de susciter de l’intérêt et des questions. Est-ce une mise à l’épreuve ? Pour nous, pas de problème, on reste sur notre ligne de conduite. Certes, on ne peut pas lancer notre projet comme on le souhaiterait et en face, il y a un espace médiatique à occuper ».Le 14 novembre, dans nos colonnes, Sabrina Haerinck évoquait les difficultés à travailler dans le même sens lorsque les personnalités viennent d’horizons différents : « Nous avons chacun un parcours, voire un parcours politique différent, ce qui forcément, crée un débat, mais c’est bon signe pour la démocratie. On ne peut pas toujours être d’accord sur tout ! Au sein du mouvement citoyen, tous les avis étaient écoutés et respectés, nous essayons de faire la même chose au sein de la municipalité. Alors c’est sûr, ça ralentit peut-être le process, la mise en place de certaines choses, mais cela fait avancer les idées que nous portions jusque-là ». Des ralentissements de processus provoqués par la recherche de consensus, ce qui n’a pas manqué, par ailleurs, de faire naître bien des rumeurs de dissensions, dont ce sont emparés avec gourmandise ces divers opposants. « Des rumeurs d’effritement de la majorité, oui, j’en ai entendu parler » , sourit Aurélie Le Meur, « ça leur donne encore plus envie de s’exprimer, notre liste est en questionnement permanent, ils ont envie que ça se fissure. Finalement, ça ne fait que nous renforcer dans notre démarche, nous mettons en place notre pacte de gouvernance avec 35 élus impliqués. Nous débattons, entre nous, c’est sain » , conclut-elle. C’est le prix de la nouveauté que d’être attendu de pied ferme.
* Aurélie Le Meur avait expliqué la marche à suivre, durant l’été, pour l’ensemble des élus, dans un entretien paru le 31 août : « Un séminaire d’élus sera, de fait organisé, à l’automne, après trois mois d’immersion dans la machine, nous avons besoin de reprendre du temps ensemble, du temps pour se comprendre, pour s’appréhender. Nous pourrons alors nous caler sur nos feuilles de route respectives et finaliser l’organisation qui sera la nôtre. Le calendrier, il est vrai, ne nous a pas aidé ».
** Suite aux départs, courant octobre, de Xavier Dullin, Michel Dantin et Guy-Pierre Martin.
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