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Culture et confinement : quand la musique se tait

Par Laura Campisano • Publié le 23/11/20

Les confinements se suivent mais ne se ressemblent pas. Cette fois, le travail et l’école étant toujours en fonctionnement, on entend moins la nature reprendre ses droits, on n’entend plus d’applaudissements aux fenêtres pour les soignants et l’on s’y perd entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est temporairement plus. Mais une différence de taille se fait entendre : le silence musical. Plus de concerts philharmoniques en visio des orchestres du monde entier, plus de live chaque semaine d’artistes depuis leur salon. A force de ne pas parler d’eux dans les allocutions et les points d’étapes officiels, on finit par ne plus les entendre du tout. Comment vont les artistes ?
Personne n’avait pensé qu’un second confinement allait être mis en place cet automne, nul n’imaginant revivre une deuxième vague de la crise économique de ce printemps, quand tout était à l’arrêt. Les artistes non plus, si impatients de reprendre la route, la scène, le micro et la guitare, après de longs mois à décaler les dates et à reprogrammer leurs concerts. Pour ceux qui disposent du statut d’intermittent du spectacle, même si le statut a été reconduit jusqu’au 31 août 2021, il n’était pas non plus gagné de réussir à s’organiser économiquement et familialement, la grande majorité partageant ce statut avec leurs conjoints. Du vague à l’âme à la colère, ce deuxième confinement aura eu la peau de leurs micros.

« Même avec la gnaque, le cœur n’y est plus »

Stéphane et Sylvain, de Blackstage
Non-essentiels, c’est ainsi que les artistes de la scène culturelle locale se sentent étiquetés. En les contraignant à arrêter leur métier, c’est leur art qui a le blues. Difficile sans savoir de quoi demain sera fait, de pousser les meubles du salon pour se remettre à chanter. Pour qui ? Pour quoi ? Puisqu’il ne leur est même plus possible de répéter ensemble. « On n’a plus envie, on ne voit pas l’intérêt de faire des live sans aucune perspective de reprise des concerts », soupire Stéphane Col, dont le groupe emblématique Blackstage a dû cesser séance tenante, concerts, répétitions et enregistrements. « Au premier confinement, nous savions que nous reprendrions le travail quelques mois après, c’était une manière de garder le contact avec le public. Là, on nous a proposé de jouer pour une association, pour la radio, j’ai décliné. Non seulement nous ne savons pas quand nous allons reprendre, mais surtout où ? Vu la situation des gens qui nous accueillaient d’habitude, les bars, les restaurants… Alors je fais un peu de publicité pour eux, c’est la moindre des choses pour ceux qui nous faisaient jouer, j’essaie d’aller prendre des plats à emporter chez chacun d’eux et de le faire savoir sur les réseaux sociaux. Il y a un paquet de restaurants qui ne pourront pas repartir. Nous, on a le statut d’intermittent jusqu’en avril 2021 qui nous permet de survivre, mais si notre statut n’est pas renouvelé, qu’est-ce que ça va donner? Il nous manque une quinzaine de dates. Quand on sait tout le travail que c’est de booker des dates, de reprogrammer, et que du jour au lendemain on te dit stop d’un coup, même avec la gnaque, le cœur n’y est plus, » explique le leader du groupe. 
Noiss

Pour le groupe Noiss, l’absence de répétitions, l’absence de concerts en « vrai », est aussi pesante, même si elle a moins d’impact que les artistes professionnels : « Nous ne sommes pas soumis aux mêmes contraintes, ce n’est pas notre métier au quotidien, ce n’est pas grave pour notre vie personnelle », tempère Thomas, leader du groupe, « c’est plus chiant pour le projet artistique, nous voulions préparer un nouveau disque, c’est décalé, mais ça ne remet pas en cause le projet. Après, si nous essayons d’exister autrement, en mettant en avant notre projet sur les réseaux sociaux, en partageant notre dernier concert, comme on ne peut pas répéter, on ne fait pas non plus de live. On a tous ce besoin viscéral de se retrouver en vrai, là où ça se passe, pour faire du son. Le distanciel, ce n’est pas naturel, on est là pour faire du bruit ! » 

« Faire taire les artistes, c’est les faire mourir à petit feu »

Le fait est que cette lassitude, cette tristesse même est partagée par l’ensemble des artistes de la scène locale. « Il y a une espèce de désespoir profond ressenti par tous les artistes », abonde Lauren Chardon, fondatrice et productrice des Satin Dolls Sisters, dont le statut d’intermittence a été prolongé jusqu’au 31 août 2021. « C’est un moindre mal, mais nous sommes empêchés de travailler, ce qui nous fait perdre bien 800 euros par mois, il faut aussi se souvenir que nous avons comme tout le monde une vie, des crédits, que tous nos projets personnels sont indexés sur notre vie professionnelle. Quand dans 75 % des cas, les intermittents vivent en couple avec un autre intermittent, ça fait 1 500 euros de moins dans le couple, on est en mode survie. 

Les Satin dolls sisters
Dans mon entourage, plus d’une dizaine ont arrêté totalement leur métier pour se reconvertir, puisque prendre une activité à côté est incompatible avec le statut. Ils arrêtent parce qu’ils ont peur. Il n’y a pour l’heure aucune perspective d’avenir, mais quand ça reprendra, il faudra bien deux ou trois ans pour s’en remettre. Nous avons nous, la chance d’avoir des contrats béton, qui contraignent les clients à décaler nos dates ou à verser 50% de la prestation en cas d’annulation, mais combien d’artistes n’ont pas de contrat ? Et malgré cela, j’ai dû mettre en place 4 conciliations pour ruptures de contrats, afin de payer des cachets à mes artistes.Nous ne sommes que deux structures en Rhône-Alpes à avoir mis en place le chômage partiel, parce que ce dispositif ne s’adapte pas à nous. Il faut se battre, toujours et là, ça devient épuisant. J’essaie de maintenir le truc, de rester la locomotive pour tous mes groupes. Actuellement vu que tout est en stand-by, là où d’habitude on programmait nos contrats longtemps à l’avance, les gens n’osent même plus s’engager, ils signent le contrat une semaine avant, confirment le 7 pour une presta le 8, vu que le Préfet peut annuler jusqu’à 48h avant le concert. Pour nous c’est terrible. Nous avons la chance en tant que petites structures employant des salariés de pouvoir bénéficier d’aides de l’Etat, mais sans salariés, pas d’aides. Pour le moment, nous pouvons encore payer. Mais les grosses productions qui tournent à 200 000 ou 300 000 euros de chiffre d’affaires, ils ne pourront pas survivre avec les 10 000 euros d’aides de l’Etat. Et ils vont entraîner d’autres artistes avec eux. Pour un tiers de nos gros clients, c’est fini, ils devront arrêter les festivals. Tout ce que j’ai bossé depuis 7 ans, tout le réseau que j’ai construit, avec beaucoup de patience, c’est presque mort. Il va falloir refaire un nouveau réseau, et ça va être long.  Faire taire des artistes, c’est les faire mourir à petit feu. « 

« Ne pas chanter pour se faire entendre ? Ce n’est même pas volontaire »

Marjorie Lantz
Fanés. Les artistes locaux sont épuisés de ne pas avoir de but en se levant le matin, ne pas avoir d’horizon. Ont-ils volontairement arrêté de chanter pour se faire entendre ? Même pas. « Ne pas chanter pour se faire entendre ? Ce n’est même pas volontaire », reconnaît la chanteuse savoyarde Marjorie Lantz, « ce sont les montagnes russes. La première fois, nous avions plus de facilité à l’accepter, pensant qu’on allait s’en sortir au déconfinement. La deuxième, nous avons été impactés de plein fouet. Moi qui suis de nature optimiste et positive, là c’était un coup de massue, et qu’en plus on qualifie la culture de non-essentielle… Alors je fais tout de même de petites interventions en live, mais moins que la première fois, c’est vrai. Ce qui nous plombe le plus, vraiment, c’est le manque de visibilité. Je m’estime chanceuse, parce que mon statut d’intermittent a été repoussé au 31 août 2021, la veille du premier confinement j’avais fait ma 49e date, j’en ai perdu une bonne vingtaine, j’aurais pu être à 70 dates à l’heure qu’il est. Le problème, c’est que si on ne peut bosser qu’à partir de février, il y aura tellement de casse dans le milieu des cafés, hôtels et restaurants qu’ils n’auront plus le budget. Comment on fera, nous, derrière ? Il va falloir carburer. » Des questions sur la suite, sur le devenir de son métier, comme nombre de musiciens et d’artistes Marjorie Lantz s’en pose, bien sûr, même si ses projets professionnels qui la portent ont dû se mettre sur pause, comme son duo MD Covers, stoppé dès son lancement. La jeune femme poursuit toutefois ses engagements avec l’association Zicomatic : « Il est essentiel que la musique soit partout et pour tout le monde, » reprend-elle, « je suis hyper investie avec l’association, et puis je propose aussi quelques live sur ma page, y compris pour Noël. » 
Les Satin dolls sisters
Même démarche pour Lauren Chardon, qui a déjà fait un live le 17 novembre et a prévu deux nouvelles dates les 2 et 11 décembre pour les fêtes de fin d’année. « Au premier confinement, nous étions plus philosophes, là l’envie de faire de la musique sur les réseaux est moins forte », confie-t-elle, « mais nous voulons faire vivre tout de même la magie de Noël aux enfants, c’est hyper important. Quand nous avons mis en ligne des live, les gens nous ont écrit pour nous dire que ça leur avait fait du bien, ils nous ont remerciés. Preuve qu’il y a une dépression latente, les gens n’écoutent plus de musique ! On ne parlait que de nous au début, on faisait des live, on disait que les gens nous manquaient, on croit que les gens s’en foutent, mais en fait non. »

Blasés mais toujours vivants, les artistes ont de la suite dans les idées

Derrière le mot « artiste » se cachent de nombreux métiers. Prenons les peintres, par exemple, qui n’ont pas de statut d’intermittent, mais le plus souvent sont affiliés auprès de la Maison des artistes, ou auto-entrepreneurs. Ceux-ci espèrent encore pouvoir vendre leurs toiles en ces fêtes de fin d’année. La Haut-Savoyarde Adrianna Wojcik Muffat-Jeandet avait lancé « la galerie des confinés » lors du premier confinement, pour venir en aide aux soignants de la fondation HP-AP qui, en vendant des toiles d’artistes locaux, avait permis de récolter la somme de 5 000  euros. Cette fois, elle a souhaité renouveler l’expérience mais en faveur des artistes eux-mêmes, vu la conjoncture. « Ce n’est pas le même engouement, le moral est moins haut que la première fois », reconnaît-elle, « tout le circuit habituel est à l’arrêt, plus d’expositions, plus de lieux d’expo, plus rien de physique n’est possible. Pourtant on ne parle jamais de nous, j’ai partagé cette citation qui est très parlante selon moi » achetez aux artistes de leur vivant, quand ils seront morts vous n’aurez plus les moyens ! « Pour nous ce n’est même pas une aide, c’est juste pouvoir vivre de notre travail, si les gens achètent nos toiles. Les artistes-peintres sont habitués à vivre un peu difficilement, jusqu’ici ils n’ont jamais pensé à arrêter, c’est d’ailleurs ans les moment difficiles que l’on s’exprime le plus. Peut-être que certains seront contraints de prendre une nouvelle activité, mais ils continueront à faire de l’art.. Personnellement, je prends du plaisir à faire connaître les artistes, à les mettre en lien entre eux. Tant que j’y trouverai du plaisir, je continuerai. » 

L’appel de Lauren

Pour les musiciens, une idée a traversé l’esprit de la Satin Doll Lauren : trouver un lieu pour filmer des concerts en live, retransmis sur les réseaux sociaux, où les artistes locaux pourraient se retrouver, et à terme, monter des dossiers de subvention qui leur permettraient d’avoir des cachets. « Mais pour cela, il faut une somme d’énergies, je ne pourrais pas y arriver toute seule. J’ai toujours tout fait toute seule, sans demander quoi que ce soit, mais là, j’ai besoin d’énergie collective. Cela pourrait permettre aux artistes locaux de se faire entendre, de penser à l’avenir aussi, cela déclencherait peut-être aussi des dates plus tard. Et puis on pourrait faire venir, dès que ce sera possible, des gens pour les faire assister aux live, en plus des gens derrière leur écran. Pour cela, il nous faut un lieu, et il faut que nous soyons soutenus. Si des artistes sont open pour ce projet participatif, qu’ils se fassent connaître! » Pour Stéphane Col, qui salue l’initiative, c’est encore un peu tôt. « J’attends le feu vert pour bosser pour de vrai », conclut-il, « Lauren a raison de chercher des idées. Nous, on a été démarchés par des offices du tourisme en station pour janvier, mais c’est encore en attente, ce sont des dates en option. » Marjorie Lantz quant à elle s’est  dit partante pour le projet, l’appel est lancé. 

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