Les confinements se suivent mais ne se ressemblent pas. Cette fois, le travail et l’école étant toujours en fonctionnement, on entend moins la nature reprendre ses droits, on n’entend plus d’applaudissements aux fenêtres pour les soignants et l’on s’y perd entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est temporairement plus. Mais une différence de taille se fait entendre : le silence musical. Plus de concerts philharmoniques en visio des orchestres du monde entier, plus de live chaque semaine d’artistes depuis leur salon. A force de ne pas parler d’eux dans les allocutions et les points d’étapes officiels, on finit par ne plus les entendre du tout. Comment vont les artistes ?
Personne n’avait pensé qu’un second confinement allait être mis en place cet automne, nul n’imaginant revivre une deuxième vague de la crise économique de ce printemps, quand tout était à l’arrêt. Les artistes non plus, si impatients de reprendre la route, la scène, le micro et la guitare, après de longs mois à décaler les dates et à reprogrammer leurs concerts. Pour ceux qui disposent du statut d’intermittent du spectacle, même si le statut a été reconduit jusqu’au 31 août 2021, il n’était pas non plus gagné de réussir à s’organiser économiquement et familialement, la grande majorité partageant ce statut avec leurs conjoints. Du vague à l’âme à la colère, ce deuxième confinement aura eu la peau de leurs micros.
« Même avec la gnaque, le cœur n’y est plus »
Pour le groupe Noiss, l’absence de répétitions, l’absence de concerts en « vrai », est aussi pesante, même si elle a moins d’impact que les artistes professionnels : « Nous ne sommes pas soumis aux mêmes contraintes, ce n’est pas notre métier au quotidien, ce n’est pas grave pour notre vie personnelle », tempère Thomas, leader du groupe, « c’est plus chiant pour le projet artistique, nous voulions préparer un nouveau disque, c’est décalé, mais ça ne remet pas en cause le projet. Après, si nous essayons d’exister autrement, en mettant en avant notre projet sur les réseaux sociaux, en partageant notre dernier concert, comme on ne peut pas répéter, on ne fait pas non plus de live. On a tous ce besoin viscéral de se retrouver en vrai, là où ça se passe, pour faire du son. Le distanciel, ce n’est pas naturel, on est là pour faire du bruit ! »
« Faire taire les artistes, c’est les faire mourir à petit feu »
Le fait est que cette lassitude, cette tristesse même est partagée par l’ensemble des artistes de la scène locale. « Il y a une espèce de désespoir profond ressenti par tous les artistes », abonde Lauren Chardon, fondatrice et productrice des Satin Dolls Sisters, dont le statut d’intermittence a été prolongé jusqu’au 31 août 2021. « C’est un moindre mal, mais nous sommes empêchés de travailler, ce qui nous fait perdre bien 800 euros par mois, il faut aussi se souvenir que nous avons comme tout le monde une vie, des crédits, que tous nos projets personnels sont indexés sur notre vie professionnelle. Quand dans 75 % des cas, les intermittents vivent en couple avec un autre intermittent, ça fait 1 500 euros de moins dans le couple, on est en mode survie.
« Ne pas chanter pour se faire entendre ? Ce n’est même pas volontaire »
Blasés mais toujours vivants, les artistes ont de la suite dans les idées
Derrière le mot « artiste » se cachent de nombreux métiers. Prenons les peintres, par exemple, qui n’ont pas de statut d’intermittent, mais le plus souvent sont affiliés auprès de la Maison des artistes, ou auto-entrepreneurs. Ceux-ci espèrent encore pouvoir vendre leurs toiles en ces fêtes de fin d’année. La Haut-Savoyarde Adrianna Wojcik Muffat-Jeandet avait lancé « la galerie des confinés » lors du premier confinement, pour venir en aide aux soignants de la fondation HP-AP qui, en vendant des toiles d’artistes locaux, avait permis de récolter la somme de 5 000 euros. Cette fois, elle a souhaité renouveler l’expérience mais en faveur des artistes eux-mêmes, vu la conjoncture. « Ce n’est pas le même engouement, le moral est moins haut que la première fois », reconnaît-elle, « tout le circuit habituel est à l’arrêt, plus d’expositions, plus de lieux d’expo, plus rien de physique n’est possible. Pourtant on ne parle jamais de nous, j’ai partagé cette citation qui est très parlante selon moi » achetez aux artistes de leur vivant, quand ils seront morts vous n’aurez plus les moyens ! « Pour nous ce n’est même pas une aide, c’est juste pouvoir vivre de notre travail, si les gens achètent nos toiles. Les artistes-peintres sont habitués à vivre un peu difficilement, jusqu’ici ils n’ont jamais pensé à arrêter, c’est d’ailleurs ans les moment difficiles que l’on s’exprime le plus. Peut-être que certains seront contraints de prendre une nouvelle activité, mais ils continueront à faire de l’art.. Personnellement, je prends du plaisir à faire connaître les artistes, à les mettre en lien entre eux. Tant que j’y trouverai du plaisir, je continuerai. »
L’appel de Lauren
Pour les musiciens, une idée a traversé l’esprit de la Satin Doll Lauren : trouver un lieu pour filmer des concerts en live, retransmis sur les réseaux sociaux, où les artistes locaux pourraient se retrouver, et à terme, monter des dossiers de subvention qui leur permettraient d’avoir des cachets. « Mais pour cela, il faut une somme d’énergies, je ne pourrais pas y arriver toute seule. J’ai toujours tout fait toute seule, sans demander quoi que ce soit, mais là, j’ai besoin d’énergie collective. Cela pourrait permettre aux artistes locaux de se faire entendre, de penser à l’avenir aussi, cela déclencherait peut-être aussi des dates plus tard. Et puis on pourrait faire venir, dès que ce sera possible, des gens pour les faire assister aux live, en plus des gens derrière leur écran. Pour cela, il nous faut un lieu, et il faut que nous soyons soutenus. Si des artistes sont open pour ce projet participatif, qu’ils se fassent connaître! » Pour Stéphane Col, qui salue l’initiative, c’est encore un peu tôt. « J’attends le feu vert pour bosser pour de vrai », conclut-il, « Lauren a raison de chercher des idées. Nous, on a été démarchés par des offices du tourisme en station pour janvier, mais c’est encore en attente, ce sont des dates en option. » Marjorie Lantz quant à elle s’est dit partante pour le projet, l’appel est lancé.
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